Assurément, comme le rythme du film ne connaît pas de rupture et qu'on vibre devant toutes les péripéties et avanies rencontrées par le sympathique Turner, on ne se rend compte que bien après coup que la transformation de ce funambule hédoniste en crocodile subtil, aussi habile à déjouer la violence de ses ennemis que de leur tailler des croupières est un peu trop miraculeuse. Le bât me blesse un peu de voir ce grand lecteur, qui a pu déceler, en colligeant quelques informations apparemment sans rapport entre elles, une sorte de complot belliciste – ce qui a mis la puce à l'oreille des instigateurs de ce complot – devenir en quelques séquences une sorte de bête de combat. Devenir un type qui paraît maîtriser très vite toutes les astuces, tous les codes du métier, qui peut capter des conversations téléphoniques, se battre contre un tueur particulièrement habile et déterminé et l'éliminer, identifier ceux qui furent ses patrons et qui sont désormais les commanditaires de son assassinat…
En fait, je serais bien demeuré aux côtés du brave type paniqué, qui fait n'importe quoi pour s'en sortir parce qu'il croule de peur. J'aurais même admis qu'il pût s'emparer d'une sorte de bouclier humain, la ravissante Katherine Hale (Faye Dunaway) et aussi qu'il la séduise ; mais il est vrai aussi qu'à partir de ce moment-là, on change de registre et le chevalier blanc Turner/Redford commence à mener sa croisade démocratique. On a vu cent fois l'effroi qui se manifeste sur les visages de ces braves gens qui découvrent que la réalité de la vie des Puissances n'est pas ce qu'ils imaginaient. À la fin du film, lorsque Turner, tout fier de lui, tout faraud donne rendez-vous à ce qu'on pourrait appeler son officier traitant, Higgins (Cliff Robertson) au bas de l'immeuble du New-York times, à qui il a raconté son histoire, on songe à la jactance pareille de Paul Kerjean (Patrick Dewaere) dans Mille milliards de dollars d'Henri Verneuil : ces nigauds croient-ils vraiment qu'ils ont la moindre possibilité de renverser le Moloch ?Partis donc admirablement vite, Les trois jours du Condor s'engluent malheureusement dans leur deuxième partie dans des raffinements de complication extrêmes (on ne sait plus qui est qui, qui veut tuer quoi) et dans un pamphlet vertueux de dénonciation, vu cent fois et toujours aussi inutile. Restent la beauté de Faye Dunaway et de Robert Redford et surtout, surtout la maîtrise distanciée de Max von Sydow. Comme par hasard, le seul Européen. Par hasard ?
Je n'ai pas mentionné ce film dans "ma liste des films préférés" mais l'ai pourtant déjà vu cinq fois. Avec à chaque fois, l'occasion de redécouvrir des nouveaux détails de forme ou de fond. Pollack et son équipe (de mon point de vue) ont fait fort, dans toutes les composantes cinématographiques… J'ai remarqué que le suspens vient en partie du fait que l'on ne sait pas comment situer le personnage secondaire qu'est Higgins d'un bout à l'autre de l'histoire. Bon ou méchant ? Et l'interprétation de Robertson (judicieusement "casté"), acteur qui possède en lui une certaine réserve, et un regard trouble, participe à cet état de fait. Mais on pourrait en dire autant de Max von Sydow (impressionnant).
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