Né à Kiev, Tourjansky débute comme acteur chez Stanislavski puis passe au cinéma dès 1912. On trouve son nom au générique de Frères de Tchardynine (1913) où il côtoie Mosjoukine. Son activité de réalisateur se développe surtout dans les années 1918-1920 où il travaille pour Kozlovski, Iourev & Cie. On remarque, dès cette époque, la présence de Nathalie Kovanko qui est son épouse et à laquelle une bonne partie de son œuvre est associée. Ses films sont le plus souvent des drames, des « chansons tristes » à la Vertinski comme on dit alors. Il quitte Moscou pour Kiev puis Yalta où les studios se sont repliés pendant la guerre civile et tourne jusqu'à la défaite des armées blanches. Péché et rédemption, son dernier film sera distribué en URSS en 1922. Il se rend ensuite à Constantinople avec sa femme et son beau-frère Boris Fastovitch qui est à la tête d'une troupe de théâtre, puis à Athènes enfin à Paris via l'Italie. Rejoint-il d'emblée les Russes de Montreuil regroupés autour d'Ermolieff et Mosjoukine ? On le retrouve en tout cas au Théâtre des Champs-Élysées où il monte deux opéras dont la Dame de Pique, et à Montreuil où il tourne l'Ordonnance d'après Maupassant avec Nathalie Kovanko en vedette féminine. Le film (aujourd'hui perdu) sort en février 1921 et lui assure une reconnaissance sur le marché français. Le film suivant est d'une plus grande envergure et connaît une distribution internationale – notamment aux États-Unis –, c'est les Contes des mille et une nuits. Dans le genre alors en vogue de l'orientalisme, Tourjansky s'impose. La conception du décor (dû à Lochakoff) et des costumes (de lui-même), héritière de la tradition des Ballets russes, contraste avec les réalisations françaises contemporaines comme la Sultane de l'amour de Le Somptier. Là où ce dernier ne filmait que des fragments de décors, Tourjansky fonde sa mise en scène sur des constructions d'ensemble, centrées, symétriques qui donnent l'illusion d'un monde féerique. La magnificence décorative, la danse, la mise en scène paraissent à la critique de nature à concurrencer enfin Hollywood sur ce terrain. Le film suivant de Tourjansky est d'une tout autre facture, il s'agit d'un drame familial avec le sombre André Nox et, bien sûr, Nathalie Kovanko. Le Quinzième prélude de Chopin (1922) débute pourtant avec une curiosité, une séance de cinéma, dans le salon de la propriété, où l'on projette un Charlot… tourné pour l'occasion par Tourjansky! La même année, le cinéaste tourne La riposteavec Nathalie Lissenko cette fois et Jean Angelo. L'histoire est située dans un cirque et comporte son lot de scènes alternant prouesses physiques, comédie et drame. Calvaire d'amour attire à nouveau l'attention de la critique pour ses qualités « de mouvement et d'action », la capacité du « réalisateur russe » à conjuguer « drame d'action et drame de sentiment » propre à en remontrer aux Américains ! Le Chant de l'amour triomphant (1923), vaguement inspiré d'un poème de Tourguéniev, renoue avec l'exotisme le plus débridé. Situé d'abord à Ferrare au XVIe siècle, le film s'évade au gré des souvenirs de voyage d'un soupirant malheureux de la belle Valeria (jouée par Kovanko). Nous voici aux Indes mais tout autant dans un village nègre où le narrateur sauve de la mort un Hindou qui devient son fidèle serviteur. Celui-ci, à son tour, le ramènera à la vie après que Valeria, envoûtée par un collier magique, l'aura poignardé. Rêve, poursuite, serpents, statue magique, rien ne manque à cette fantaisie où Anatole Litvak fit ses premières armes comme assistant. Ce Cochon de Morin en 1923-1924 opère une nouvelle volte-face en revenant à Maupassant. Ce film assure à Tourjansky à la fois la reconnaissance de « l'avant-garde » et du grand public. Germaine Dulac apprécie les prouesses de montage rythmique de la première partie où Morin, commerçant de province, s'adonne à la débauche dans un cabaret de Montmartre. Les vues nocturnes de la ville, l'enseigne du Moulin Rouge introduisent à une séquence endiablée où le champagne gicle, les jambes de femmes s'agitent, un pianiste, se déchaîne sur son clavier. La transition entre Paris et La Rochelle où Morin rentre grisé se fait par une alternance de banjo furieusement gratté et de roues de locomotive jusqu'à provoquer le passage à l'acte du rêveur qui se jette sur sa voisine de compartiment… et se fait arrêter. La suite du film est nettement plus calme, parfois même conventionnelle, rehaussée pourtant çà et là de trouvailles visuelles liées à des cauchemars ou des souvenirs. Grâce à Nicolas Rimsky, la critique voit par ailleurs dans ce film « un renouveau du film comique » et l'acteur oriente sa carrière du côté du vaudeville en devenant lui-même son metteur en scène. La Dame masquée (1924) est la dernière production Albatros de Tourjansky. Ce ciné-drame use de toutes les ressources du studio de Montreuil : Toporkoff et Mundwiller sont à l'image, Lochakoff et Gosch au décor, les acteurs sont Kovanko, Koline et Rimsky. Hélène, sensible jeune fille qui aspire à faire du théâtre, perd brutalement sa mère dans un incendie. Elle est recueillie, à Paris, par une tante qui ne l'aime pas et la force à épouser son fils noceur et joueur quand elle apprend qu'elle va hériter. Bal masqué, amours contrariées, viol dans un cabaret chinois, tout s'achève tragiquement par la mort d'Hélène atteinte par une balle perdue dans la bagarre finale. Sollicités par Ciné-France-Film (Westi Consortium), Tourjansky et Kovanko quittent Montreuil et – avec Koline, Lochakoff, Bilinsky, Toporkoff et Bloch – tournent Le prince charmant en 1924 (avec Charitonoff-Films), inaugurant une « série Kovanko-Films ». Ce départ massif est lié à la proposition de Gance de co-réaliser avec Tourjansky et Volkoff son Napoléon et au « débauchage » des Russes de Montreuil par Noe Bloch qui est passé d'Albatros à Ciné-France-Film. Le personnage principal du Prince, un héritier de la couronne du Bengale qui dissimule son identité lors d'une croisière mondaine sur un yacht, est interprété par Jaque Catelain ; Nathalie Kovanko est une princesse captive dans le harem d'un kalife que le prince voudra délivrer avec l'aide de Koline, comparse drôlatique. Cet orientalisme désenchanté, qui se réclame de Pierre Loti, croise, en mineur, celui du Lion des Mogols où l'on confronte le monde moderne à une féerie « résiduelle ». Après la malheureuse expérience avec Gance qui le relègue, ainsi que Volkoff, au second plan puis le licencie en cours de route pour cause de faillite, Tourjansky tourne son film le plus important des années vingt, Michel Strogoff . Le projet de cette adaptation du fameux roman de Jules Verne, avait été engagé en 1924 par Léonce Perret. Une année plus tard c'est Tourjansky qui le tourne avec un certain brio. Mosjoukine (avec qui il n'a jamais tourné) y est le partenaire de Kovanko. Outre les vedettes, l'équipe technique et les acteurs secondaires sont majoritairement russes (à l'exception de Burel, co-opérateur avec Bourgassoff et Toporkoff qui faisaient déjà équipe à Ermoliev-Moscou-Yalta…) ce qui légitime la fiction de Verne. C'est une grosse production (le réalisateur parle de « crédits illimités ») dont le tournage en Lettonie – afin de s'approcher des lieux qu'évoque le roman – est couvert par la presse. Le film est vendu à l'avance aux États-Unis. Le début du film est brillamment monté en plans courts et parfois insolites (très gros plan d'oreille, plongée verticale sur des danseuses), développant sans tarder le parallèle entre la révolte des Tartares mettant à sac les villages sibériens et une soirée théâtrale dans la capitale, l'alerte donnée au tsar. La suite n'est pas toujours à la hauteur, alternant des scènes plus convenues, voire maladroites (lutte avec l'ours) avec des morceaux d'anthologie comme la fête chez l'émir Féofar et l'aveuglement du héros, que le coloriage du film exhausse encore, ou la bagarre finale entre Ogareff (Chakatouny) et Strogoff (Mosjoukine) d'une rare violence. Après cette réussite, Tourjansky – comme Mosjoukine – est appelé à Hollywood. L'expérience cependant tourne court après The Adventurer (ou The Gallant Gringo) pour la MGM (1927), film de cow-boy qui est une mise à l'épreuve, et un commencement de travail sur The Tempest (avec John Barrymore) qu'il quitte quand on veut lui imposer des changements aux deux tiers du tournage. En 1969 il prétendra avoir collaboré à The Volga Boatman de DeMille, mais l'information demeure sujette à caution. À son retour en Europe en 1928, il tourne deux films en Allemagne (Wolga, Wolga et Manolescu) puis un Aiglon en France (1931). Sa carrière prolifique se poursuit jusqu'en 1962 surtout en Allemagne ; en 1961, il tourne en Yougoslavie le Triomphe de Michel Strogoff avec Curt Jurgens et Valéri Inkijinoff.Référence électronique « T », 1895, n°33, Dictionnaire du cinéma français des années vingt, 2001, En ligne, mis en ligne le 28 novembre 2007. URL : http://1895.revues.org/document103.html. Consulté le 14 novembre 2008. La Filmographie suivante est complète (élaborée depuis les sites d'imdb et de la cinémathèque) |
Page générée en 0.043 s. - 13 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter