En 1944, recru de fatigue par un soir de pluie battante et obligé de composer avec les conditions précaires de la médecine de guerre, le jeune chirurgien Kyoji Fujisaki commet un fatal faux mouvement et contracte la syphillis du blessé qu'il opère. La guerre finie, ses proches s'inquiètent de ne plus reconnaître l'homme qu'il était. Au désespoir, sa fiancée Misao ne comprend pas pourquoi il la rejette soudain. Kyoji finit par révéler la vérité à son père obstétricien, mais ne peut se résoudre à faire de même pour Misao, car il craint qu'elle gâche sa vie à attendre une rémission qui peut durer au bas mot une quinzaine d'années… (Arca1943)
Pour cette seconde collaboration entre Akira Kurosawa et Toshiro Mifune, le réalisateur a voulu pousser son comédien dans un registre qu\'on ne lui connaissait pas et que les producteurs se refusaient jusqu'alors à lui offrir: un rôle non pas de gros bras viril mais d'intellectuel.
« Le moment le plus mémorable dans le tournage du Duel silencieux, ce fut quand on filma la scène culminante du drame. (…) La nuit avant le tournage, ni Mifune, ni l'actrice qui jouait l'infirmière Noriko Sengoku ne purent fermer l'oeil. Moi non plus, car j'éprouvais un sentiment comparable à celui qu'on peut ressentir la veille d'une bataille décisive.
Le lendemain, au moment de lancer la caméra, une atmosphère tendue régnait sur le plateau. Pour diriger les interprètes, je me plaçais entre deux projecteurs, en calant mes pieds sur leurs bases. L'interprétation de Mifune et de Sengoku traduisait un conflit intérieur crucial. A mesure que les secondes s'écoulaient, leur jeu atteignait un degré d'intensité insupportable, et les étincelles fusaient comme d'un feu d'artifice. Je pouvais sentir la transpiration se former dans mes poings crispés. A la fin, quand la détresse qu'il vient de confesser à la fille fait éclater Mifune en sanglots, j'entendis les projecteurs tout près de moi se mettre à faire un bruit de tremblements.
Je me rendis compte tout de suite que c'était moi qui tremblais. Les spasmes d'émotion qui me passaient par le corps se communiquaient aux projecteurs près desquels je me tenais. « Malheur », pensais-je « j'aurais du m\'asseoir ». Trop tard. Croisant fermement mes bras pour essayer de contrôler mon tremblement, je regardai vers la caméra et là, je faillis sursauter. Mon cameraman, qui regardait à travers le viseur, pleurait comme un enfant. Pendant quelques secondes, il sembla que ses larmes l'empêchaient de voir dans le viseur, et il dut se dépêcher de s'essuyer les yeux.
Mon cœur se mit à battre. Les larmes du caméraman attestaient clairement la qualité d'émotion du jeu de Mifune et de Sengoku, mais si le travail de la caméra était bousillé parce que les acteurs réussissaient à faire pleurer le cameraman, cela ne servirait à rien. Mon attention se concentra alors plus sur le cameraman que sur l'interprétation des acteurs. Je n'ai jamais ressenti jusqu'alors et je n'ai jamais ressenti depuis, que le tournage d'un plan peut être dune longueur aussi crucifiante.
Quand le visage convulsé et sillonné de larmes de l'opérateur émit finalement un « coupez, elle est bonne » à la fin de la scène, j'éprouvai un soulagement immense. Alors que tout le monde sur le plateau avait été pris par l'extrême intensité de la scène, je me sentais comme quelqu'un qui est resté sobre au milieu de gens qui boivent. Puis, je réalisai que moi, le metteur en scène, j'avais oublié de dire le « coupez ». Je crois que j'étais encore bien jeune! »
\'\'Comme une autobiographie\'\'
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