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Forum : Le Pont de la rivière Kwai

Sujet : Beau travail !


De Impétueux, le 6 novembre 2006 à 19:07
Note du film : 5/6

En cette année 1957 (s'il n'y a pas encore de Top 50, il y a déjà un hit-parade), tout le monde, dans la rue siffle la Marche du colonel Bogey que notre vieille connaissance Annie Cordy beugle sur des paroles idiotes :

Hello, le soleil brille, brille, brille
Hello, tu reviendras bientôt
Là-bas, dans ton village
Aux verts cottages
Pleins de chants d'oiseaux

On voit par là que l'Humanité n'a pas attendu la Star Académie pour chanter des conneries.

(et d'ailleurs l'immortelle créatrice de Tata Yoyo n'est pas la seule à emplir les ondes : Les Compagnons de la Chanson, John William, Dalida vocalisent ad libitum cette même rengaine).

Le film dont cette infernale scie est extraite a presque failli claquer de l'inconcevable succès de ce standard traditionnel écossais (je crois) et ne plus exister que par lui.

Et pourtant il valait bien mieux. Première de ces grandes fresques dans quoi David Lean a excellé, avant Lawrence d'Arabie, Docteur Jivago et La fille de Ryan, Le pont de la rivière Kwaï est un de ces spectacles qui tient en haleine de bout en bout, malgré sa longueur de près de trois heures. Un de ces spectacles où l'art du réalisateur est si fort que, même en connaissant la fin on se prend à se demander si l'intrigue ne va pas être modifiée en cours de projection par un de ces personnages déterminés et héroïques que le cinéma montrait alors sans complexe, sans se croire obligé de leur donner états d'âme, failles ou veuleries diverses.

J'imagine que chacun connaît l'histoire folle du colonel Nicholson (Alec Guinness, incandescent), bâti avec le plus dur métal britannique (de ces Britanniques qui ont porté seuls pendant plusieurs mois toute l'Espérance du Monde et qui n'ont pas failli, pas reculé !) qui est entraîné par la logique même de sa résistance et de son entêtement à construire le pont que les Alliés devront absolument détruire. Il serait facile de ne voir là qu'un aveuglement de vieille baderne : il y a davantage une incertitude du Devoir, du Courage et de l'Ordre.

C'est aussi ce qui rend intéressante cette belle histoire de l'excellent Pierre Boulle, maître en interrogations pratiques sur la fragilité des comportements sociaux et de la raison humaine (voir La planète des singes, du même) : chacun – le colonel japonais Saito (Sessue Hayakawa, le colonel Nicholson, le major Warden ([Jack Hawkins )le commandant Shears Wiliam Holden – chacun, donc, a ses raisons, comme dans film id=4235La règle du jeu[/film].

La loi du genre veut que ça se termine dans le drame, l'explosif et la victoire américaine ; mais c'est bien plus contrasté que cela. A combien de ses hommes Nicholson a-t-il permis de rester vivants, en leur faisant garder la tête haute ?


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De vincentp, le 6 novembre 2006 à 19:52
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Seulement 5 sur 6 ? C'est un film sublime, avec en particulier un photographie extraordinaire, et une science du récit hors-norme. On peut remarquer comme dans Laurence d'Arabie, comment Lean joue sur plusieurs tableaux : à la fois pour l'autorité et contre celle-ci. Un propos très ambigü, qui offre à chacun la possibilité d'y retrouver son compte. C'est une des caractéristiques du cinéma anglais de cette époque d'ailleurs, que l'on retrouve chez Powell ou C Reed : laisser la liberté au spectateur d'interpréter, dans une certaine mesure, les idées développées tout au long du récit.


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De Impétueux, le 6 novembre 2006 à 20:03
Note du film : 5/6

Cher Vincentp, 5 sur 6, c'est tout de même quelque chose comme 17 sur 20 !

Faisons tout de même attention à noter avec mesure et réflexion les films que nous aimons ! Je me propose, d'ailleurs, de revisiter l'ensemble de mes notations pour les mettre en conformité avec des jugements plus harmonisés ! Lorsque je vois qu'un reportage, sans doute bravement touchant et larmoyant comme Les travestis pleurent aussi recueille impertubablement 4 notes de 6 sur 6, je me demande si l'on peut encore accorder de l'importance à ce critère sur notre site.

C'est d'ailleurs pourquoi je me suis attaché (laborieusement !) à placer un commentaire (argumenté, même s'il est souvent d'humeur) sur chacun des films de ma liste des "Films préférés".


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De Arca1943, le 7 novembre 2006 à 00:17

« J'imagine que chacun connaît l'histoire folle du colonel Nicholson (…), bâti avec le plus dur métal britannique (…) qui est entraîné par la logique même de sa résistance et de son entêtement à construire le pont que les Alliés devront absolument détruire. Il serait facile de ne voir là qu'un aveuglement de vieille baderne : il y a davantage une incertitude du Devoir, du Courage et de l'Ordre. »

On touche là au coeur de ce que Pierre Boulle avait à dire et que David Lean et l'extraordinaire Alec Guinness rendent superbement. Mais il y a là plus qu'un principe d'incertitude. D'un roman à l'autre, dans ses grands comme ses petits crus, l'esprit swiftien de Pierre Boulle revient sans cesse sur l'idée que l'Homme possède la capacité inquiétante de se perdre de vue, pour ainsi dire, de ne plus se voir aller, d'aboutir au contraire de ce qu'il veut vraiment faire, en tout aveuglement, parfois jusqu'à la folie; que le Bien sans garde-fous, sans précautions, peut aboutir au Mal non par cynisme mais au contraire, pour ainsi dire, sans qu'on s'en aperçoive; par une espèce de glissement, de dérive inconsciente. Et dans certains livres, c'est vice-versa : je me rappelle par exemple cette histoire où, pour sauver la vie d'un groupe d'écolos embarqués sur un petit bateau au milieu d'un effroyable orage, la seule solution est de répandre du pétrole sur les vagues pour les empêcher d'engloutir l'embarcation ! (Boulle à la ville était de convictions écologistes, bien sûr; mais peut-être pas membre d'un parti…). Le plus beau roman de cette catégorie s'intitule fort à propos « Les Vertus de l'enfer » et pourrait donner un film formidable, un très ironique film d'action et d'aventures.

Il existe sans doute d'autres chantres de cette même idée; mais en tout cas, Pierre Boulle a su trouver le moyen d'illustrer son thème de prédilection par de passionnantes histoires plutôt que par de lourds traités. J'ai toujours été surpris de constater qu'après le succès retentissant du Pont de la rivière Kwai et de La Planète des singes, personne d'autre ne soit allé puiser à cette source pourtant pleine de surprises. Quoi, personne n'a porté à l'écran « Un Métier de seigneur » ? Ah, ben ça alors !


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De Arca1943, le 8 novembre 2006 à 00:02

Oh-oh, correction ! Pan sur le bec ! « Un Métier de seigneur » a bel et bien été porté à l'écran – mais c'était pour le petit, pas pour le grand : un téléfilm de Edouard Molinaro (1986) avec Pierre Arditi, Annie Girardot et Christopher Lee. C'est ce que je viens d'apprendre sur IMDB.


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De droudrou, le 8 novembre 2006 à 11:29
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Exact !

Quant à l'échelle de notation suggérée par Impétueux, même si on définissait une note pouvant aller de 0 à 10 ou à 20 on aboutirait que selon le public concerné qui donnerait son avis, on aurait ce qu'un cinéphile conçoit comme un navet avec la note maximale… Les notions sont très subgestives. Aujourd'hui la jeune génération nous dit "c'est génial" ou "c'est le top" quand la génération ancienne dit "c'est nul". L'échelle de fréquentation du site n'est pas forcément évidente pour qu'on aboutisse à une note moyenne qui soit le reflet réel du film et de ce que la majorité en attend…

En ce qui concerne la fin du "Pont sur la Rivière Kwaï", c'est plus une mission des Britanniques en accord avec leurs alliés Américains qui va aboutir à la destruction de l'ouvrage. Le personnage interprété par William Holden dérange quelque peu. C'est une manière comme une autre de s'en débarrasser.

Quant au "leit-motiv" qui a été sur toutes les lèvres, c'est vrai que la chansonnette à la Française ne vole pas bien haut. Ce n'est pas la première fois qu'un succès musical est exploité de n'importe quelle façon. Ca ne change rien à la qualité du film. On pourra critiquer "Paris brûle-t'il ?", "Le jour le plus long"… On sait pertinemment que le français n'est pas toujours très au point pour s'accorder à des musiques de films…

Sur mon échelle de Richter, je ferai comme Impétueux. Donner 6/6 m'apparaît difficile. Nous n'avons pas de 5,5/6, c'est grand dommage.

A propos de Pierre Boulle : guère évident de traiter ses oeuvres sans un gros travail d'adaptation. Mais c'est cela qui est bien.


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De Impétueux, le 8 novembre 2006 à 12:20
Note du film : 5/6

Un simple mot pour les notations : je ne prends pas plus que vous au sérieux les notes démesurées données à n'importe quel film par ces jeunes gens et jeunes filles pour qui le cinéma a commencé il y a deux ou trois ans : j'attache, en revanche, de l'intérêt à celles qui sont décernées par la petite équipe (une quinzaine de pseudos) qui contribue régulièrement à DVD Toile ; que je sois en accord ou en désaccord avec la note donnée est fructueux : encore faut-il mettre dans ses propres choix une certaine cohérence.

D'ailleurs, la note élevée n'est pas, à mon sens, une condition forcée pour entrer dans nos listes de "Films préférés", non plus qu'une note basse une condition pour n'en pas être : il n'y a pas de commune mesure entre Ah ! les belles bacchantes et… par exemple Citizen Kane ; n'empêche que le premier film est dans ma liste, le second, non…


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De benja, le 2 mars 2007 à 19:57
Note du film : 5/6

Je souhaiterais avant tout saluer la pertinence des propos d'Arca1943, Impétueux et Vincentp ; dvdtoile permet parfois vraiment d'approfondir la connaissance d'un film…

Le pont de la rivière Kwai possède effectivement des qualités énormes, "avec en particulier une photographie extraordinaire, une science du récit hors-norme". C'est du très bon divertissement. L'ambigüité est bien présente et confère au film un intérêt tout particulier. L'issue du film, dérisoire, m'a évoqué Mankiewicz, l'affaire Cicéron…Vanité des choses humaines…

Alors pourquoi seulement 5 sur 6 ?
Ma sensibilité m'incline à être très chatouilleux sur la question de la guerre…Lorsque Vincentp dit que "chacun peut y trouver son compte", je réponds : hélas non, pas encore assez…
Lean en travestit de bien des manières la triste réalité : les charmantes porteuses siamoises qui accompagnent les héros dans leur mission ; le point de vue des hommes de troupe qui est tu ; ces hommes de troupe qui ne font qu'un avec leur chef ; quand il s'agit de faire travailler les blessés, de "donner un coup de main", plusieurs s'executent prestement etc etc Combien de ses hommes Nicholson a-t-il tué en pensant leur faire garder la tête haute ? On ne nous le montre pas.

Le pont de la rivière Kwai non dénué d'humour et d'ironie reste un divertissement tout à fait remarquable pour son temps. On regrettera qu'un pas de plus en direction des victimes n'ait été fait. En 1957, il y avait déjà les sentiers de la gloire. Ah oui, cela se passait en France…


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De droudrou, le 3 mars 2007 à 16:56
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Benja, sans vouloir te vexer, tu es un salopard de génie ! Par le contenu de ton intervention, tu nous justifies une nouvelle fois cette nécessité de pouvoir disposer d'un libre forum sur DVDToile.

Tu nous évoques ton ressenti après avoir vu Le pont de la rivière Kwaï et pour moi qui aime beaucoup Mankiewicz je ne peux qu'applaudir la pertinence de ta réflexion quant à la fin du film. C'est très vrai que la conclusion du film justifie ton propos « Vanité des choses humaines ».

Par contre, ensuite, et comme il semblerait que tu saches régulièrement le faire si je prends tes diverses interventions, tu nous amènes tous à réfléchir sur diverses réflexions justes que tu nous amènes.

A propos de Vincentp « Chacun peut y trouver son compte » – je pense que notre ami Vincent nous dit simplement que la densité du film peut permettre à tout un chacun de trouver ce qu'il attend d'un tel spectacle. Connaissant notre ami Vincent, s'il est un combatif quand besoin s'en fait sentir, il n'est pas un belliqueux si c'est cela que tu craignais. Certes, sa plume peut être acérée et incisive, mais il ferait plutôt partie des gentils de DVDToile.

Tu nous dis : « Lean travestit de bien des manières la réalité de la guerre : les charmantes porteuses siamoises qui accompagnent les héros dans leur mission… ».

Je ne sais ton âge, Benja, si nous vivons en France une paix plus ou moins certaine, il convient d'abord de voir qu'ici nous sommes confrontés à une mission commando. Lean nous raconte une histoire de guerre. Ca ne veut pas dire qu'il soit pour la guerre.

Par contre, au moment de la sortie du film, nous étions proches encore de la seconde guerre mondiale et il me semble bien que les évènements qui se déroulaient en Extrême Orient donnaient une forte empreinte à l'actualité de l'époque.

Par ailleurs, si tu prends l'histoire de l'Homme, la guerre a toujours suscité un courant d'émotions variées très porteur. Il n'est d'ailleurs que de lire « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell qui est une femme et tu avoueras que sa description d'une guerre fratricide nous plonge à la fois dans l'héroïsme et la dureté de la condition humaine dans ces années particulièrement pénibles. Et en termes de récits d'une guerre, je ne pense pas que Margaret Mitchell soit un cas isolé. D'autres femmes ont décrit des conflits.

La guerre est une suite de violences de toutes sortes. Et si tu évoques la violence et l'œuvre de Kubrick, tu ne peux pas dire que Kubrick aimait la violence parce qu'il nous la décrit. Sa réalisation d'Oranges Mécaniques ne fait que reprendre et transposer le récit de Anthony Burgess qui avait relaté un incident très grave qu'il avait vécu et à l'issue duquel sa femme était ou devenue folle, ou décédée…

Donc, voir des porteuses siamoises accompagner la mission n'a rien d'extraordinaire. Si tu te rappelles bien le conflit de 1914/1918, les hommes étaient au front et les femmes travaillaient dans des usines pour produire des munitions pour leurs hommes tandis que la même situation existait en Allemagne… Lean ne fait que mettre en scène une réalité. Leur comportement dans le film est leur comportement attendu par leur civilisation. En conséquence, il ne nous est pas possible de remettre en cause cette même civilisation.

« le point de vue des hommes de troupe qui est tu ; ces hommes de troupe qui ne font qu'un avec leur chef ; » C'est pourtant là une notion fondamentale entre le chef et ses hommes au niveau de l'armée, que ce soit en période de paix ou en période de guerre. Si ça n'était et sans esprit belliciste aucun, cet esprit de corps est absolument indispensable. Et si les guerres modernes n'opposent plus des nombres aussi conséquents d'hommes que par le passé, en revanche cette nécessité absolue de groupe, d'appartenance à un groupe avec ses règles exercées par un homme qu'on appelle le chef continue à faire partie des nécessités premières. Il n'y a que Rambo ou Bruce Willis qui peuvent être des puissances solitaires sur le terrain…

Pour avoir évoqué Stanley Kubrick, quand tu prends Full Metal Jacket, tu as le personnage de Joker qui n'exprime son désaccord à la guerre du VietNam que par l'inscription qui figure sur son casque. Et si tu prends Pearl Harbor tu découvres que pour leur préparation aux personnages qu'ils incarneront, les acteurs ont subi à divers degrés un entrainement militaire… Tel que vu, je me suis posé la question de savoir si ces mêmes acteurs avaient vécu préalablement une expérience de ce type.

 

« quand il s'agit de faire travailler les blessés, de "donner un coup de main", plusieurs s'exécutent prestement etc etc » En disant cela, tu nous confrontes à ce qui fait partie de l'héroïsme, à cette part d'énergie que chacun possède en lui-même et qu'il est prêt à utiliser dans les moments les plus difficiles. Je ne pense pas que sur ce sujet Le pont de la rivière Kwaï soit un cas isolé. L'expression « Debout les morts » a même été utilisée, me semble-t'il dans la tranchée des baïonnettes à Verdun…

« Combien de ses hommes Nicholson a-t-il tués en pensant leur faire garder la tête haute ? On ne nous le montre pas. » Non, bien sûr ! Mais tu le dis toi-même : il a pensé leur faire garder la tête haute mais eux aussi ont gardé la tête haute. Et disant cela, je te renverrai à la dernière partie du film Alamo, à ces instants où ceux qui vont mourir se posent des questions non sur l'utilité de leur sacrifice mais sur des interrogations légitimes qui caractérisent les rapports de l'homme avec la vie, avec Dieu, avec l'ordre moral, avec « l'ennemi »…

D'autre part, c'est vrai que l'on pourrait reprocher au chef de glaner les lauriers (mon jeu de mot est d'un nul !…) mais c'est une réalité liée avec notre histoire universelle : les héros sont les morts mais ils ne sont pas seuls… Et dans le cas tu évoques, je ne pense pas que là était le rôle de Nicholson confronté aux évènements. Il n'y avait rien d'autre à faire, à mon sens, pour qu'ils vivent même s'il est une dérision certaine dans tout cela et que le pont va être détruit… Quand tu prends « le merdier » qui caractérise les premiers temps où ils participent au chantier sous les ordres de leurs vainqueurs ( ! ) une fois revenus sous la coupe de leurs officiers, ils se comportent autrement. Par contre, pourtant, il me semble qu'il est des hommes de troupe et sous-officiers qui manifestent leur mécontentement mais quand Nicholson sort de sa prison, c'en est fini. Ils sont galvanisés. Ils ne rouilleront plus…

« On regrettera qu'un pas de plus en direction des victimes de la guerre n'ait été fait. En 1957, il y avait déjà les sentiers de la gloire. Ah oui, cela se passait en France… » Je vais te citer un film, rien qu'un : « Paris brûle-t'il ? ». On est confronté à une population civile qui résiste. On ne nous parle pas des gens qui ne participent pas à l'insurrection et ce qu'ils subissent en tant que victimes. Mais, c'est un regard en fonction du sujet choisi par le réalisateur…

Enfin, tu cites Les sentiers de la gloire et je pense que tu évoques le cas de ces trois malheureux qui vont être jugés et passés par les armes. Ils ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres à rattacher de ces mêmes malheureux évoqués dans Un long dimanche de fiançailles. C'est une question qui demeurera longtemps sans réponse quant à savoir justement les limites du comportement humain confronté à des situations extrêmes.

Etant sur un site consacré au cinéma, et pour t'apporter une réponse qui sera pour toi un questionnement, je t'engage vivement à voir le film de Robert Rossen Ceux de Cordura où tu vivras un phénomène d'inversion totale.

J'en profite : comme Impétueux, je serai un inconditionnel de Stanley Kubrick. En 1958 j'ai découvert la bande sonore sur les ondes, radio Bruxelles, de Les sentiers de la gloire alors qu'il était interdit en France. Dans la foulée, j'ai acheté le bouquin de Humphrey Cobb dans un petit magasin à la frontière franco-belge. Fallait-il l'interdire ? Eh bien, on est confronté là à des sensibilités quant auxquelles nous n'aurons jamais la réponse.

Le pont de la rivière Kwaï demeure un très bon film, brillamment réalisé et très bien interprété.


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De Impétueux, le 3 mars 2007 à 18:48
Note du film : 5/6

Le long, très long message de Droudrou (mais le sujet en vaut la peine !) correspond parfaitement à ce que je pense : parenté de génération ? c'est possible… Je renvoie Benja à certains échanges que nous avons eus sur le fil d'Allemagne année zéro : pour ceux qui, comme nous, sont nés juste après 1945, et dont l'enfance et l'adolescence ont été ponctuées par l'écho des conflits d'Indochine et d'Algérie, les remarques faites sur l'horreur intrinsèque de la guerre n'ont pas une véritable signification.

La guerre est horrible, soit. C'est un fait. Incontestable. Mais que fait-on quand la Guerre est là ? On se couche ?

Je n'ai pas écrit que c'est là votre pensée, Benja. Mais le pacifisme m'a toujours paru aussi étonnant que la contestation des lois de la pesanteur.

Comme c'est moi, à l'origine de ce fil, qui ai écrit A combien de ses hommes Nicholson a-t-il permis de rester vivants, en leur faisant garder la tête haute ? qui vous fait – en gros – dire Combien sont morts en obéissant ? j'aurais une naturelle tendance à parler de dignité. Il y a des moments où, la mort étant là, on ne mégote plus avec elle. Ce sont les hommes qui se sacrifient parce qu'ils pensent qu'il y a des choses qui ont une valeur supérieure à leur propre vie, c'est Pierre Brossolette se jetant par la fenêtre, Fred Scamaroni se déchirant la gorge avec un morceau de fil de fer barbelé pour ne pas parler. Eux aussi obéissaient aux ordres…

Je conçois bien qu'on puisse tenir un raisonnement tout à fait antinomique. Un écrivain que je vénère, Jean Giono était de cette opinion que tout valait mieux que la mort. D'où son pacifisme intégral, ses appels à la désobéissance en 39, etc. (Je me souviens avoir eu un débat à ce propos sur DVD Toile… sur Crésus). Et c'est ce qu'ont développé il y a un peu plus de vingt ans, ceux qui disaient, lorsqu'il y avait une menace soviétique Plutôt rouges que morts, ce à quoi le Président Mitterrand avait répondu Les pacifistes sont à l'Ouest, les fusées sont à l'Est. Au delà du mot d'esprit, il y avait une pensée.

Bon. C'est justement ce qu'il y a d'intéressant, sur DVD Toile, d'avoir de tels dialogues…

Ah, Benja, pour que vous ne me preniez pas pour un buveur de sang militariste, je me permets de vous signaler que dans ma liste (L'Immarcescible comme on dit La Discrète ou La Boudeuse) figure Johnny got his gun, dont on ne peut dire qu'il soit une apologie de la Guerre fraîche et joyeuse…

Et sur ce, je vais aller déposer un message sur Les Sept femmes de Barbe-Rousse


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De droudrou, le 3 mars 2007 à 18:49
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Petit complément : au niveau comportement, nous sommes confrontés à des britanniques typiques, dans tout ce qu'ils peuvent avoir de bon et d'excessif.

Par ailleurs : A propos de Ceux de Cordura sur la jaquette, on lit :

Ceux de Cordura a été acclamé par les critiques du monde entier comme étant "le récit de guerre le plus dérangeant depuis Le pont de la rivière Kwaï"…


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De benja, le 3 mars 2007 à 19:10
Note du film : 5/6

N'en jetez plus, Droudrou, je vous en prie, je suis pour ainsi dire sous le choc !

PourCeux de Cordura, vous avez achevé de me convaincre, je vais me le procurer sans tarder. Merci par avance.

Pour le reste, je promets une réponse assez rapide… Vous semblez rudement chatouilleux et calé en ce qui concerne la guerre et ses films !
A vrai dire, je m'en doutais en peu…

Et Impétueux qui renchérit, non moins chatouilleux et calé ! A vrai dire, je m'y attendais aussi un peu…

La question est complexe et j'avoue, mes moyens, si modestes… Qui plus est, cette question est aussi, peut-être avant tout, une affaire de sensibilité, comme quelque chose de viscéral, vos longs et non moins intéressants messages quelque part en témoignent… Ainsi, je ne pense pas a priori qu'on réussisse à se mettre d'accord… Et tant d'autres en ont débattu avant nous…
Néanmoins, je me réjouis par avance de dialoguer avec vous de ces questions passionnantes…


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De benja, le 4 mars 2007 à 00:46
Note du film : 5/6

Voilà :

A Droudrou :

Ce film, qui conclut brillamment en clamant "quelle folie" n'est ni simpliste, ni propagandiste.
Lean est allé presque aussi loin qu'il le pouvait à son époque. Je ne lui prête pas de caractère belliqueux, non plus qu'à Vincentp (qui semble bourré d'humour, non de hargne).
Le pont de la rivière Kwai donne intelligemment une multitude de points de vue mais ne confère pas le même poids à chacun d'entre eux.
Ainsi, le film emprunte beaucoup (non sans humour et distanciation) aux codes du genre. J'ai cité de nombreux exemples dont les fameuses siamoises : belles (une chance certes, mais est-ce un hasard ?), l'une d'elles masse divinement bien et couve l'un des missionnaires du regard, transie d'amour…
N'en résulte-t-il pas chez le spectateur, par l'entremise de pulsions sexuelles, une vague volonté de s'engager ? Et au final, une glorification de la guerre ?

Si Lean est allé loin dans l'ambigüité, la même année, le génial Kubrick livrait les sentiers de la gloire, allait encore plus loin en intégrant l'opposition entre (hauts) gradés et hommes de troupe, tant il est vrai que leurs intérêts sont souvent opposés…
Prenons la guerre de 14-18, on découvre , depuis peu finalement, par la lecture (La peur de Gabriel Chevallier, Le monument de Claude Duneton), quelques films aussi, des hommes qui ne voulaient plus se battre. Sauver sa peau. Souhaiter la "blessure pépère" qui permette de s'embusquer. Certains ont été jusqu'à se tirer une balle dans la main… Ce genre de comportement était passible d'exécution, il y en eut, les gendarmes veillaient au grain… Il semble aussi que l'artillerie française ait quelquefois visé bien court pour forcer ses troupes à aller au combat…
Ceci n'a-t-il existé que parmi les français en 14-18 ?
Ne sont-ils pas harassés les hommes du colonel Nicholson ? N'en ont-ils jamais marre ? Ne veulent-ils point rentrer chez eux, retrouver femmes et enfants ? Ont-ils réellement leur libre arbitre ? Cela le film ne le montre pas. Pas plus que les conséquences de l'entêtement du colonel : des morts. Alors qu'il insiste nettement sur les tombes de ceux qui ont précédé le début du film…

A Impétueux :

Peut-on juger de la dignité de ces poilus tenaillés par la peur, la faim, le froid, mille autres tracasseries encore, quand messieurs les généraux étaient quand même un peu moins exposés, à l'arrière ?

D'un côté le pacifisme absolu de Giono. De l'autre le courage et l'abnégation de tant de résistants qui ont donné leur vie. Je respecte tout autant l'un que l'autre.
Je place très haut Rome, ville ouverte, comme témoignage, comme hommage à la résistance…mais aussi parce qu'on en montre les conséquences avec réalisme : l'orphelin, la souffrance physique, la mort.

Je regrette que Lean n'est pas fait un pas supplémentaire en direction des victimes de la guerre mais je le comprends. A cette époque, les destins individuels comptaient peu. A notre époque, individualiste, l'idée que chacun puisse disposer librement du droit de choisir sa vie et sa mort a fait son chemin…
On peut le regretter, ou pas ; cela semble une réalité, au moins pour l'instant, et en France… L'armée a du mal à recruter ses hommes de troupe, les combattants de la première ligne… C'est devenu une armée de métier. Il n'y a plus de service militaire…

Oui, Impétueux et Droudrou, vous avez mille fois raison, la guerre, vissée au corps des hommes… Depuis 1981, "les fusées de l'est" ne nous sont pas encore tombées dessus mais demain ? Peut-être nous faudra-t-il reconsidérer les choses ? Résister, fuir, ne rien faire ? Quoi faire ? Ma sensibilité m'incline a priori à pencher dans une certaine direction, mais…

En tout cas, merci pour Ceux de Cordura et pour Giono, vous m'avez donné envie de m'y mettre ; ça ne serait certes pas une mauvaise chose…


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De Gaulhenrix, le 4 mars 2007 à 01:43
Note du film : 5/6

Au-delà du débat sur bellicisme et pacifisme, il ne faut pas oublier que le film ( Cf. le roman de Pierre Boulle) traite surtout de ce que l'on appellerait aujourd'hui le choc des civilisations entre le Japon impérialiste et un Occident dominateur. Cette confrontation de deux volontés de puissance s'incarne dans les personnages principaux, tous deux colonels. C'est ainsi que si le Japonais Saito exhale sa détestation de l'ennemi ("Je hais tous les Anglais. Vous avez été vaincus mais vous n'avez pas de honte. Vous êtes têtus mais vous n'avez pas de fierté. Vous êtes durs mais vous n'avez pas de courage. Je hais tous les Anglais." ), l'Anglais Nicholson n'est pas en reste : "Nous pouvons donner à ces sauvages une leçon sur l'efficacité des méthodes occidentales qui leur fera honte."

Ce pont-métaphore, qui se construit sur la haine et s'en nourrit, n'est rien d'autre que la représentation symbolique visuelle de l'âme humaine sans cesse partagée entre génie et folie. La conclusion du film Le pont de la rivière Kwaï n'est pas vraiment éloignée de celle de cet autre film inspiré par l'oeuvre de Pierre Boulle, La planète des singes : ironie et dérision (ce pont si précieux à l'un comme à l'autre et si coûteux en souffrances sera in fine détruit) !


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De benja, le 4 mars 2007 à 08:41
Note du film : 5/6

Intéressant, Gaulhenrix votre propos sur le choc des civilisations.

Nous voilà ensuite recentrés sur la dualité génie/folie. Puissante idée, englobante, que Boulle et Lean ont traité dans toute sa complexité…
Ce qui est intéressant ici, c'est le glissement qui s'est effectué, du film vers le livre ; du concret vers l'abstrait.

Vous semblez évacuer la guerre d'un coup, d'un seul. Soit.
Imaginons alors une histoire qui montrerait l'acharnement d'hommes à construire un pont qui serait au final détruit par une tempête. Le film aurait-il la même portée ? Non, bien sûr.
La puissance du film repose sur une multitude d'ambigüités.
1) Le pont est construit à une cadence infernale sous une chaleur harassante, on nous montre clairement le danger de mort (pas assez la mort réelle des hommes de Nicholson, c'est un aparté, je ne vais pas réécrire mon précédent message…) qui en résulte. Ceci n'est pas envisageable autrement qu'en temps de guerre.
2) Une autre ligne de force tient au fait que la construction est un acte de collaboration avec l'ennemi.
3) Une autre que le pont est détruit par des alliés du colonel. Des hommes du même camp font et défont le pont.
Je repose la question, peut-on évacuer la guerre dans cette histoire ? Elle tient un rôle central !

Quelle folie ! conclut le film. La folie d'un homme seul peut-elle faire tant de mal que ça ? Non… L'adhésion de tous à la folie d'un seul continue de poser question… Chaplin l'avait compris en son temps, Monsieur Verdoux l'énonce : "C'est le nombre des victimes qui sanctifie"…

Gaulhenrix, ne réduisez pas nos propos s'il vous plaît, Droudrou, Impétueux et moi brassions modestement de nombreuses questions : dignité/sens du devoir/l'indidividu et son libre arbitre dans la société etc etc
Pas seulement bellicisme et pacifisme, ne croyez-vous pas ?

En tout cas, c'est rudement plaisant d'avoir pu discuter (modestement) de toutes ces grandes questions…


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De Gaulhenrix, le 4 mars 2007 à 10:43
Note du film : 5/6

Nous nous sommes mal compris, benja. Il n'est pas question, en effet, d'"évacuer la guerre" : ce serait absurde puisqu'il s'agit, à l'évidence, d'un film de guerre ! J'entendais simplement évoquer, en complément des féconds échanges précédents, une autre dimension (plus métaphysique ?) concernant la nature humaine. Remplaçons l'expression "Au-delà du débat" par "En-deçà du débat", peut-être…


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De benja, le 4 mars 2007 à 11:32
Note du film : 5/6

Là, je vous suis entièrement Gaulhenrix.
Bah, j'ai défendu mon idée le plus possible mais la votre est tout aussi intéressante…


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De droudrou, le 4 mars 2007 à 12:05
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Décidément, Benja, avec toi, c'est pas triste et c'est sympa !

Tu nous dis :

Ainsi, le film emprunte beaucoup (non sans humour et distanciation) aux codes du genre. J'ai cité de nombreux exemples dont les fameuses siamoises : belles (une chance certes, mais est-ce un hasard ?), l'une d'elles masse divinement bien et couve l'un des missionnaires du regard, transie d'amour…

N'en résulte-t-il pas chez le spectateur, par l'entremise de pulsions sexuelles, une vague volonté de s'engager ? Et au final, une glorification de la guerre ? au final, une glorification de la guerre ?

Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ! Mais peut-on reprocher à l'homme et à la femme d'être ce qu'ils sont, que physiquement leur nature encourage les rapprochements et quelle que soit la pigmentation de la peau ou, même, les idéologies ? Peut-on reprocher Roméo et Juliette ? La guerre n'est pas un instant dans une vie qui empêche de vivre sa vie et de devoir assumer son destin. N'oublie pas que dans la civilisation orientale, la femme est éduquée pour savoir qu'elle représente le plaisir de l'homme. Donc qu'une masseuse Siamoise ou Thaïlandaise exerce divinement bien sa profession, que peut-on lui reprocher ? Les quelques instants qui peuvent être pris peuvent représenter bien plus que quelques instants parfois au regard de la vie. Et à propos du "missionnaire" (j'aime ton qualificatif…), malheureusement il ne reviendra pas de sa mission !

Je sais qu'Impétueux n'aime pas le metteur-en-scène mais, par rapport à ce que tu nous dis, je te renverrai à André Cayatte et à son film Le passage du Rhin : on peut en penser ce que l'on veut mais, néanmoins, les diverses réalités sont là et on comprend aisément le choix de Charles Aznavour à la fin quand il retourne en Allemagne et franchit le Rhin…

J'oubliais : Nicholson réalise soudain, en voyant les fils qui relient au détonateur, ce qu'il a fait et pour qui il l'a fait… La morale est sauve, les évènements vont se précipiter…

Salut ! A bientôt !


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De benja, le 4 mars 2007 à 17:18
Note du film : 5/6

Mais avec vous aussi, Droudrou, c'est pas triste et c'est sympa !

Vous avez raison, le missionnaire meurt, sa position devient délicate si j'ose dire…
Le colonel meurt aussi…
Ce film est bien plus ambigu que le souvenir que j'en avais (je ne l'avais pas revu depuis plus de dix ans) et très bien réalisé.

Il n'est pas impossible que je me sois à un moment ou à un autre un peu emballé…

Quant aux masseuses thaïlandaises, je n'ose rien dire, ma femme pourrait tomber sur le message…

A bientôt !


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De frychar, le 28 septembre 2007 à 10:20

L'attitude de Nicholson s'apparente à la collaboration économique avec les Allemands de certains patrons français pendant la guerre…Mais la situation est néanmoins très différente… Pas question de déportations ou d'atrocités sur les civils. La collaboration se fait avec des Japonais. Je pense néanmoins à la construction du « mur de l'atlantique ».Le patron d'une grande entreprise de travaux publics ne pensait qu'a la valorisation de ses compétences en oubliant facilement le contexte de guerre et ses atrocités.Cela lui semblait égal que ce soit les Allemands ou des Français qui reconnaissent sa haute technicité.


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De vincentp, le 1er janvier 2013 à 22:28
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Revu avec très grand plaisir en blu-ray. Le pont de la rivière Kwaï frise la perfection, évidence même… Chef d'oeuvre absolu, un des vingt ou trente meilleurs films de tous les temps (j'ai du mal à comprendre les réserves exprimées ci-dessus par différents participants de ce forum – Ont-ils compris le sens du film ?) ! On pourrait s'amuser à énumérer pendant un certain temps les points forts de ce film (ou à analyser son mode de construction). Parfait du début à la fin, chaque instant apportant un plus par rapport à l'instant d'avant. Je retiendrais pour ma part en quelques mots les éléments suivants :

  • l'interprétation de William Holden, parfaitement employé dans un rôle qui lui convient à merveille, celui d'un homme à la fois sûr de lui et cynique (mais Alec Guinness est parfait aussi…). Guinness et Holden portent à tout de rôle sur leurs épaules le récit, mais ils sont entourés d'acteurs secondaires très performants et parfaitement dirigés. Le fait de passer d'un acteur à l'autre, et à des raisonnements différents et complémentaires enrichit l'oeuvre.
  • Ce récit aborde une thématique large, thèmes parfois traités en très peu de mots et d'images, avec une acuité remarquable : suggérant par exemple la vie telle qu'elle pourrait être hors contexte guerrier, s'interrogeant sur la fonction de la guerre, et son impact sur la psychologie des hommes et des femmes. Mais un autre sujet me parait évident avec cette troisième ou quatrième vision : les relations entre l'être humain et son environnement naturel. L'être humain y est montré (via Holden et Guinness) comme cherchant à imposer à sa façon sa marque sur celui-ci.
  • De nombreux instants de forme et de fond préfigurent Apocalypse now (certaines images, certaines idées, voir par exemple la boue sur les corps)

  • le croisement d'élément sensuels et esthétiques (les femmes du cru, le jardin botanique) avec certaines réalités propres à la guerre. Cela donne une tonalité décalée et quasi-onirique pour ce film (loin du ton sec et brutal employé par Samuel Fuller, par exemple, s'intéressant à la vie des tranchées). Une séquence magnifique (parmi tant d'autres) : la descente de la rivière par le radeau qui va servir à allumer les mèches explosives. Le radeau est filmé sous différents angles de vue, sublimement éclairé par une lumière de clair-obscur. Dans un livre consacré à David Lean, se trouve une anecdote liée la gestion perfectionniste de la lumière naturelle par le cinéaste. Robert Mitchum, attablé à un restaurant de la côte d'Azur, se moquait du temps passé par le cinéaste pour obtenir la lumière qui lui fallait (La fille de Ryan). Mais Lean, était attablé à la table voisine et entendit tout… La gestion du tempo de cette séquence semi-nocturne est superbe, Lean prenant un temps relativement considérable du récit pour faire descendre ce radeau jusqu'au pont. Une gestion du temps et l'espace tout simplement parfaite de bout en bout qui crée un récit prenant, et tout en même temps une oeuvre d'art, visuellement magnifique.
  • la perfection avec laquelle les idées s'enchaînent, et sont traduites en images et en sons. Un cas d'école ! On a souvent tendance à critiquer la pauvreté des films contemporains dans ce domaine, et voici une preuve que l'on n'exagère rien.
  • en conclusion, je dirais simplement que Le pont de la rivière Kwaï montre comment un travail acharné de toute une équipe peut produire de l'art cinématographique, que l'on regardera et étudiera dans des centaines d'années comme ou regarde aujourd'hui certaines cathédrales du moyen-âge.

Excellent supplément du blu-ray de 50 minutes consacré à la réalisation du film, mettant en évidence le génie visionnaire de David Lean. Une volonté évidente de sa part, d'aller au-delà du script mis à sa disposition, et de repousser les limites de la création artistique.


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De Tamatoa, le 16 février 2014 à 01:38
Note du film : 5/6

Et dire que je n'avais jamais vu ce film… A part quelques extraits, au fil du temps. Ca parait iréel mais c'est comme ça. Bien sûr, j'en connaissais la musique célébrissime et je me rappelais, comme Impétueux, d'Annie Cordy et ses paroles stupides. Henri Salvador, lui, avait carrément ridiculisé cet air par des onomatopées débiles avec son Colonel Bogey. Parcontre, Dalida n'a pas chanté, jamais, la bande originale du film Le pont de la rivière Kwai, mais celle du Jour le plus long, nuance. Dalida était en tête des ventes de disques en 1958 avec son Gondolier et fut détronée par ce siffement à tout jamais célèbre. Je n'ai rien à ajouter à vos commentaires, ce serait déplacé. (Bravo à tous !). Bien sûr que nous frôlons le chef-d'oeuvre, malgré quelques petites longueurs. Oui, le titre de ce fil était évident : Beau travail ! Et tout au long de la projection, je n'ai pu m'empêcher de penser à la pochette de ce 45 Tours (!) qui trônait sur l'étagère en bambous auprès du vieux Teppaz de mon père qui écoutait cette armée sifflante en boucle… Ce souvenir ne changera rien à la carrière du film, j'en conviens, ni à l'opinion que vous vous en faites. Mais j'avais envie de le dire. Pour moi, et jusqu'à ce soir, Le pont de la rivière Kwai, c'était ça … Je ne savais pas que, quelques 55 ans plus tard, j'en parlerai sur le meilleur des sites de cinéma… (Si, si !)


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De droudrou, le 17 février 2014 à 18:10
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Quand Vincentp dit : « de nombreux instants de forme et de fond préfigurent Apocalypse now » je partage totalement son avis : il n’est pas possible de revoir l’un sans revoir l’autre et je prendrai tout simplement pour preuve les dernières images des deux films :

dans « le Pont sur la Rivière Kwaï » on entend le médecin déclarer « madness ! madness ! » la folie !… et dans « Apocalypse Now » la voix de Kurtz agonisant qui répète « the horror ! the horror ! »  – il n’est par ailleurs pas possible de détacher la fin de ces deux films :

Willard va regagner la civilisation, son sacrifice accompli, mais dans quel état, abandonnant le corps de Kurtz dans son repère qui va être détruit par l’aviation… tout comme Warden, qui abandonne le terrain sur lequel git le cadavre de Nicholson près des ruines du pont…

les deux missions ont été exécutées mais à quel prix ?

et enfin il n’est guère possible d’ignorer l’évolution du colonel Kurtz isolé dans sa jungle qui face à l’ennemi mène sa guerre à sa façon tout comme le colonel Nicholson gère ses troupes et leur captivité face aux japonais !

même si on doit à Pierre Boule le roman "Le Pont sur la Rivière Kwaï on a néanmoins deux très grands films pour l’écriture desquels « Au cœur des ténèbres » le roman de Joseph Conrad a pesé très fort John Milius et Carl Foreman…


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De vincentp, le 17 février 2014 à 18:26
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Tout à fait. J'ai ressenti aussi une filiation de fond et de forme entre Guerillas de Fritz Lang et Apocalypse now (tournés tous les deux aux Philippines). Or, je n'ai jamais lu une seule ligne mentionnant des ressemblances entre ces deux films. Rien que l'affiche de ces deux films propose des éléments communs.


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