Tout est parfait dans ce charmant marivaudage délicatement acidulé : le scenario, les dialogues, le jeu des acteurs, le décor (un immense et étonnant château du Rousssillon), la musique de Serge Gainsbourg. Disons seulement que ça serait encore mieux si on connaissait le dénoûment de l'intrigue amoureuse entre Miguel et Fifine. Vont-il se réconcilier ? Nous ne le saurons jamais.
Et j'étais tout prêt à englober L'eau à la bouche dans la même indifférence, me rappelant seulement la mélodie et la sensualité extrême des paroles de Serge Gainsbourg
dans ce qui fut sa première composition pour le cinéma et son premier grand succès public. J'avais tort, car si la musique est parfaite, le film est bien loin d'être négligeable.
Un peu de cruauté, donc ; mais il faudrait aussi gommer la prestation honteuse du sinistre Galabru, ici aussi épouvantable que pourrait l'être un Jean Richard,
dans un rôle de larbin mal stylé, consommateur compulsif de soubrettes qui met une touche grotesque, baroque, inconvenante dans ce qui serait sans lui un film élégant. C’est comme si Rohmer
avait fait intervenir Darry Cowl
au milieu du Genou de Claire.
Élégant, un peu triste aussi au regard des acteurs et actrices qui y figurent, qui ne manquaient ni de beauté, ni de charme, ni de talent, mais qui ont eu, finalement, une carrière un peu en sourdine ; ne sont en tout cas jamais arrivés à aller un peu plus haut que le second rang. Je mets naturellement à part Bernadette Lafont qui a tutoyé la célébrité, mais demeurera plus dans la mémoire, et sans doute à tort, comme une égérie qu'une grande actrice.
Dans une grande demeure ‘’Art nouveau’’ des environs de Perpignan, c’est un chassé-croisé amoureux raffiné, subtil, peut-être un peu artificiel quelquefois, un peu vain, même, mais jamais prétentieux ni ennuyeux. Autrement dit, malgré une certaine préciosité dans les cadrages, ce n'a jamais la lourdeur de Marienbad…
L'eau à la bouche est un film effectivement moins connu que la chanson éponyme de Gainsbourg.
Il y a de nombreux exemples similaires: ainsi peu de gens savent que "Les copains d'abord de Brassens fut écrite spécialement pour Les copains
de Yves Robert,
et la chanson de Aznavour
Paris au mois de d'août
est plus également plus célèbre que le film pour lequel elle fut composée. Il faut dire que le film de Yves Robert
et surtout celui de Pierre Granier-Deferre
ont longtemps été difficiles à voir alors que les chansons courent encore dans les rues "longtemps après que les poètes ont disparu".
L'eau à la bouche est un film qui représente une certaine idée de l'élégance à la française grâce au charme des comédiens et des comédiennes, à la musique de Gainsbourg,
au somptueux cadre où l'intrigue se déroule, à la beauté du noir et blanc, à la sophistication des dialogues et des mouvements de caméra -malgré quelques zooms étonnants pour une oeuvre de 1959.
J'ai éprouvé bizarrement une certaine mélancolie, comme Impétueux, à regarder ce film. A cause de ce sentiment de voir un monde disparu ? Ou de voir des acteurs et actrices qui effectivement, n'ont pour la plupart d'entre eux pas eu la carrière méritée malgré leur potentiel ? Un peu des deux.
Certes Gerard Barray a été une vedette des (médiocres) films de cape et d'épée français dans la lignée de Jean Marais.
Mais paradoxalement, les deux acteurs à avoir fait les carrières les plus solides sont les deux domestiques, Galabru,
dont la présence détonne ici il est vrai (mais en le choisissant plus "bouffon", l'auteur ne voulait-il pas exprimer une différence de classe sociale ?) et Bernadette Lafont.
Signalons en outre que certains collaborateurs techniques du film, comme Claude Zidi ou Nadine Trintignant
ont fait un beau parcours après L'eau à la bouche,
sans parler de Gainsbourg,
qui venait tout juste de publier "le poinçonneur des lilas".
Ceci dit, malgré ses évidentes qualités, il est permis de trouver ce charmant marivaudage un peu trop léger en raison de péripéties réduites au minimum et d'une psychologie des personnages assez sommaire.
De plus, Jacques Doniol-Valcroze a de mon point de vue fait mieux par la suite avec La dénonciation,
La maison des Bories
voire ses feuilletons télé comme Le tourbillon des jours
ou Les fiancés de l'empire.
Mais ne soyons pas farouche et décernons une mention "assez bien" à L'eau à la bouche.
Page générée en 0.0031 s. - 5 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter