Qu'on le veuille ou non, le cinéma est l'art qui coûte le plus cher. Si on veut produire en Italie au cours de la saison 1971-72 des films d'une grande liberté comme Mort à Venise, L'Affaire Mattei, Le Professeur, Le Décameron, Le Dernier tango à Paris, Fellini Roma, La Classe ouvrière va au paradis, L'Audience, Saint-Michel avait un coq ou Le Jardin des Finzi-Contini, il faut absolument – à moins de déjà se résigner au respirateur artificiel des subventions d'État – il faut absolument avoir de solides rentrées, des millions et des millions de lires, avoir en main quelques rainmakers (les faiseurs de pluie) qui vous la procurent, cette liberté, en faisant entrer dans vos coffres les montagnes de fric nécessaires. Tant mieux ensuite si des films risqués financièrement, comme Le Professeur, L'Affaire Mattei, Le Décameron ou Dernier tango à Paris font des millions de spectateurs en salle et deviennent des opérations hautement rentables, mais c'est simplement trop risqué d'escompter seulement cela, que vos films d'auteur "cartonnent" : car c'est ce qu'on appelle "se fier seulement à sa bonne étoile".
No money, no candy. Si vous voulez d'une part, en tant qu'industrie du cinéma, avoir la liberté et l'indépendance de tourner, disons, Les Cannibales ou les films de Nelo Risi (auteur très auteurial à ne pas confondre avec son frérot Dino), il vous faut d'autre part de véritables machines à faire entrer des spectateurs.
C'est vrai, vous n'avez plus le péplum – ou alors c'est le théâtral Scipione detto anche l'Africano, plus rien à voir avec Hercule ou Maciste. Mais vous avez en réserve quantités de films de genre : voici la farce de cul (Ma femme est un violon, pour prendre le dessus du panier, ou Quand les femmes avaient une queue, pour prendre le fin fond de ce même panier), le giallo (Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris, La Tarentule au ventre noir, Un Posto ideale per uccidere et quantité d'autres).
Sans trop vous en apercevoir, vous avez au fil du temps (mais voilà par excellence une chose qui ne se planifie pas, qui ne peut arriver qu'au milieu du hasard le plus grand) donné naissance à des genres qui avancent sur la ligne de crête, parfaitement équidistante entre art et industrie: ainsi l'immense succès en salle de comédies satiriques populaires de haut vol qui représentent depuis les années 50 le plus durable rainmaker de l'industrie (Miracle à l'italienne, Venez prendre le café chez nous, Au nom du peuple italien, La femme du prêtre, Mortadella, Alfredo, Alfredo Détenu en attente de jugement, L'Argent de la vieille, tous succès de la saison 1971-72) et aussi le thriller antimafia ou politico-policier qui cartonne à fond la caisse avec Confession d'un commissaire de police au procureur de la République, Viol en première page ou Lucia et les gouapes). Et puis vous pouvez faire bouger cet argent en l'investissant aussi dans les films de vos voisins (Les Mariés de l'an deux, Le Chat, Le Casse, Trafic, Juste avant la nuit, Max et les ferrailleurs, Mourir d'aimer, Un Aller simple, les Assassins de l'ordre, L'aventure c'est l'aventure, L'Attentat…)
Et bien entendu – on est en Italie ou on n'y est pas – vous avez le western ! Comme Il était une fois la révolution ou… On l'appelle Trinita !
Je trouve On l'appelle Trinita inventif dans son genre, mais alors c'est vraiment dans son genre ! C'est la première comédie du tandem Terence Hill / Bud Spencer (les précédents étaient des westerns "sérieux") et ce fut un véritable phénomène de foule, des entrées faramineuses, un triomphe incroyable. Qu'en reste-t-il ? Eh bien, c'est le film de cinéma de quartier par excellence. Simple mais pas trop – il y a deux méchants distincts – avec une touche d'originalité – les honnêtes gens à protéger sont des Mormons – avec plein de bagarres (dont au moins une s'étire démesurément!) des blagues basiques, mais aussi une désinvolture, une décontraction conquérantes. C'est une plaisanterie, quoi! Évidemment, avoir vu ce film dans un cinéma de quartier à son époque aide sûrement beaucoup à l'apprécier aujourd'hui. Mais voilà, moi, j'ai adoré revoir On l'appelle Trinita. Ça ne m'empêche pas d'apprécier Mort à Venise. Mais qui plus est, si on additionne deux et deux, vous ne pouvez pas avoir l'un si vous n'avez pas l'autre.
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