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L'ambiguïté


De DelaNuit, le 12 février 2016 à 17:35
Note du film : 5/6

Les romans et nouvelles de Henry James sont réputés pour leur subtilité, la pudeur et la délicatesse des relations humaines qui s’y tissent… Leur adaptation au cinéma n’en est que plus ardue. On risque de tomber dans une exposition trop explicite ou à l’inverse donner l’impression d’un survol superficiel. Trop de pathos ou trop de distance… Je considère ainsi que Les ailes de la colombe ou La coupe d’or par exemple sont des films intéressants mais incomplètement réussis. En revanche, j’avais beaucoup apprécié L’élève.

Les innocents de Jack Clayton réussit à tenir une fragile position d’équilibriste sur le fil du rasoir. Dans cette histoire de maison mystérieuse aux multiples recoins, de parc trop grand peuplé de statues autour d’un lac, de gouvernante inquiète et des deux enfants trop sages dont elle a la charge, on oscille en permanence entre l’explication fantastique et le rationalisme d’une approche psychanalytique, sans que le film jamais ne prenne partie, contribuant au malaise né d’une situation non élucidée.

Les enfants sont bien étranges, c’est un fait. Mais tout enfant n’est-il pas capable de passer en une seconde de l’angélisme à la cruauté avec un naturel déconcertant ? Ceux-ci vivent dans un environnement invitant à la fantasmagorie et ont eu malgré leur jeune âge leur lot de drames. La mort de leurs parents, puis celle du ténébreux valet et de leur précédente gouvernante sa maîtresse dont ils étaient très proches les ont marqué, et le comportement de ces adultes, plus que douteux à leur égard, a également laissé des traces qui peuvent expliquer certaines attitudes, réparties… Est-il pour autant besoin d’aller chercher le surnaturel, d’imaginer que les esprits de ces deux personnes rôdent autour des enfants et les tiennent sous leur emprise ? Deborah Kerr – parfaite comme toujours, dans un rôle de gouvernante autrement plus perturbée que dans Le roi et moi – en est persuadée. Elle voit et entend des choses… Mais il pourrait tout aussi bien s’agir de son imagination. Son inquiétude grandissante est fortement ressentie par les enfants. Alors quelle influence subissent-ils ? Celle de deux esprits pervers revenus de l’au-delà ? Ou bien les drames et la perversité qu’ils ont précédemment subis se trouvent-ils ravivés par l’inquiétude de plus en plus hystérique d’une fille de pasteur d’autant plus prompte à voir le Mal à l’œuvre que son éducation religieuse et rigoriste l’y incite, et qu’elle n’est pas habituée à se trouver dans un tel décor chargé d’un sulfureux passé avec de jeunes enfants ?

Les deux approches sont également plausibles et le film ne tranche à aucun moment, laissant le spectateur à son malaise exactement comme dans la vie, où le doute demeure à moins d’avoir des convictions, lesquelles de toute façon ne prouvent rien par elles même… Puisque croire aveuglément en une chose ou un être (Dieu, démon, fantôme…) ou bien en sa non-existence sont deux moyens aussi efficaces l’un que l’autre pour éviter de réfléchir. C’est toute la force de cette œuvre marquante, non seulement de laisser le spectateur repartir avec son malaise, mais surtout de l’inviter à la réflexion…


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De Impétueux, le 20 mai 2011 à 17:28
Note du film : 5/6

Il serait intéressant de dresser la liste d’habitations qui sont presque à elles seules acteurs de films et de glisser un parallèle des Innocents avec La maison du diable, ou autre demeures effrayantes (la seule qui me vient à l’esprit et que j’appelle sans conviction à la rescousse, c’est la curieuse et mélodramatique Maison assassinée de Lautner, qui n’est ni de la même souche, ni de la même qualité, loin de là !).

Je ne suis pas fort amateur du court roman (de la longue nouvelle ?) Le tour d'écrou d'Henry James ; je m'y suis au moins deux fois perdu, égaré par une écriture trop elliptique et ma méconnaissance littéraire de l'univers anglais. J'ai donc commencé à regarder Les innocents avec une certaine réticence, tout disposé à vite abandonner l'écran si l'ennui commençait à me gagner. Et je suis resté, captivé, de plus en plus admiratif de la progression dramatique et de la capacité à filmer l'atmosphère perverse et glaçante qui convient à cette histoire de souillure ou de frustration, selon qu'on considère le récit de l'œil de Miss Giddens (Deborah Kerr) ou de façon plus extérieure.

Car les histoires de peur – par différence avec les films d'épouvante – ont le grand mérite de laisser ouvertes les possibilités et les interprétations et de soumettre à chacun ses interrogations, tranchées, quand elles le sont, au couperet de sa propre sensibilité. Miss Giddens est-elle une jeune femme bridée par sa condition de fille de pasteur et par le refoulement névrotique de la société victorienne, se racontant des histoires horrifiques par sa seule imagination ? Ou bien est-elle victime des véritables sortilèges démoniaques issus de la perversité de Quint (Peter Wyngarde), valet mort, mais encore présent dans les mémoires de ceux qui l'ont frôlé et de l'étouffante perfection de la maison et du domaine, espaces absolument clos, se suffisants à eux-mêmes comme métaphores de l'enfermement ?

Les innocents comptent très peu de personnages – Miss Giddens, les deux enfants, Miss Grose la nourrice (je compte pour rien l'oncle des enfants qu'on ne voit qu'au début, dans une sorte de prologue), quelques utilités domestiques et naturellement les fantômes, qu'on ne voit que subrepticement et qui ne parlent pas – ; très peu de personnages, mais qui n'empêchent pas de ressentir cette impression d'étouffement, de pullulement de mauvais sorts et de maléfices : les statues, omniprésentes, les escaliers, les fenêtres, les pièces sombres, les arbustes battus par le vent, les brouillards, tout cela donne cette impression de malaise et de malédiction qui fait la force du film de Jack Clayton.

Ajoutons que c'est plastiquement magnifique et que, au delà du grand talent de Deborah Kerr, les deux enfants sont remarquables : il y a, à un moment, dans l'œil de la petite Flora, devant l'araignée qui dévore un papillon, une lueur démente, brusquement d'une infinie cruauté. La jeune Pamela Franklin n'avait alors que 11 ans ; je lis sur elle qu'elle fit une carrière banale, mais qu'elle tourna plusieurs films d'horreur… Tiens donc !


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