Si on passe sur le très exaspérant Aumont, qui gâchait déjà une bonne partie de Hôtel du nord,
Drôle de drame
est une petite merveille d'absurde poétique, de délire tranquille, de numéros d'acteurs en quasi-liberté, qui s'en donnent à cœur-joie. Les face à face Jouvet
-Simon
(dont le célébrissime "Bizarre, bizarre") sont des régals sans pareils : Simon déchaîné en écrivaillon botaniste trouillard et bredouillant, face à Jouvet impérial en évêque gourmand et libidineux. Françoise Rosay
n'a jamais été mieux employée, et les seconds rôles sont tous parfaitement campés. L'humour de Prévert
est plus british que latin, et son dialogue d'une incroyable légèreté. Drôle de drame,
après avoir été un échec à sa sortie, n'a jamais acquis le statut de vrai classique, à l'inverse des autres Carné
-Prévert. C'est en même temps ce qui le rend aussi attachant.
En espérant que ce nouveau DVD contiendra de bons suppléments (comme les interviews effectuées dans les années 70, lors d'une émission dont j'ai oublié le titre, et qui diffusait de grands classiques français).
Il paraît possible de n'être pas d'accord, sur l'habituelle médiocre qualité du jeu de Jean-Louis Barrault pour Drôle de Drame.
Il me semble que Barrault est, sinon meilleur, du moins mieux intégré à une histoire fofolle, déjantée, qui avait fait un bide en 1937. L'humour vaguement british y fut mal compris, et le film trouva son public après la guerre. Là, le coté farfelu et fantasque des situations, fait que les comédiens – et surtout leurs personnages – s'y agitent comme des pantins, y disent des phrases dont l'absurdité croustillante se prête aux débordements : Vous avez-dit bizarre ? Comme c'est bizarre… Il me semble que les excès du jeux de Jean-Louis Barrault ne le cèdent en rien au jeu appuyé par la cocasserie de situation de Françoise Rosay,
Michel Simon,
le grand Jouvet –
irrésistible clergyman – Lucien Coëdel
(sauf erreur) du genre Là où il y poison, il y a contrepoison. Et là où il y a contrepoison, il y poison !. Les comportements appuyés de comédiens face à des situations et des dialogues eux mêmes fantaisistes et excessifs, ont permis à Jean-Louis Barrault
de s'y glisser avec plus d'aisance, les autres ayant un comportement similaire, il me semble. Je suis sensible, j'aime les animaux, moi ! Les bouchers tuent les animaux. Alors je tue les bouchers !!. Il eût bien difficile de dire de telles répliques avec un ton retenu. D'où ce (modeste) désaccord. Mais…
Azurlys a parfaitement raison, le jeu de Jean-Louis Barrault se prête mieux aux milieux fantasmagoriques voire glauques. Mais dans Drôle de drame,
c'est la présence de Michel Simon
et de Louis Jouvet
qui le décrédibilise totalement. Pour ma part, je n'ai pas vu toute sa filmographie, mais c'est Le testament du docteur Cordelier
qu'il me paraît le plus acceptable, même si je m'appuie sur des souvenirs qui datent.
Des journaux anglais avec des articles écrits en français , ça ne fait pas très couleur locale !!!
Ma note très moyenne est sûrement un peu faible par rapport à la renommée du film, à certaines scènes étincelantes, à la qualité de la plupart des acteurs, mais je ne me résous pas, après avoir vu une bonne demi-douzaine de fois Drôle de drame à classer le film de Marcel Carné
et de Jacques Prévert
trop près du rang que je donne à leurs grandes œuvres, celle du Réalisme poétique, de Quai des brumes
aux Portes de la nuit.
Drôle de drame me fait plutôt penser, en mieux, au gentil (quoique fort acide) film de Pierre Prévert
tourné en 1932, L'affaire est dans le sac
; là également il y a une liberté de ton amusante, sympathique, si l'on veut, mais dont on se lasse vite. Il y aussi quelques scènes anthologiques : ainsi Jacques Brunius (qui sera un des canotiers galants de la Partie de campagne
de Jean Renoir)
demandant au chapelier Julien Carette
Un béret. Un béret français. La casquette, c'est bon pour les ouvriers. Le béret, c'est simple, c'est chic, c'est coquet. Mêmes trouvailles de langage de Jacques Prévert,
du célébrissime Bizarre, bizarre au récurrent À force d'écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver proféré par Irwin Molyneux (Michel Simon).
Et là, on se prend à songer à Robert Le Vigan,
dans Quai des brumes
et à la force poétique et surréaliste de Quand je peins un baigneur, je vois déjà un noyé.
Alors donc, Jean-Louis Barrault… Je me range aux côtés de ceux qui jugent cet insupportable théâtreux plutôt moins mauvais dans Drôle de drame
que dans la plupart des films qu'il a pollués (en premier lieu Les enfants du Paradis,
qu'il ne parvient pas tout à fait à saboter). Ce côté hystérique halluciné de William Kramps, le tueur de bouchers, par son côté excessif et ridicule, correspond assez étroitement au jeu toujours frénétique d'un comédien qu'on n'a que trop vu au cinéma…
1937, dans une salle des Champs Élysées. Un grand acteur, entré, paraît-il par hasard dans une salle de cinéma qui projette Drôle de drame s'esclaffe à toutes les répliques. Il est un des rares à apprécier le film. C'est Jean Gabin
; il a repéré Marcel Carné
; grâce à cela, il y aura Quai des brumes
et Le jour se lève.
Et simplement grâce à cela, les agaceries de l'évêque Soper et du botaniste Molyneux conserveront un peu plus qu'un intérêt historique.
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