Ce film d'Arthur Penn mérite d'être salué sur ce Forum. Sorti en 1970, il appartient à un moment du cinéma américain où l'on jette un nouveau regard sur l'épopée de la conquête de l'Ouest. Ce regard est celui de Jack Crabb (Dustin Hoffmann), un adolescent élevé par les Cheyennes avant qu'il ne retrouve les Blancs et une nouvelle éducation dans un monde bien surprenant pour lui. Ce Candide va vivre des aventures picaresques, qui le mêleront, de près ou de loin, aux événements et aux personnages légendaires et historiques de l'Ouest : (de Tom Mix à Buffalo Bill en passant par le général Custer).
La première partie du film propose un récit alerte qui fait la part belle à l'humour et l'ironie à travers de savoureux portraits de personnages rencontrés par le jeune Jack Crabb : par exemple, il est abasourdi par la truculence de Mme Pendrake qui bafoue si joyeusement ses préceptes religieux ; ou encore par le tranquille cynisme du charlatan Merryweather que l'on croirait échappé d'une aventure de la bande dessinée « Lucky Luke » de Morris. Passant de surprises en étonnements, Jack Crabb connaît aussi déceptions et désillusions.
Mais la seconde partie du film devient plus grave, et, spectateur moins Candide, il assiste à l'enchaînement inéluctable des événements, et, notamment, au massacre prévisible, voire programmé, des Indiens par les Blancs et les Tuniques bleues. Une extermination qui prend, d'abord, un aspect économique comme le démontre la représentation d'un Buffalo Bill en grand chasseur de bisons, alors que ces derniers constituent la nourriture des Indiens. S'ensuit l'anéantissement des Indiens par l'Homme blanc lors de l'évocation poignante du massacre de Little Big Horn perpétré par un Custer dépeint comme un homme narcissique, paranoïaque, belliciste et, surtout, ridicule. Sans doute, faut-il y voir le portrait de Nixon (et de bien d'autres hommes de pouvoir encore : suivez mon regard…) et une claire allusion au conflit vietnamien.
Bien avant celui de Kevin Costner (Danse avec les Loups, 1990), le regard dénué de complaisance porté par Arthur Penn sur la Conquête de l'Ouest rétablit la vérité historique et ouvre ainsi la voie à un Sergio Leone (Il était une fois dans l'ouest, 1969) ou, plus près de nous, à un Clint Eastwood (Impitoyable, 1992).
Toutefois, au-delà de sa dimension historique, Little big man insiste sur l'idée selon laquelle, peu ou prou, l'éducation est foncièrement négative dans la mesure où elle anéantit les illusions de l'adolescence et tout idéalisme. C'est ainsi que le film s'achève, peu après la bataille de Little Big Horn, par un retour en arrière sur le plan du vieux Jack Crabb, âgé de 121 ans, dans un hospice pour vieillards, qui ouvrait le film. Autrement dit, le spectateur ne saura rien de la vie d'adulte de Jack Crabb : un silence ô combien significatif ! N'est-ce pas le propre de toute vie que de détruire les rêves ? semble dire Arthur Penn en présentant en un long plan fixe final le vieux visage parcheminé de rides de Jack Crabb…
Je suis en train de le revoir et donc de le redécouvrir. Si, après l'avoir découvert à sa sortie, je me suis toujours dit qu'il y avait des scènes manquantes ou des ellipses importantes, la version dont je dispose fait 134 minutes alors qu'à l'origine et selon les versions le film dure de 139 à 149 minutes. 15 minutes, c'est beaucoup pour avoir une autre vision d'un film !
Ce film serait un peu comme une partie de ping-pong où Jack Crabb, héro « malgré lui » évolue d'un camp à l'autre au gré des évènements. Ce qui surprend surtout c'est le ton du film. Il évolue entre une vision picaresque des faits et des personnages et une certaine violence des images.
Première confrontation de Jack Crabb avec la violence et un autre monde :
Jack Crabb est avec sa sœur Caroline le survivant d'une attaque d'indiens contre un de ces convois qui emmenait des gens pleins d'espoir vers l'Ouest Américain pour y faire fortune.
Recueillis par un indien d'une tribu non hostile, Caroline préférera s'éloigner discrètement du camp laissant son frère Jack aux bons soins de ses bienfaiteurs qui pourvoiront à son éducation. On retrouve sur un ton très différent cette initiation dans Danse avec les loups sauf qu'il y a un monde entre celui de l'enfance et de l'adolescence avec celui des adultes. Dans The searchers John Ford complète notre formation avec d'autres anecdotes liées au monde des indiens…
Seconde confrontation de Jack Crabb avec la violence et un autre monde :
Les escarmouches qui opposent indiens et blancs avec des moyens techniques très différents (tomawak, javelot arc et flèche contre carabine à répétition Henry) remettent Jack Crabb en contact avec la civilisation blanche où il retrouve soudainement l'usage de la langue anglaise. Accueilli par le pasteur Pendrake et la belle madame Pendrake (Faye Dunaway) il découvrira et la religion et les mille délices d'un bon bain avant de constater que la belle madame Pendrake assouvit ses désirs frustrés avec l'épicier du pays.
D'autres expériences d'un monde violent :
Il vivra alors d'expérience en expérience, découvrant le monde d'un curieux vendeur ambulant de remèdes et potions « magiques » avant de se retrouver, comme dans les aventures de Lucky Luke, couvert de goudron et de plumes, retrouvant Caroline, sa sœur, et se découvrant une rare habileté au pistolet qui le fera devenir « Kid Limonade » avant que, confronté à un de ces éclats sanglants, il préférera abandonner les armes pour le métier de commerçant après avoir épousé une suédoise avant que grâce à un associé peu scrupuleux il ne connaisse les affres de la faillite et rencontre le général George Armstrong Custer…
Les épisodes se succèdent :
Si une suite d'épisodes se succèdent de façon implacable le conduisant à vivre toutes sortes de situations dans lesquelles la violence marque une présence quasi constante, vivant boucherie sur boucherie, ces massacres irréels et pourtant bien historiques qui ponctuent l'histoire de l'Ouest américain, accompagnés des sons des fifres et des tambours, les hasards de ces moments le ramènent vers des figures qu'il a côtoyées et auxquelles le temps a parfois réservé bien des surprises.
Certain des « êtres humains » exprime son homosexualité tandis qu'un autre réprouve un monde et est devenu un « contraire » et qu'un autre continue de lui vouer une rancune permanente. La rencontre d'une indienne l'amène à revenir vers ceux qui l'ont adopté et celui qui lui témoigne une affection réelle. Et, alors qu'il a satisfait aux appétits sexuels des 3 sœurs de celle qui est devenue sa compagne, au petit matin c'est l'attaque d'une rare violence du camp indien, n'épargnant rien y compris les poneys.
Jack Crabb se retrouvera dans un de ces villages bâtis à la hâte où se retrouvent les pionniers, se saoulant à mort avant de revoir Wild Bill Hickok, l'un de ces illustres tireurs de l'Ouest dont les jours seront soudain sans lendemain parce qu'une balle vengeresse tirée par un gamin aura fait « justice ». En ces mêmes lieux, le hasard le remet en présence de celle qui lui avait inculqué les « bonnes manières » et « une éducation chrétienne » et qui est devenue une de ces créatures déchues qui vendent leurs charmes aux hommes et pour laquelle quelques dollars en grosses pièces d'or vont permettre de pouvoir espérer un avenir plus « brillant ». Et conjonction spéciale des évènements et des chemins de la destinée, son acolyte de marchand de remèdes à qui la vie a encore ôté quelques membres, rançon indispensable pour qui veut vivre en prenant des risques.
La chute de Custer :
Pour Jack, le désir de vengeance est important mais le passage à l'acte semble tout à la fois peu évident et contrarié par les évènements eux-mêmes. Finalement, guidé par tous ses délires Custer se retrouvera à Little Big Horn, massacré avec ses hommes. Quant à Jack Crabb, blessé, il se retrouvera au milieu de ses amis indiens emmenant son « bienfaiteur » vers sa dernière demeure…mais était-ce un bon jour pour mourir ? Les « êtres humains » avaient de ces légendes…
Jack Crabb, alias Dustin Hoffman, 121 ans nous fait le récit d'un moment de sa vie, mi-blanc, mi-indien.
C'est une part de la légende d'un peuple, d'une civilisation, que nous raconte ce film. Les images sont superbes et l'interprétation bonne. Pourtant, il lui manque cette puissance dramatique qui fait les très grands films. Son poids aura été d'exister et de nous apporter une vision autre d'un peuple décimé par le génocide américain.
Je complète mon intervention :
d'abord la note : il me paraît difficile de monter celle-ci… la réédition : bien sûr si le film a été réellement mutilé ! il y a certainement des scènes qui complètent le film et nous apportent une vision toute autre !
Ensuite :
c'est amusant de comparer l'oeil du cinéaste quand, il y a quelques jours, je revoyais Le massacre de fort Apache et cette vision d'un lieutenant-colonel Thursday… presque sosie de Custer. La vision de l'homme apparaît très différente surtout quand on sait que Penn visait aussi le cadre de cette guerre du Viet-Nam et les massacres qui y avaient été perpétrés assez… gratuitement !
Il serait intéressant de pouvoir établir un comparatif des films qui ont repris le même personnage et l'ont ou bonifié ou sabré (je ne l'ai pas fait exprès !…)
Malgré l'abondance des péripéties, le film n'est pas touffu ; bien sûr parce qu'il dispose d'une durée suffisante pour exposer les aventures de Jack, mais aussi, sans doute, parce que les caractères sont simplistes et les faits exposés avec une fausse naïveté qui est le maître-mot des meilleures roublardises. Arthur Penn filme d'excellents acteurs dans des paysages souvent fort beaux et de façon très rythmée. Un peu long, un peu trop manichéen, ne reculant pas devant la violence des images et des situations, c'est tout de même un excellent film qui confirme le talent de réalisateur d'Arthur Penn.
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