Dans son recueil de critiques cinématographiques, théâtrales et littéraires, La jumelle noire, Colette fait la part belle aux ?"uvres de Léopold Marchand. Il écrivit pour le théâtre Ces messieurs de la santé,
en collaboration étroite avec Paul Armont. Tous deux en firent l'adaptation cinématographique. Et là se pose la question qui fâche : Était-ce nécessaire ? Fallait-il vraiment transposer ce petit chef-d'?"uvre d' humour au cinéma ? Ce n'est pas la première fois, loin s'en faut, que la chose est accomplie. Henri Diamant-Berger
et Yves Mirande
avec la bénédiction et l'aide de Courteline adaptèrent de façon que nous qualifieront d'honnête, les célébrissimes Messieurs les ronds de cuir.
Et la liste serait longue à énumérer.
Restent les acteurs, épatants quand même, parce que rompus à ce genre d'exercice, même confinés. Voyez distribution. C'est sans commentaires. Mais même si leur talent ne fait aucun doute, on ne peut s'empêcher, tout le long du film, d'ouvrir son col et se dénouer la cravate, si tant est qu'on en ait une…
Eh bien j'ai passé un moment très agréable en regardant ce film de second rayon capté au Cinéma de minuit et je ne l'ai pas trouvé si confiné que ça. Il me semble au contraire que la parcimonie grippe-sou, l'étroitesse d'esprit, la rapacité, le paternalisme sourcilleux de la vertu des employées, la vertu facilement outragée de Mme Génissier (Pauline Carton, épatante et, pour une fois davantage mise en valeur par un rôle consistant) sont particulièrement bien dépeints par l'atmosphère tout à fait confinée de la boutique de corsets qu'elle dirige en maîtresse absolue dans l'alors sombre Palais Royal.
Mais, et c'est là où je trouve intéressante et habile la réalisation de Pierre Colombier, dès que ce coquin de Taffard/Gédéon (Raimu), après avoir gagné la confiance des boutiquiers, s'empare des rênes de la maison et la fait incroyablement prospérer, le décor change : la boutique obscure devient un clair magasin de lingerie où se presse la clientèle, grisée par la publicité (encore appelée la réclame) et par la variété des articles vendus (c'en est d'ailleurs fini des pudeurs de Mme Génissier, qui ne voulait pas même voir de soieries dans son échoppe honnête ; dans le nouveau magasin, les rayons sont clairement indiqués, jusqu'à celui des cache-sexe). Et, lorsque l'affaire prend vraiment une dimension considérable, c'est dans une banque dont les bureaux se trouvent dotés de ce qu'il y a de mieux que se transporte l'action : le bureau pivotant de Gédéon, le coffre-fort gigantesque dont la porte donne accès à un bar bien fourni, l'abondance des téléphones, etc.
L'intrigue est juste ce qu'il faut usée pour avoir le confort des habits qu'on aime : un requin de finance – qui n'est pas un escroc ordinaire – évadé de la prison de la Santé, s'introduit dans une maison de commerce rancie, gagne la confiance de tous et, par des placements et tripotages habiles, la fait accéder à la fortune. Quand il est démasqué, la Vertu s'offusque un peu, mais trouve que l'aisance matérielle est tout de même une chose bien agréable et passe d'autant plus facilement sur ses scrupules que leur bienfaiteur est finalement innocenté, au prix d'un tour de passe-passe qui permet une fin morale….
Enfin… pas si morale que ça. Car la ravissante femme (Edwige Feuillère,Il est évident que si le grand Jules n'avait pas figuré en tête d'affiche, on ne parlerait plus aujourd'hui de Ces messieurs de la Santé,
malgré la qualité du reste de la distribution, très en verve. Il est également clair que le film surfait sur la vague d'un vaste rejet des affairistes, des banques, des boursicoteurs, des coquineries, escroqueries, filouteries que la République radicale avait érigé au rang de principes intangibles. S'appuyant sur un antisémitisme plus narquois (et même complice) qu'agressif et sur l'insouciance aveugle des Années 30, celle de Tout va très bien, madame la marquise et de Amusez-vous, foutez-vous de tout, Ces messieurs de la Santé
est un témoignage bien intéressant sur la course à l'abîme, finalement…
Page générée en 0.0051 s. - 5 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter