Anticonformiste, Autant-Lara était aussi un provocateur qui s'emparait de sujets sulfureux, choquant volontiers le bourgeois moraliste et coincé : Le diable au corps, Le blé en herbe, Le Rouge et le Noir mettent en avant une sexualité puissante qui se moque des convenances ; tout comme La jument verte, En cas de malheur, Les régates de San Francisco ; Le journal d'une femme en blanc traite de la contraception et surtout de l'avortement, à une époque où ça ne se faisait pas.
Rien d'étonnant donc que Tu ne tueras point s'empare, en 1961, d'un sujet plus que sensible : l'objection de conscience ; la guerre d'Algérie bat son plein et le contingent y est pleinement associé ; peu de conscrits refusent de servir le pays, mais le débat est constamment posé par le camp progressiste, le Parti socialiste Unifié, Témoignage chrétien, etc.Il n'y a pas de sexualité, pas même de sensualité dans le film et une seule figure de femme, celle de Suzanne Flon (remarquable, d'ailleurs), mère de l'objecteur Jean-François Cordier (Laurent Terzieff). On voit par là que le réalisateur a souhaité évacuer tout ce qui aurait pu parasiter son propos. Film à thèse avec tous les défauts que ce genre peut comporter mais qui porte assez de complexité pour mériter respect et admiration, quoi qu'on pense du fond du sujet.
Le scénario, dû à Jean Aurenche et Pierre Bost, comme de coutume, sans être complexe est habile, brillant, même. Parallèlement deux histoires : celle de Rudolf Adler (Horst Frank) qui, alors encore séminariste, a été obligé, sous l'ordre exprès de son supérieur, le 29 août 1944, alors que la Wehrmacht s'enfuyait de Paris, d'abattre un jeune Résistant français et qui est, cinq ans après amené à être jugé pour ce fait de guerre par un Tribunal militaire. Et celle du jeune Jean-François Cordier qui, lors de son incorporation à Paris en 1949, refuse calmement mais obstinément de porter l'uniforme et décline toutes les concessions proposées par l'Armée pour éviter le scandale.
Cordier est un personnage tout d'une pièce mais extrêmement cohérent, presque jusqu'à l'absurde. Proche d'être psychiatriquement réformé, il laisse au médecin le soin de le catégoriser : son action ne peut avoir de sens que si chacune des parties va au bout de sa logique. La sienne est absolue : il se dit alors catholique et pose la parole du Christ au-dessus de toutes adaptation ou appréciation faites par l'Église et la société. Transféré à la prison du Cherche-Midi (aujourd'hui détruite et remplacée par les locaux de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'objecteur fait connaissance d'Adler qui attend son procès. Les deux hommes sympathisent mais la rigidité de Cordier n'admet pas qu'Adler ait accepté d'obéir à un ordre.Dès lors le film s'enferme trop dans son principe fondateur : l'absolu refus de toute violence, quelle qu'elle soit, de Cordier l'entraîne vers une sorte de paranoïa où il se présente seul Juste parmi les Justes et à saboter durant son procès toutes les issues, jusqu'à refuser l'aide de son seul témoin de moralité, un prêtre-ouvrier, l'abbé Robert qu'il a aidé dans une œuvre charitable auprès des enfants en danger moral.
C'est évidemment la limite du film. Suzanne Flon a beau lancer à son fils, condamné à un an de prison qu'elle est fière de lui, alors qu'Adler a été acquitté puisqu'il n'a fait qu'obéir aux ordres, le manichéisme est par trop démonstratif. Cela étant, la qualité filmique de Claude Autant-Lara est toujours de haute qualité et quelques scènes sont très émouvantes. Celle, par exemple, de grandes tension et émotion où Horst Frank, au jeu très sensible, et le jeune résistant qu'il doit abattre se retrouve l'un en face de l'autre et disent ensemble un Notre Père superbe, l'un en latin, l'autre en français.…m'a l'air des plus brûlant. J'ai seulement lu le résumé sur la fiche et ça m'a tout de suite donné envie de le voir. Quelqu'un a-t-il vu cet Autant-Lara ? Impétueux, peut-être?
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