LES ANNEES 20 Durant les années vingt, Claude Autant-Lara débute en des lieux et sous des formes quelque peu étonnants si l'on songe à ce que sera sa prolifique carrière de cinéaste à partir des années trente et surtout quarante à soixante-dix, du côté de la critique sociale. Autant-Lara est en effet avant tout décorateur et dessinateur de costumes, assistant-réalisateur et auteur de deux films et d'un documentaire dont un seul subsiste. La participation d'Autant-Lara aux décors et aux costumes de films signés Marcel L'Herbier (Rose France, le Carnaval des vérités, Villa Destin, Don Juan et Faust, l'Inhumaine, le Diable au cœur), Jaque Catelain (Marchand de plaisirs), Jean Renoir (Nana), Nikolaï Malikoff (Paname n'est pas Paris), sa collaboration avec René Clair sur Paris qui dort et le Voyage imaginaire sont loin d'être négligeables. Formé à l'école des Arts décoratifs puis des Beaux-Arts – où il rencontre Carette –, Autant-Lara est d'abord influencé et instruit par le milieu du théâtre-laboratoire « Art et Action » qu'animent ses parents, la comédienne Louise Lara sociétaire de la Comédie-Française (dont elle démissionne en 1920) et l'architecte Édouard Autant. Claude, dont le style s'apparente au cubisme et au modernisme alors en vogue, dessine les affiches-programmes, crée des maquettes de décors et conçoit le projet d'une revue, Le Bon Européen, en utilisant les relations de ses parents auprès du monde artistique : Cocteau, Bakst, Cendrars, Satie, Stravinski, Larionov, Kisling, etc. Il est ainsi conduit à rencontrer Marcel L'Herbier dont « Art et Action » avait monté la tragédie « en pourpre et en or », l'Enfantement du mort, en 1919. La société de production de L'Herbier, Cinégraphic, est le deuxième lieu d'apprentissage du jeune homme. Il y rencontre Rob Mallet-Stevens, Alberto Cavalcanti et Fernand Léger. À 23 ans, il y réalise son premier film, Fait divers (1924) qui appartient à la mouvance « avant-gardiste » voire au cinéma expérimental. L'auteur se fait fort de narrer une histoire de trio amoureux, un adultère, l'expression de la jalousie et le désir de meurtre sans le secours des titres, par la seule combinaison des images, leurs associations, le montage, les truquages, surimpressions, ralenti, accéléré, etc. Si le manifeste du cinéma futuriste de 1916 envisageait l'hypothèse d'un film où ne joueraient que des gros-plans de mains et de pieds, Autant-Lara réalise ce programme à l'ouverture de son film : des mains gantées, des gestes lents ou prestes suffisent à signifier la rencontre amoureuse, la demande en mariage, l'effusion. Ce laconisme, ces images ayant presque valeur de hiéroglyphes, enchantèrent Antonin Artaud, interprète du film, qui le mettait au-dessus des œuvres d'Epstein car, disait-il, on n'y trouve ni « fait », ni « anecdotes » mais une « émotion d'images » « d'une rigueur absolue ». À l'inverse Robert Desnos, défenseur des intertitres, le jugea raté. Le film pour autant ne se borne pas aux seules ressources des procédés optiques ou figuraux (métonymie, métaphore, pars pro toto), il s'appuie aussi sur le jeu de trois acteurs d'importance : outre Antonin Artaud déjà cité, Madame Louise Lara, la mère du cinéaste et Pierre Barthet, trois corps, trois visages, trois types de jeu très caractérisés dont la caméra capte la photogénie autant qu'elle construit la représentation sur la base de conventions, de codes. Lors d'un épisode dans un dancing, le décorateur Autant-Lara donne sa mesure en une scène à la perspective accusée, graphique et à la décoration Arts Déco affichée dont se souviendra bien plus tard Jean-Christophe Averty. C'est Arthur Honegger qui écrit la partition musicale de ce film que le réalisateur retravailla à l'aide des ondes Martenot. Si la sortie du film aux Ursulines s'avéra incompatible avec ce type d'expérience elle fut, semble-t-il, tentée lors des « séances de lumière » d'Art et Action où des projections et compositions lumineuses de Man Ray et des projections colorées d'André Girard alternaient avec des documentaires, du théâtre et Fait divers. Du deuxième film d'Autant-Lara, Vittel (1926), documentaire dont il ne souffle mot ni ses biographes et commentateurs, on ne sait rien. Par contre le troisième, Construire un feu (1927-1928), occupe une place considérable presque mythique. Avec ce film en effet, Autant-Lara expérimentait une invention technique due au Professeur Chrétien, l'hypergonar. Ce procédé d'anamorphose de l'image par un objectif – dont le CinémaScope reprendra le principe dans les années cinquante – permettait d'une part d'élargir l'image au double à la projection après l'avoir réduite à la prise de vue et d'autre part de pouvoir disposer sur la pellicule non plus une seule mais trois images, de faire de la sorte éclater l'espace de la représentation. Gance avait abordé le problème en recourant à trois écrans et trois projecteurs. Lara expérimentait une solution d'un autre ordre en ne recourant qu'à une seule pellicule démultipliée. Le film adaptait une nouvelle de Jack London contant la marche vers la mort d'un chercheur d'or du Grand Nord surpris par le froid et opposant à son destin une détermination finalement vaine. Malheureusement le film, dont quelques projections privées rencontrèrent l'admiration de plusieurs, eut une carrière avortée et se vit éclipsé par l'arrivée des films parlants. Le négatif fut détruit par le laboratoire. Le réalisateur, endetté et incompris fut manifestement très affecté par cet enchaînement fatal d'accidents et de déconvenues. Il s'exila aux États-Unis où il tourna des versions françaises de films comiques – dont deux Keaton – avant de revenir en France reprendre difficilement une carrière interrompue qui ne prit son essor que durant l'Occupation et après la guerre dans une direction très différente de ses débuts. Texte : « A », 1895, n°33, Dictionnaire du cinéma français des années vingt, 2001, En ligne, mis en ligne le 26 juin 2006. URL : http://1895.revues.org/document88.html. Consulté le 22 septembre 2008. Filmographie normalement complète : |
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