Identification d'une femme, derrière ses allures de roman-photo mondain, exprime de toute évidence, et avec un brio artistique incontestable, une vision de l'univers, qui est celle de son auteur, Antonioni.
Des fenêtres (omni-présentes dans ce récit) délimitent la frontière entre le milieu naturel, végétal, minéral, si paisible et harmonieux, et le territoire des humains, si tourmenté et compliqué.
Ce dernier est (dé)structuré par des portes, des escaliers, qui créent des barrières horizontales et verticales plus ou moins franchissables. La montée d'un escalier devient parfois une épreuve, tant physique que psychologique, s'apparentant à la montée du mont Everest : ainsi la séquence de la 19° minute, au cours de laquelle l'homme et la femme font marche arrière à quelques encablures du sommet de cet escalier.
Des règles sociales visent néanmoins à recréer des accords harmonieux de forme, de lumière, de matière, de temporalité, de spacialité. C'est ainsi avec délicatesse que l'on va saluer madame la Comtesse, entre deux tranches de foie gras, sous le regard vigilant de l'empereur romain, qui veille au grain.
Loin des copulations artistiques, qui parsèment leur vie privée, et manifestent leur part animale, l'homme et la femme font bonne figure dans le salon mondain, et se rassurent. Oui, ils sont bien des Dieux en miniature, dont la puissance n'a d'égale que celle du Soleil.
Mais une inquiétude sourde perce peu à peu l'esprit éclairé de l'artiste. Et si tout cela n'était qu'un rêve ? Et s'il convenait tout simplement de suivre la météorite à lunettes, qui échappe à tout pouvoir d'attraction, et qui trace son propre chemin dans les cieux infinis ?
Bizarre, étrange, incompréhensible, et tout ce que l'on veut, mais aussi maîtrisé, novateur, puissant. Dans le luxueux palace vénitien, l'homme et la femme rencontrent un monde aseptisé, qui obéit à ses règles propres, qui accueille des hôtes répondant à un certain schéma mental, traduit par des réflexions décalées. Les instants d'avant, l'homme et la femme avaient croisé d'autres mondes, d'autres logiques (représentants de la classe populaire, prostitués ou trafiquants). Les images muettes soulignent le télescopage de différents mondes, et le mystère du développement de la société humaine. La ferme accueillant des chevaux, proche de la nature paisible, jouxte de grands ensembles populaires.
L'imagination du spectateur est mis à forte contribution pour donner un sens à tout ce qui lui est présenté (façon Mulholland Drive). Les relations entre l'homme et ses compagnes, dont on pénètre l'intimité, sont soumises à notre appréciation subjective. Leur moments de rupture possèdent par le biais de la mise en scène, des images et des sons, une forte consistance. Les images sont constamment magnifiques, et puissantes (les dix dernières minutes par exemple, débutant par la montée des marches de l'escalier), les déplacements merveilleusement filmés, les dialogues de haute volée (à mon sens). Très beau film d'auteur, mais qui ne conviendra pas vraiment à monsieur et madame Michu.
Je n'ai pas été déçu du voyage : Antonioni, en 1982, pour son presque dernier film est resté l'enquiquineur officiel du cinéma mondial qu'il était devenu avec L'avventura, en 1960, recevant année après année, Lion, Ours ou Palme d'Or à Venise, Berlin et Cannes. Ça ne dure qu'à peine plus de deux heures, mais j'ai l'impression que ça m'a pris l'après-midi tant c'est lourd, long, lent et fuligineux.
Mon 1, que je pourrais hausser jusqu'à 1 1/2 si la chose était ici techniquement possible ne tient qu'à la beauté de Rome, à quelques images de Venise et au charme de Christine Boisson, belle actrice qu'on n'a jamais beaucoup vue, sinon dans des bêtises.
Mais pour le reste ! Même genre de mystères irrésolus que dans Blow-up additionné à une vacuité insupportable des personnages qu'on ne parvient pas à définir et, surtout, à qui on ne peut s'attacher une seconde tant leurs comportements apparaissent absurdes et creux. Mais, me dira-t-on avec quelque apparence de logique, deux femmes singulières, une deuxième partie qui ne paraît avoir que des rapports surprenants avec la première, ça ne vous fait pas penser à Mulholland drive, dont vous êtes féru ? Que nenni ! Outre que, pour qui le regarde avec assez d'attention (allez, soyons franc : pour qui le voit deux fois), l'évidence de l'interversion des parties et de la rêverie douloureuse de Betty (Naomi Watts) explique le propos de David Lynch, le rythme, la survenue d'épisodes autonomes glaçants ou drôles, la beauté des images et de la musique, l'étrangeté extrême différencient complètement les inspirations.Il me semble qu'Antonioni est un cinéaste de la banalité souhaitée, voulue, revendiquée ; et ce n'est pas parce que ses films se déroulent dans un milieu fortuné qu'il en est autrement : tous les cinéastes habitués aux réceptions où le Bollinger coule comme l'eau n'ont cessé de jeter de gros yeux sur la vacuité des créatures qu'ils présentent aux spectateurs vertueux : Fellini dans La dolce vita, Resnais dans L'année dernière à Marienbad ou (déjà) Antonioni dans La nuit. Les protagonistes ne savent pas parler, ne savent pas aimer, ne savent pas rire.
Identification d'une femme est d'une pesanteur effrayante, chacun se prenant au sérieux et souhaitant que le spectateur en fasse autant. Et les scènes d'amour charnel sont soit glaçantes, soit ridicules comme celle où Niccolo (Tomas Milian) et Mavi (Daniela Silverio) font l'amour sous un drap artistement agité par un zéphyr voyeur : on se croirait dans un film de David Hamilton… Et puis était-il bien nécessaire de filmer Christine Boisson nue assise sur la cuvette des toilettes ? Ce genre d'images a un sens dans Eyes wide shut pour montrer le peu de cas que Bill (Tom Cruise) fait d'Alice (Nicole Kidman), mais là, il apparaît comme gratuitement obscène…Bavard, verbeux jusqu'à l'insupportable, tourné dans des tonalités bleues très froides, Identification d'une femme dégage un ennui profond qui est, d'ailleurs peut-être toute l'ambition du réalisateur. Il suffisait, au début des années 60 de voir le visage des spectateurs qui sortaient des salles où l'on projetait ses films pour en être édifié.
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