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La haine, le venin et la faiblesse


De Impétueux, le 30 janvier 2014 à 17:23
Note du film : 5/6

Qui pourrait citer, de but en blanc, comme ça, sans y réfléchir un peu longuement, une demi-douzaine d’œuvres d'Honoré de Balzac convenablement adaptée pour l'écran ? Hein ? On s'étonne, parce que ce n'est pas la richesse romanesque, l'ampleur des intrigues, la caractérisation des personnages qui font défaut au grand écrivain, n'est-ce pas ? Parce que, même en n'en ayant que des souvenirs scolaires (enfin, du temps où on ne considérait pas les textes de slam ou de rap comme objets d'étude), même en ne se souvenant que d'avoir lu, on avait bien en tête pas mal de titres…

Qu'est-ce que je citerais, moi, spontanément ? La duchesse de Langeais de Jacques de Baroncelli, Le Colonel Chabert, celui de René Le Hénaff en 1942 et celui de 1994 d'Yves Angelo avec Gérard Depardieu, La fille aux yeux d'or de Jean-Gabriel Albicocco… Je sais qu'il y en a quelques autres films, mais pas tellement. Ah ! J'allais oublier Les Chouans d'Henri Calef avec le pétaradant Jean Marais, mais c'est un Balzac des débuts, qui n'est pas encore très significatif.

En tout cas au cinéma. À la télévision, c'est autre chose. En tout cas lorsque la télévision pouvait encore ambitionner d'être ce qu'on appelait le 9ème art, aux temps des deux ou trois chaînes de l'O.R.T.F., qui étaient bien largement suffisantes pour donner des soirées intéressantes, sinon toujours très intelligentes (il y avait Cinq colonnes à la Une, mais il y avait aussi Intervilles, ne nous bouchons pas les yeux).

Le registre balzacien convenait particulièrement bien à cette télévision d'antan, parce qu'elle avait les moyens de dresser de vastes tableaux et surtout parce qu'elle prenait le temps : simplement deux heures pour La cousine Bette d'Yves-André Hubert, avec Alice Sapritch, mais 4 fois 100 minutes pour Illusions perdues et 6 fois 90 minutes pour Splendeurs et misères des courtisanes, remarquables adaptations du même Maurice Cazeneuve.

Le téléfilm du Curé de Tours, qui date de 1980, est une des plus remarquables interprétations que je connaisse. Elle est signée de Gabriel Axel, cinéaste danois qui eut un succès inattendu et mérité avec l'étrange Festin de Babette, en 1988, avec Stéphane Audran. C'est une merveille d'intelligence et de subtilité, servie par une distribution exceptionnelle.

Assez bref, le roman décrit la lente déconfiture de François Birotteau, brave homme de vicaire promis au canonicat et à un ministère assez doux et confortable dans une belle paroisse de Tours… et dans le logement douillet où il a succédé à son ami et protecteur, l'abbé Chapeloud, homme de goût, d'esprit et de clairvoyance dans la maison de Mlle Gamard.

Chapeloud, tout en onction ecclésiastique, a néanmoins, par sa forte influence auprès de l'évêché, écarté depuis de longues années de toute promotion l'abbé Troubert, qui réside lui aussi chez Mlle Gamard, offre l'image d'un prêtre modeste, résigné à la médiocrité de sa condition, usé, mais qui est en fait un maelström de haine, d'envie et de perfidie. Birotteau, appuyé pourtant par la bonne société tourangelle, ne résistera pas longtemps aux manœuvres de Troubert, manquera de faire tout perdre à ses amis un peu trop exaltés et naïfs de l'aristocratie et finira dans la misère et la stupéfaction, alors que Troubert, nommé évêque de Troyes, remportera toutes les mises.

Birotteau, c'est Jean Carmet ; Troubert, c'est Michel Bouquet ; Sophie Gamard, c'est Suzanne Flon. Trois interprètes exceptionnels, qui portent, chacun, dans l'étonnement d'un sourcil levé, dans le pli ambigu de la bouche, dans l’œil ourlé de mesquinerie et de méchanceté. Si l'on veut voir, dans une histoire vénéneuse et désespérante, lamentable, effrayante de mesquinerie et de méchanceté, trois grands acteurs – deux qui en tuent un autre – on a sacrément à voir et revoir Le curé de Tours.


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