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De lych666, le 8 février 2007 à 11:08

Non, je ne mettrais pas de note au dernier Lynch, je ne dirais pas non plus que j'ai aimé ce Inland Empire. Peut on parler d'aimer un tel film? Je ne sais pas, en tous cas, toute tentative de rationalisation ou d'explication est sinon impossible, au moins très difficile.
Il était déjà difficile de parler de Lost Highway et Mulholland Drive, et je me surprenais parfois à rire devant certains commentaires que j'ai pu lire ou entendre, qui tentaient d'expliquer les films dans le but de les rendre cohérents.
Alors, si vous avez été frustré par ces deux précédents films, si l'incompréhension vous dérange, je vous déconseille ce Lynch en roue libre totale qui va encore surement en agacer plus d'un.

Déjà, hier, à la première séance de projection, excité depuis deux mois, j'arrive une demi heure en avance pour être sûr (on ne sait jamais). Quand la jolie fille du guichet m'offre mon entrée gratuite après un clin d'oeil discret (sans dec'), je me dis, ce film va être génial…
Premières minutes, le ton est donné, (je ne préfère pas trop en parler), l'utilisation du numérique décale completement la perception des scènes et je suis étonné de voir que personne dans la salle ne s'en va indigné en marmonnant des "n'importe quoi" d'indignation. Moi, je me contente de penser "la vache, David, t'as fait fort sur ce coup là". Puis la pâte finit par prendre et j' arrive à la fin de l'hypnose, au bord du rire nerveux, complètement abasourdi, sans me rendre compte de ce qui vient de m' arriver après ces 3 heures de projection.

Ai-je rêvé éveillé? J'avais parfois l'impression d'être entre le sommeil et l'éveil, à penser inconsciemment aux liens qui relient les scènes entre elles, procédé déja utilisé dans Lost Highway et Mulholland drive, mais Lynch va encore plus loin avec ce Inland Empire, encore plus loin que Eraserhead, il va au delà de son réseau labyrinthique, il perce la toile comme Laura Dern perce la soie avec une cigarette dans une des multiples scènes symboliques du film. Chaque scène trouve sa place quand on connait la suite du film, il faut jouer le jeu sur l'instant présent pour pour pouvoir apprécier le passé ultérieurement (comprend qui veut).
Mais je savais que je ne dormais pas quand parfois, le son allié à l'image m'effrayait tellement, que tous mes poils se dressaient comme moi sur mon siège, parcouru d'un frisson incontrôlable.
David Lynch a créé un film libre, sans concession pour la compréhension du spectateur, et a embarqué les acteurs avec lui, acteurs, comme toujours, parfaitement dirigés avec une Laura Dern très impressionnante, tour à tour actrice, séduisante, effrayante, angoissée, perdue, méconnaissable…

Il est en tous cas plaisant, de voir que des réalisateurs tels que David Lynch existent et puissent aller au bout de leur projet grâce à leur notoriété déjà gagnée avec un public prêt à le recevoir. La question est désormais de savoir : Si Inland Empire avait été réalisé par quelqu'un d'inconnu, aurait il eu des critiques si favorables? Ce film est tout de même à réserver à un public averti je pense… J'ai trouvé, pour ma part, l'expérience impressionnante et marquante, ai-je aimé le film? Je ne sais pas, ai-je réagi? Sûrement…


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De Gaulhenrix, le 8 février 2007 à 13:08

Le récit de votre expérience et les remarques concernant le film ont le mérite de l'authenticité et, frappés au coin d'un bon sens très appréciable, laissent perplexe : Lynch s'enfonce-t-il dans une expérimentation solitaire, voire onaniste, ou défriche-t-il les chemins d'un nouveau cinéma ? Je prends rendez-vous une fois que j'aurai visionné Inland empire

Mais, à vous lire, Lych666, quel chemin parcouru depuis le troublant Blue velvet : le rideau de velours bleu ne sépare plus deux univers – il n'y en a plus qu'un ; le spectateur n'est plus invité à aller voir de l'autre côté – il est à la fois devant et derrière, immergé dans cet univers double…

Et pour revenir à votre texte "Le son allié à l'image m'effrayait tellement, que tous mes poils se dressaient comme moi sur mon siège, parcouru d'un frisson incontrôlable", peut-être Lynch s'inspire-t-il de Gérard de Nerval (Aurélia) : « Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible."


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De Impétueux, le 8 février 2007 à 15:31
Note du film : 3/6

Depuis huit jours, je m'interroge : irai-je ou n'irai-je pas ? Si je n'y vais pas c'est de crainte que le grand Lynch ait, cette fois, dépassé la mesure, et fait tomber l'obstacle qu'il tutoie depuis plusieurs films avec un immense talent… Et s'y vais, je vais me trouver toutes les raisons du monde pour ne pas être déçu, ou trop désarçonné…

En tout cas, bravo lych666 pour cette relation d'une étrange expérience : on s'y voit, on s'y croit ![artiste=


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De lych666, le 8 février 2007 à 15:35

"le spectateur n'est plus invité à aller voir de l'autre côté – il est à la fois devant et derrière, immergé dans cet univers double…"

Oui, remarque très judicieuse Gaulhenrix, sauf que l'univers dans Inland Empire n'est plus double, il est multiple, à tiroirs, et le temps se dilate, se fractionne, alors que parrallèlement, les personnages s'intervertissent… Pfff! Je ne comprends même plus ce que je dis… Je préfère en rester là et vous laisser vierge pour votre prochaine séance… En attendant impatiemment vos remarques toujours si éclairantes…


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De Gaulhenrix, le 8 février 2007 à 15:52

J'avais, en effet, hésité à compléter la fin de ma phrase ("univers double…") par "voire multiple.", de façon à retranscrire la complexe évolution depuis Blue velvet. Mais ne sommes-nous pas encore, même avec ses derniers films, entre visible et invisible?


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De lych666, le 8 février 2007 à 16:05

Merci, Impétueux.
Votre crainte est tout à fait légitime, mais entre nous, est-ce mal de se trouver de bonnes raisons pour ne pas être déçu par un film?
Gaulhenrix, au sujet du visible et de l'invisible, vous verrez bien!(:D)


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De vincentp, le 8 février 2007 à 20:22
Note du film : 6/6

Effectivement, si David Lynch n'avait pas réalisé des films rationnels (Une histoire vraie, Elephant man, Blue velvet), ses films irrationnels n'auraient probablement pas eu le même retentissement (ou un retentissement immédiat), même s'ils sont très bien filmés. Un film expérimental qui de mon point de vue ressemble à ce que fait Lynch, à savoir A travers la forêt de notre Civeyrac national, et qui est pétri de qualités (mais il existe bien d'autres films identiques), est ainsi passé inaperçu à sa sortie il y a deux ans. Pire, il a fait l'objet de nos sarcasmes. Honte à nous ! Au piquet, Impétueux.

Pour sortir avec succès des sentiers battus, il faut peut-être au préalable se faire connaître, acquérir un public, par des œuvres assez classiques.

Ou alors prendre le risque d'une reconnaissance post-mortem (comme beaucoup de peintres), car la reconnaissance d'un artiste original peut prendre du temps. Remarque : Une amie de ma grand-mère, qui avait en pitié Nicolas de Staël (il faisait partie de sa famille), lui avait acheté plusieurs tableaux pour quelques sous à une époque ou celui-ci était dans la dèche, et ne vendait pas de tableaux. Il convient peut-être aujourd'hui de racheter la bobine originale de A travers la forêt .


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De lych666, le 9 février 2007 à 11:37

C'est frappant que vous mentionnez Nicolas De Staël, Vincentp… Je suis allé à une de ses expositions, il y a quelques années, lors d'un séjour à Paris… On avait aménagé un étage du centre Pompidou rempli d'oeuvres du peintre… J'y étais resté 3 heures (durée de Inland Empire), puis comme mes jambes et mon dos commençaient à s'engourdir, ce qui m'arrive souvent dans les musées, j'ai accéléré le mouvement sur la fin, baclant plusieurs visions de tableaux, ces derniers étant exposés dans l'ordre chronologique de leur création.

J'ai tout de même pu constater l'évolution du style de l'artiste: à ses débuts, très travaillé, dans ses toiles d'inspiration marine, destructurées, souvent torturées (je crois que De Staël s'est defenestré pour mettre fin à ses jours) avec la peinture à la truelle qui ressort du tableau en amas de croûte. Puis son style, dans un sens, s'est épuré, simplifié, la peinture s'est fluidifiée, aplanie, pour ne laisser que l'essentiel, le brut; je pense notamment à ses joueurs de foot taillés dans des blocs de couleurs, très impressionnants, car sur la toile sans relief, malgré leur caractère informe, on peut les voir en mouvement…
Beaucoup d'artistes ont suivi ce chemin, Chemin qui souvent traduit une volonté d'accomplir, de partager quelque chose de personnel, de créer quelque chose de nouveau quitte à dérouter les fidèles.

Je pense que David Lynch, qui était peintre avant d'être cinéaste, a suivi ce chemin. C'est apparamment lui qui aurait géré l'écriture du scénario mais aussi le montage, la bande son, le mixage et la production (avec Laura Dern) de Inland Empire. Ce qui est peut être trop à la fois.
L'oeuvre de Lynch sur le visible/invisible (comme l'a dit Gaulhenrix) est peut-être une démarche Lynchéenne à suivre comme une série de films pouvant se relier entre eux*, en partant du film le plus rationnel Blue Velvet (qui devait durer environ neuf ou six heures à l'origine, je ne sais plus**), pour passer à Lost Highway, et de Mulholland Drive à Inland Empire le plus abstrait.
N'oublions pas que le premier long métrage de Lynch est Eraserhead qui est tout de même loin d'être facilement abordable et ressemble plus à un cauchemar qu'à un film… Peut-être que Lynch à voulu développer ce qu'il voulait faire avec Eraserhead, mais cette fois ci en touchant un public à petit feu, faisant pénétrer, infuser de plus en plus chacun de ses films de ce mystère si étrange qui explose littéralement dans Inland Empire mais qui n'est peut-être plus aussi perceptible et recevable à cause justement du manque de contraste avec la rationnalité habituellement présente dans ses autres films…

Franchement, je ne sais pas quoi en penser… En tous cas, votre dernier message Vincentp m'a donné en vie de découvrir ce Civeyrac tant mentionné et de visionner A travers la forêt

* N'oublions pas que Lynch a expérimenté le format série avec Twin Peaks avant Lost Highway
** Les scènes supplémentaires sont disponibles dans les bonus du DVD, scènes non filmées, simplement photographiées comme dans La jetée de Chris Marker.


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De RdT, le 9 février 2007 à 16:07

«Un film expérimental qui de mon point de vue ressemble à ce que fait Lynch, à savoir A travers la forêt de notre Civeyrac national, et qui est pétri de qualités (mais il existe bien d'autres films identiques), est ainsi passé inaperçu à sa sortie il y a deux ans. Pire, il a fait l'objet de nos sarcasmes. Honte à nous ! Au piquet, le "Impétueux".»

Allons allons Vincentp, ne soyez pas trop dur avec notre ami Impétueux…

Qui donc a écrit :

«Civeyrac est l'horizon insurpassable de la cinématographie ! Il complète et résume tous les talents qui, depuis 1895, n ont été que des ébauches graisseuses et inabouties de son lumineux génie !»

Qui donc a écrit cette affirmation superlative, la plus superlative de toutes celles qui ait été écrites sur Civeyrac? Est ce Gacougnol dans «Positif»? Est-ce Emerance de Champ d'Azur dans «Les cahiers du cinéma»? Est Childebert Lanthier dans «Les Inkroshfuzibles»?

Non, aucun de ceux là n'aurait risqué le superlatif, et d'ailleurs auraient ils essayé qu'ils n'y seraient pas arrivé, ils ne savent pas écrire… Ce n'est aucun de ceux là, c'est quelqu'un qui, lui, sait manier le français, c'est Impétueux sur le forum d'A travers la forêt, et sur un fil de discussion où il était déjà beaucoup question de David Lynch. Ce qui me fait conclure que ce sont peut être ces phrases là qui seront citées dans les encyclopédies de cinéma dans deux cents ans à la page Civeyrac

Les ruses de l'histoire sont parfois impénétrables.

A travers la forêt est sorti inaperçu… De certains… mais pas de tout le monde… En tout cas pas d'Impétueux!!!

Quant à Inland Empire, pas de risque de l'inapercevoir. C'est un met de choix dont je vais bientôt me délecter. Il y a même risque que j'en reparle.


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De Impétueux, le 9 février 2007 à 17:25
Note du film : 3/6

Tel Erostrate (voir ce nom sur votre Google favori), je prends le risque de ne subsister que par mes crimes, mes manquements, mes insuffisances, voire mes injustices…

Après tout, si Saint-Simon n'avait pas été agacé par la volonté du Grand Roi d'abaisser la haute noblesse, aurait-il donné tant de suc à ses Mémoires ?

Si Civeyrac a quelque talent, ce qui n'est pas exclu, juché sur un nuage, au Paradis, j'apprécierai l'ironie du sort qui m'en aura fait le thuriféraire involontaire, grâce aux citations habilement découpées que RdT, évidemment plus jeune que moi, donc mon vraisemblable survivant. Et s'il n'en a aucun, je m'amuserai avec bonhomie des efforts démesurés que le même RdT produira pour que l'oubli passe moins vite…

Cela dit, nous ne nous posons pas les mêmes questions pour David Lynch


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De lych666, le 9 février 2007 à 18:25

Propos pompés sur Wikipédia:

Le mythe d'Érostrate illustre :

  • la rage destructrice qui s'empare parfois de celui qui se sent impuissant à briller par aucun talent ;
  • l'impossibilité de faire taire un secret nuisible ;
  • la concomitance d'événements heureux et malheureux.

Dans sa nouvelle Le Mur (1939), Sartre en résume le mythe en quelques lignes :

« – Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d'Éphèse, une des sept merveilles du monde.
"- Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ?
"- Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom.
"- Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si mauvais calcul. »

On ne se souviendra peut-être pas de Civeyrac mais on se souviendra surement de Impétueux. (;D)


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De RdT, le 12 février 2007 à 09:53

«Tel Erostrate (voir ce nom sur votre Google favori)»

Quoi qu'apprends-je? Monsieur Google aurait aussi écrit sur Erostrate? Monsieur Google a donc écrit sur tout le monde. Mais que voulez vous je refuse de lire quoique ce soit, écrit par ce Monsieur Google. Qu'il soit un historien, un nouveau philosophe ou un littérateur de génie je ne veux pas le savoir. Je n'ai donc pas consulté ce que Monsieur Google avait écrit sur Erostrate. Ça ne m'intéresse pas.

Heureusement, j'ai chez moi, un excellent ouvrage du Chevalier de Cramezel (1722-…) intitulé : «Éthologie, ou Le coeur de l'homme , ouvrage, où après avoir parlé des principes de toutes nos actions, on entre dans le détail des vertus et des vices, à l'égard de Dieu, de soi-même et de la société… » (imprimé à Rennes en 1756 par J. Vatar).

Le Chevalier de Cramezel consacre deux pages à Erostrate. On y peut lire:

«Erostrate ou Erastotrate, de la ville d'Ephèse, était un homme de néant. Possédé par la folle ambition de faire parler de lui, il s'avisa de mettre le feu au temple de Diane, qui était l'une des sept merveilles de monde. Les Ephésiens, après l'avoir puni rigoureusement, défendirent sous peine d'amendes considérables de prononcer son nom afin de le frustrer après sa mort de l'espèce d'immortalité qu'il avait cru de son vivant mériter par une action impie et sacrilège. Ils furent trompés dans leur louable projet, puisque l'histoire nous a conservé le nom de ce fameux incendiaire, et le transmettra à la postérité la plus reculée.»

L'excellent Chevalier de Cramezel (né en 1722, sans qu'on connaisse sa date de décès…) s'était-il rendu compte de la paradoxale génialité de ce qu'il avançait?

Qui se souvient aujourd'hui qu'Erostrate, s'appelait peut être en réalité Erastrotrate? Et c'était ce dont on écrivait en 1756… Mille ans avant on aurait peut être cité trois cent autres prénoms tous aussi fantaisistes les uns que les autres, et deux mille ans avant : trois mille, etc.., etc…

Ah! Impétueux vous avez été bien avisé de citer l'Erostrate de Monsieur Google. Pour un Erostrate, Erastotrate, Eristotrate, Aistotrate ou Burostrate oublié, combien y a-t-il de Chevalier de Cramezel immortels?

Et tous tant que nous sommes, nous ne savons pas en l'honneur de qui DVDtoile jouera le rôle du Chevalier de Cramezel. Sera-ce en faveur de Civeyrac? Godard? Guitry? Becker ou Jean de Tinan?

Et tous ces augustes personnages à la gloire éphémère ont-ils vraiment besoin de nous?

Aucun rapport entre le Chevalier de Cramezel et David Lynch me direz vous. Pas si sûr, mais je développerai ça plus tard.


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De Impétueux, le 16 février 2007 à 18:38
Note du film : 3/6

Bon ; je sors de Inland Empire et j'ai le sentiment d'être plus encore embrouillé que lych666 disait l'être il y a quelques jours.

Forcément on se demande si le Lynch qu'on aime, toujours sur la ligne de crête des obscurités allusives, des ellipses énigmatiques, des ombres impalpables n'a pas, cette fois, franchement décroché pour passer carrément dans le n'importe quoi.

Et puis, peu à peu, reviennent en tête, remontent en surface, des images fortes, des bribes de séquence, des morceaux de dialogue.

Et l'on se dit que si, deux heures après ça commence à reflotter, demain matin, dans trois jours, dans une semaine, la carcasse de ce sous-marin de l'inconscient, presque totalement immergé au moment où j'écris ces lignes, va apparaître sinon dans une lumineuse cohérence, du moins dans une force d'évidence lynchienne.

Comme les autres contributeurs, je suis certain que si le film n'était pas signé de Lynch, il ne pourrait trouver ni producteur, ni public. C'est un peu, d'ailleurs, sa limite : que l'on soit amené à faire un effort pour apprécier une oeuvre aussi complexe n'est pas absurde ; mais on ne peut non plus accepter trop longtemps que l'auteur n'y mette pas un peu du sien.


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De mvd, le 17 février 2007 à 13:20

Chers messieurs,

à force de vous lire, on a l'envie de participer. J'ai vu que pour parler d'Inland Empire on avait cité Erostrate, parmi d'autres. Sans doute là où il n'y a rien, j'ai vu une coïncidence. Ne pensez-vous pas que l'histoire d'Erostrate nous fournit la réponse à la question de Lych666 et d'Impétueux "ce film aurait-il été si bien accueilli (et apprécié), s'il n'avait pas été de Lynch" ?

J'ai quelques informations sur Erostrate, cet "Ephésien obscur qui incendia le temple d'Artémis à Ephèse pour faire parler de lui (note à Lorenzaccio, Larousse 64). Je n'ai jamais réussi à être concis, il faut me pardonner, mais parce que je ne suis pas inconscient de l'ennui que ce texte vous prépare, je livre ma question et ma conclusion d'abord.

Erostrate est un personnage qui n'a sans doute jamais existé, ou qui a existé mais auquel nous ne pouvons pas remonter. L'idée d'un personnage condamné à l'oubli le suggérait ou l'impliquait. D'innombrables personnages condamnés à l'oubli ont mieux réussi qu'Erostrate, la preuve : je ne peux pas vous en citer un seul. Erostrate, lui, est juste assez connu pour qu'on puisse dire qu'il a été oublié. Cet équilibre apporte à son histoire un peu plus de poésie.

J'en viens à Lynch après un dernier détour. Le Borges de 67 parlait beaucoup de poésie épique saxe, et des contes des skalds. Dans l'une d'elle, The Seafarer, le narrateur est un humble voyageur. Ce n'est pas un jeune homme brillant qui mourra jeune d'une maladie pulmonaire, ce n'est pas un tuberculeux qui laissera son meilleur ami publier ses textes tortueux. C'est un homme simple, qui parle à la première personne. On l'imagine racontant simplement ce qu'il voit : "it snowed from the north, frost bound the ground, hail fell on the earth, the coldest of seeds".

Vous avez sans doute compris ce que j'essaie de dire péniblement : cette distance historique et cette proximité humaine, la fidélité dans la voix du voyageur *est* un attribut du poème, comme la mort annoncée de César est un attribut de César. Ainsi de suite : l'histoire floue d'Erostrate est un attribut d'Erostrate, comme Kafka et John Butler Keats sont tout entiers dans le Château et dans chaque première lecture du Homère Wiliam Chapman. Et David Lynch est un attribut d'Inland Empire.

La question de savoir si quelqu'un d'autre aurait pu faire ou faire accepter ce film, me rappelle qu'un film ne peut pas se soustraire à la mémoire du spectateur, qui apporte ses attentes, son hypocrisie, son envie d'aimer Lynch parce qu'il est en couverture de Télérama ou sa capacité à faire la différence entre un rêve et un cauchemar. Parvenir à produire ce film, à le diriger et à le donner aux salles lui ajoute de la poésie. On sent presque qu'il y a un exploit étrange derrière celà, que ce film aurait pu ne pas nous parvenir. Cette chance fébrile (qui est un large consensus mondial) permet notre attention.

La bonne nouvelle est évidente : Lynch va pouvoir nous en faire avaler d'encore plus grosses.

(A ceux qui voudraient en savoir plus sur Erostrate, j'ai mis un petit texte ici.)


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De Gaulhenrix, le 17 février 2007 à 17:57

Un bien beau texte de mvd à propos de l'échange en cours ! "Et David Lynch est un attribut d'Inland Empire." Ou Inland empire un avatar de Lynch.

Je serai plus terre à terre en revenant à l'accueil que l'on peut faire à ce nouveau film de Lynch. Mes impressions rejoignent les vôtres, Impétueux. Certes, Lynch envoûte toujours autant au moyen de scènes fortes qui mettent en scène des personnages en crise, fragiles et instables. Les images sont floues ou granuleuses, comme « salies », et proposent un univers visuellement dérangeant. La bande-son fait souvent sourdre des basses en une vibration inquiétante qui contamine le film de son "étrangeté inquiétante".

Mais la confusion entre rêve et réalité, pratiquée aussi systématiquement, et l'éclatement du récit en fragments d'un empire intérieur si vaste et envahissant, aux ramifications complexes, en apparence et plus ou moins aléatoirement disposés, finissent par interdire au spectateur de s'identifier pleinement aux personnages, le laissant parfois à distance de ce qui se déroule à l'écran et auquel il est censé participer. Comment interpréter, par exemple, cet « Axxon » qui s'inscrit soudainement à l'écran ?

Il est vrai qu'une nouvelle vision par le Dvd, qui permet de parcourir l'œuvre par le ralenti, l'arrêt sur image ou le retour en arrière, ne peut que modifier cette première impression… Même si je ne le pense pas encore – sachant que Lynch déteste qu'on le questionne sur le sens de ses films, lui qui affirme à juste titre que chacun peut se les approprier -, il est légitime de se demander s'il ne s'agit pas, désormais, d'un cinéma – non pas fait pour l'utilisation du Dvd, bien sûr – mais qui a besoin de s'en nourrir.


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De Impétueux, le 17 février 2007 à 18:14
Note du film : 3/6

Votre message est subtil, mvd, et votre démarche d'autant plus habile que la citation que j'avais faite du nom d'Erostrate n'avait, à l'origine, absolument rien à voir avec Inland empire et se rapportait exclusivement à des débats – souvent anciens – que j'ai eus ici et là avec certains contributeurs !

Bravo donc pour votre virtuosité verbale et ce sens de l'équilibre que vous paraissez posséder à un haut degré !


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De droudrou, le 26 février 2007 à 19:37

Là, les mecs, vous êtes tous décidément trop forts pour moi dans vos propos… Vous volez tous très haut, mais on ne sait nullement où pouvoir se fixer par rapport à un film que, de toutes façons, je n'éprouvais aucune envie à voir… Lynch est déjà difficile à digérer mais si, en plus, il faut avoir du mal à digérer les propos de DVDToile, où va-t'on ?


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De vincentp, le 5 octobre 2010 à 23:52
Note du film : 6/6

Très belle illustration du processus de création artistique (dans le chaos de la société, des émotions) croisée avec une représentation très personnelle du monde contemporain (mondialisé, compartimenté en classes sociales, un brin factice). C'est un grand film, proposant des idées, des pistes de réflexion, nourrisant et développant notre imaginaire de spectateur et notre conscience de citoyen. Une grande variété de plans et une utilisation optimale de la musique, de la lumière, au service des thèmes et idées, pour nous plonger dans un état léthargique (on parle d'hypnose) favorisant l'émergence de nos pensées inconscientes, issues de notre "empire intérieur".


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De Impétueux, le 10 août 2017 à 17:33
Note du film : 3/6

Je reconnais volontiers qu'il y a des cinéastes pour qui je suis d'une révoltante partialité. il y a ceux que je ne peux pas pifer, quelquefois depuis que, à peine pubère, je me suis révolté devant un de leurs films (Luchino Visconti avec Senso) ou endormi devant un de leurs pensums (Ingmar Bergman avec Le silence) ou dégouté devant une de leur crottes (Marco Ferreri avec La grande bouffe). Dans mes moments agréables, qui sont rares, je me dis que je devrais quelquefois aller revisiter ces réalisateurs et essayer de leur trouver les mérites qui leur sont généralement attribués ; mais enfin il y a tant et tant de choses à voir et le temps nous est si fort compté…

Il y a d'autres cinéastes qui, parallèlement et systématiquement, bénéficient de ma bienveillance absolue (ce dont ils doivent légitimement se contreficher), pour qui j'arrive à trouver toujours un détail, un zeste, une bribe de qualité même dans leur film le plus raté et que je suis prêt à défendre inguine et rostro (bec et ongles pour les incultes). Par exemple Emir Kusturica ou Nikita Mikhalkov. Et David Lynch, bien sûr. Des auteurs qui ont tant marqué ma sensibilité personnelle que je m'en voudrais de ne pas chercher dans un de leurs moindres bouts de pellicule les émotions qui m'ont quelquefois bouleversé.

Donc Inland empire. Vu, il y a dix ans avec l'anxiété préalable de la déception possible et l'espérance qu'une maturation ultérieure profonde ferait remonter des fins fonds de la déception ressentie des images et des souvenirs aussi intenses que dans tous les autres films de Lynch. Je suis bien le dernier à exiger la parfaite lisibilité d'une histoire, la cohérence des séquences qui s'entrechoquent, l'explication rationnelle de ce que l'on voit sur un écran : j'ai déjà écrit dix fois qu'un film peut être aussi fascinant et incompréhensible qu'une scène de la rue parisienne vue de la terrasse d'un café où passent, s'interpellent, reviennent, réagissent sans qu'on n'en saisisse rien des centaines d'individus dont on ne sait rien et qu'on ne connaîtra jamais. Je ne dis pas que tous les films doivent être ainsi mais certains – rares – peuvent l'être et retenir tout autant que les mécaniques horlogères où tout est disséqué au scalpel du narrateur omniscient et du spectateur comblé dans ses attentes. J'ai été, comme tout le monde, je pense, décontenancé la première fois que j'ai vu Mulholland drive et, presque cinquante ans après ma première vision, il m'arrive encore de m'interroger sur certains points de 2001. Voilà une affaire entendue.

N'empêche que trop c'est trop. Trois heures d'errance dans un tunnel dont on ne voit pas la sortie, ça dépasse ma capacité d'empathie. On me dira, sûrement à juste titre, que tout a sa place dans le film, que tout a sa résonance, que rien n'est gratuit et qu'une exploration attentive de chacune des images permet des mises en abyme vertigineuses et magnifiques que je pourrais décortiquer avec un minimum d'efforts. Et sans doute, mais c'est ce que je ne me sens pas de faire. Sauf à reparcourir Inland empire séquence par séquence, peut-être même image par image, je crois qu'on se perd dans une forêt trop épaisse, trop profonde et, autant le dire, trop desséchée. Se perdre dans un film, je le redis, ce n'est pas bien grave et c'est même un principe très lynchien, qu'on peut ne pas apprécier, mais qui, quand il ne repousse pas, séduit violemment.

Mais, malgré tous mes efforts, toute ma bonne volonté – toute ma mauvaise foi pro-lynchienne, si je puis dire – je ne suis jamais parvenu à m'intéresser, à participer, à prendre part à l'aventure de Nikki Grace/Susan Blue (Laura Dern, pourtant magnifique), aventure vécue, subie, sublimée, fantasmée (?) à ses errances, à ses angoisses, à ses trajets… Dès lors ces trois heures apparaissent démesurément longues, ce qui est bien embêtant, d'autant que, dans l'évidente volonté du réalisateur de les montrer salies, granuleuses, surexposées ou au contraire si sombres qu'on n'y distingue presque rien, on ne peut pas se réfugier dans des sortes de tableaux que Lynch sait faire surgir… Peut-être seulement les quelques séquences étouffantes où des lapins hiératiques attendent on ne sait quoi, hors le grelottement d'une sonnerie de téléphone et qui m'a fait songer à Blue velvet où dans la maison de Ben (Dean Stockwell), de grosses femmes permanentées attendent elles aussi on ne sait qui ; c'est le même type de lumière et d'agencement des meubles.

Si j'y songe, bien sûr, me revient en tête aussi la scène où Susan Blue (c'est-à-dire le personnage joué par Laura Dern dans le film tourné par Kingsley Stewart (Jeremy Irons) – le film dans le film), me revient en tête la scène où Susan agonise au milieu de drogués allongés sur le macadam… Tu vas mourir, Madame, simplement….

Monde du rêve, monde du cauchemar, évidemment. Mais il peut malheureusement exister des cauchemars ternes.

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Ma note de 3 ne veut évidemment rien dire ; elle ne fait qu'exister ; ce qui est très lynchien, au demeurant.


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