Ce film m'avait beaucoup plu, quand je l'ai vu il y a longtemps. Toutefois, les films des seventies ont souvent morflé (esthétique, thématique) et les désillusions sont légions.
Concédons d'emblée que ce film est un curieux mélange de qualités et de défauts : il tient, à certains moments, du roman-photo, voire du mélodrame par des effets très appuyés.
Mais l'essentiel est ailleurs. Par exemple, dans une mise en scène inventive (cadrages, décors et couleurs sont toujours judicieusement choisis et soignés) ; dans une description d'un "amour fou" qui se heurte à un passé indélébile et plonge chaque personnage dans l'ambiguïté ; dans le déferlement de passions (sentiment de culpabilité, désir de rachat, solitude, recherche des divertissements -jeu et plaisir- qui étourdissent, etc.) qui dessinent l'humaine condition. L'univers brumeux de cette station balnéaire n'est pas sans évoquer celui de Dostoïevski, et Delon, excellent en professeur original, tourmenté, vrai, proche et lointain à la fois, une sorte de prince Mychkine.
"Le professeur" demeure un film unique et intrigant, même si c'est encore la version française qui sort là. L'Italienne comportait 20 minutes de plus, à peu près. A ranger dans la filmo de Delon, à côté d'autres exceptions comme "Mr. Klein", "Notre histoire", ou "L'insoumis".
Une synthèse bien venue : j'acquiesce…
En fait, sans mériter une critique aussi sévère que la vôtre, il est vrai que "Le professeur" a vieilli. Post viscontien (ses thèmes, son cast), le film est un peu prétentieux, assez mal fichu (le montage est abrupt, l'enchaînement des séquences déséquilibré) et le look désuet. Il y a cependant dans ce film un romantisme glauque, une désespérance jusqu'auboutiste assez rares et Delon est très étonnant en loser détruit de l'intérieur, sans énergie ni même volonté de vivre. Ses relations avec Spider sont intrigantes et sa mort, un final approprié. Il est vrai que l'oeuvre est gravement mysogine, que les femmes y sont dépeintes comme des êtres corrompus, soumis, calculateurs, destructeurs, mais cela demeure une oeuvre estimable.
"Romantisme glauque (…) Désespérance (…) sans volonté de vivre". Oui, et ces thèmes – et la façon dont ils sont traités – donnent au film son intérêt. J'acquiesce donc une deuxième fois !
Heureusement qu'il y en a, ici, qui connaissent le cinéma italien. Moi, je n'ai jamais vu ce Zurlini, alors que j'aurais tant aimé participer à ce fascinant débat…
Mais comme c'est le seul de son auteur sur le marché – on ne trouve même pas son chef-d'oeuvre La Fille à la valise ! ni Des Filles pour l'armée ! ni même Le Désert des Tartares ! – je vais sans doute finir par craquer, bien qu'il s'agisse d'une version mutilée (par Delon, dit-on).
Détail curieux : ce film fut un des plus grands succès du box-office italien en 1972, rapporte le spécialiste Jean Gili.
Diable ! 8 messages déjà, et une bataille à couteaux acérés sur un film qui ne me semblait mériter ni excès d'honneur, ni indignité ! Je découvre cette polémique vigoureuse et d'excellent niveau, malgré les invectives lancées, après avoir, à l'instant revu le film, qui, en 1972, m'avait laissé une étrange impression.
Un film aussi raté qu'intéressant…
S'il est à peu près certain que ce film n'est pas le meilleur de Valerio Zurlini – dont je permets de suggérer plutôt le superbe Été violent ou encore l'introuvable Le Soldatesse – il ne faut quand même pas perdre de vue que la version du film dont il est question ici est la même que celle sortie en France en 1972, c'est-à-dire amputée d'un bon 20 minutes, charcutée et remontée. Certes, c'est mieux que rien – je me le suis d'ailleurs procuré récemment par l'intermédiaire de mon agent (secret) à Paris – mais nous ne savons pas vraiment, en fait, de quoi a l'air cette Prima notte di quiete (*) en version intégrale (qui fut soit dit en passant un très grand succès à sa sortie en Italie). Comme je ne crois pas aux miracles, ça ne serait sans doute pas le jour et la nuit, et les défauts du film seraient probablement les mêmes; cela dit, prudence : "mal fichu", franchement, ça m'étonnerait. Enfin, je vais le regarder dret-là et je vous fais mon rapport aussitôt.
(*) En passant, ça vient d'un vers de quel poète italien, ce titre ? "La mort, première nuit tranquille…" ? Zut, j'ai un blanc.
Il est fort possible que les vingt minutes manquantes, rapportées ici et là, et en dernier lieu par Arca apportent de la cohérence à ce film qui souffre en effet de trop d'ellipses pour être honnête. Je ne demande pas mieux que de me laisser convaincre et d'apprécier plus pleinement un film qui, pour baroque et mal fichu qu'il est en l'état, n'est jamais ennuyeux…
Je crois avoir lu quelque part que les fameuses 20 minutes manquantes, étaient consacrées à des discours politiques, peu accessibles au public non-italien, et que c'est pour cette raison que le film (co-production franco-italienne) est sorti chez nous en version "allégée".
« Je crois avoir lu quelque part que les fameuses 20 minutes manquantes, étaient consacrées à des discours politiques, peu accessibles au public non-italien, et que c'est pour cette raison que le film (co-production franco-italienne) est sorti chez nous en version "allégée". »
Voilà donc l'explication ! Il me semblait, aussi, que ça manquait singulièrement de politique pour un film italien de 1972. Pour ma part, spectateur nord-américain, c'est en regardant des films italiens – et non en lisant des livres ou en suivant des cours – que j'ai connu d'abord la politique italienne. (Et ensuite seulement j'ai lu les livres et suivi les cours). Quelle bouillie pour les chats, quelle bovine stupidité que de charcuter un film sous prétexte qu'il contient des choses dont les spectateurs n'ont pas déjà entendu parler. Imaginez qu'on eût appliqué la même logique aux films de Francesco Rosi, aux thrillers anti-mafia de Damiani, etc (et qui étaient eux aussi souvent des co-prod) : il n'en serait resté que des courts-métrages !
Bon, bon, bon. Donc, la version intégrale est un film plus politique que la version mutilée. Et je mettrais ma main au feu que ça donne à l'oeuvre plus de cohérence – laquelle, comme le note justement Impétueux, manque singulièrement à ce curieux film. Ainsi, le professeur qui quitte sa classe peuplée de jeunes contestataires à la mode 71 pour aller tranquillement s'acheter Le Figaro, journal "de droite"…? Et la promenade "kantienne" du héros, toujours sur le même quai du port… Il y a là quelque chose. Je pense qu'il y a un rapport entre le propos du film et ce qu'on pourrait appeler la dépression postcoïtale des soixante-huitards. Et qui sait si tout ceci ne serait pas plus clair avec ces fameuses 20 minutes manquantes.
Quoiqu'il en soit, j'ai suivi avec un certain intérêt ce Professeur, auquel je conserve mon (petit) 4. Premier point : c'est bancal, mais ce n'est pas "mal fichu" du tout. Beau finale dans la brume. Superbe photographie de Dario Di Palma (qu'on verrait mieux si le film avait été restauré). Extérieurs superbes, intérieurs moches. Mise en scène précise au service d'un propos qui lui ne l'est pas. Impressionnante équipe d'interprètes, mais tous aux prises avec le même problème : les personnages sont flous. Si Giannini tire bien son épingle du jeu, comme toujours ou presque, Renato Salvatori semble perdu. En revanche, la "vulgarité" reprochée au personnage de Alida Valli est nécessaire pour préparer la vulgarité de la fille, pour annoncer que la pure jeune fille (Sonia Petrovna) que croit voir Delon n'est pas celle qu'il croit. Cela dit, on se demande pourquoi il fallait d'aussi prestigieux acteurs qu'Alida Valli et Salvo Randone pour de si petits rôles. Comme d'habitude Lea Massari est excellente. Adalberto Maria Merli joue un peu trop sur une seule note (il peut faire bien mieux : voir La Villégiature). Reste Delon, que je suis bien content de retrouver dans un emploi inhabituel. Lui aussi est aux prises avec un personnage pas trop bien défini, mais heureusement, c'est un acteur "de présence", comme Lino Ventura ou Toshiro Mifune, alors ça passe mieux avec lui que si ç'avait été un acteur-caméléon comme Jean-Louis Trintignant. Cela dit il ne fait pas "du Delon" : son personnage, qui semble paralysé devant certaines circonstances de la vie, est à la limite un contre-emploi.
Ce film a d'abord et avant tout un problème de scénario. Ce Enrico Medioli, on le trouve au générique de bien des bons films – de Visconti notamment – mais je le soupçonne d'être de l'équipe B : plutôt coscénariste que scénariste ? Je tiens en haute estime Valerio Zurlini, mais comme j'aime bien insister sur les limites de la théorie des auteurs, je souligne que monsieur Zurlini a toujours eu des scénaristes de très fort calibre à ses côtés : Suso Cecchi d'Amico pour Estate violenta, Benvenuti/De Bernardi pour La Fille à la valise, Vasco Pratolini pour Journal intime, Franco Solinas pour Le Soldatesse, Franco Brusati pour Assis à sa droite. Alors, ceci explique peut-être cela : qu'on se retrouve avec une histoire filandreuse, de enchaînements qui semblent arbitraires, des ellipses bizarres. Mais évidemment, peut-être qu'avec ces 20 minutes…
Ravi de lire vos avis – et autres discours… – concernant ce Professeur. Je peux ainsi constater que je ne suis pas le seul à avoir été troublé par ces fameuses vingt minutes coupées dans la version française, suscitant bien des interrogations pour la bonne compréhension de l'ensemble. La faute paraît-il, à Alain Delon acteur, mais surtout producteur dans ce cas. Après sa brouille avec Melville dans son précédent film (Un Flic), il se fâcha cette fois avec Valerio Zurlini. Celui-ci, en plus d'avoir mal digéré le raccourcissement de son film (bien qu'il en reste près de deux heures), lui reprocha un titre trop inapproprié pour la sortie française. Discutable.
Mais en effet, cette histoire d'amour se laisse suivre, malgré son ambiance particulièrement plombante n'offrant pas le moindre moment de légéreté. Puis, le début du film était trop prometteur par rapport au reste du récit. On regrette de ne pas en avoir appris davantage sur les rapports entre Delon et ses nouveaux élèves. Et dommage qu'ensuite, plusieurs scènes s'enchaînent mal et que le scénario ne choisisse tant de facilités.
On aura une pensée pour les habitants de Rimini, où fut tourné le film, en plein hiver. C'était alors une jolie et paisible cité italienne, qui n'avait pas encore été transformée en mégalopole touristique. Du reste au casting, entre les habituels Renato Salvatori, Lea Massari, Giancarlo Giannini ou Alida Valli, on épinglera la présence de la carlabrunesque Sonia Petrovna. Actrice qui relance actuellement sa carrière sur les planches et en fiction – notamment en télé – par un site internet fraîchement réactualisé. Exceptionnellement, je lui ferai donc sa pub… http://www.sonia-petrovna.com/
« Celui-ci, en plus d'avoir mal digéré le raccourcissement de son film (bien qu'il en reste près de deux heures), lui reprocha un titre trop inapproprié pour la sortie française. Discutable. »
Ah ? Eh bien moi, La Première nuit tranquille, cela aurait bien sonné à mes oreilles. Quant au « raccourcissement » de son film, Zurlini n'est pas seul à mal le digérer. When it ain't broken, don't fix it, dit le proverbe américain. Puisque le film avait bien marché sur son marché d'origine, il n'y avait pas de raison de le raccourcir.
Et qu'on ne me sorte pas que les vingt minutes en question contenaient de la politique ! Les spectateur français qui allaient le moins du monde au cinéma en ce lointain 1971-72, s'ils allaient voir des films italiens, ils étaient forcément habitués à entendre parler de politique. Enfin pas dans tous les films, heureusement, mais une bonne brochette (même les séries B en étaient imprégnées, alors). Je crois même que pour certains spectateurs "bien de leur époque", le fait qu'il soit souvent à teneur politique était une raison de priser le cinéma italien. C'était la mode, c'était courant, l'époque était comme ça. Cette année-là, par exemple, deux drames politiques italiens gagnaient ex-aequo la Palme d'Or. En 1972, c'était tout à fait ordinaire d'entendre parler de politique dans un film italien. Donc on ne coupe pas.
Je profite de la remontée de ce sujet pour interroger les nombreux érudits et mélomanes qui hantent ce lieu.
On m'a posé dernièrement la colle suivante :
C'est le passage dans le film ou Delon , Sonia Petrova et Giancarlo Giannini sont en boîte pour fêter l'anniversaire de ce dernier : complètement éméché. Dans la séquence de la boîte passe 2 musiques : La 1er est chantée par Ornella Vanoni "Domani é un altro giorno". La 2eme c'est seul que je recherche , une sorte de Jazz , je ne sais pas du tout qui la composé.
si jamais un amateur de jazz a reconnu ce thème, je lui en serais infiniment reconnaissant… merci d'avance !
Quelle belle redécouverte !
Je l'avais découvert il y a quelques années et ma déception avait été grande. J'avais trouvé le film languissant, daté, désagréable, mal foutu. Je pensais que la vision récente de films de Zurlini tels que le superbe Eté violent renforcerait mon inconfort vis-à-vis de cette oeuvre…Que nenni ! Revu dans le contexte de l'oeuvre zurlinienne, Le professeur acquiert une nouvelle saveur, celle d'un authentique "grand film malade" pour reprendre l'expression de François Truffaut déjà citée par l'un de nos contributeurs précédents.
Les défauts n'ont pourtant pas disparu. La narration est toujours aussi chaotique, les couleurs plutôt laides et le film est très inférieur à Eté violent ou La fille à la valise sur ces deux plans. Est-ce l'esthétique seventies parfois très datée qui a encore frappé ? Déjà il convient de se rappeler de la splendeur plastique de films de cette époque comme Le conformiste ou les oeuvres de Rosi. Et puis la plupart des plans font apparaître le Zurlini que l'on connaît, véritable génie pictural du septième art. Pour ces deux défauts rédhibitoires on peut se dire: quel résultat aurait-on obtenu avec une copie restaurée avec la version originale italienne de 132 minutes ? D'autant que post-synchronisation de la version française laisse vraiment à désirer, la palme revenant à une Alida Valli doublée n'importe comment dans la scène où elle dissuade le professeur de fréquenter sa fille. Pour le reste, il s'agit d'un film au charme vénéneux où le cinéaste déploie plus que jamais des obsessions cafardeuses ou morbides. Les personnages meurtris dans leur chair et surtout leur âme, supportent un lourd passé et sont condamnés d'avance. Les idylles sont comme dans tous les films de Zurlini sont vouées à s'achever tragiquement. Même l'histoire d'amour entre Trintignant et Eleonora Rossi-Drago dans Eté violent, un couple pourtant magnifique, sera vouée à l'échec et à l'inachèvement. ET c'est un train qui sépare ici aussi les deux amants, Daniele et Vanina… Le professeur dit à Vanina: "J'ai vu dans tes yeux une telle mélancolie que je n'ai pu le supporter". C'est un beau suicide, celui d'un homme qui va être une femme encore plus blessée et marquée par le malheur que lui, qui va aussi vers un groupe de jeunes désoeuvrés.. Le cinéaste a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage d'écorché vif qui adore la peinture et la poésie, plus que son métier évidemment avec un bordel en classe qui ne l'émeut guère, plus que la vie même. Delon est très grand dans ce rôle d'homme blessé qui va à l'encontre de son personnage public et de la plupart de ses rôles. Au fond cet acteur a toujours excellé dans les personnages en quête d'identité: le samouraï, Ripley, Klein, etc.. Gageons que le Mastroianni de l'époque, qui n'était plus l'acteur du bel Antonio n'aurait pas été aussi convaincant.. Etrangement, on retrouve autour de lui une distribution viscontienne: Salvatori, Valli, Petrovna, Gianini mais aussi l'antonionienne Lea Massari et le futur Minos de Peur sur la ville, Adalberto Maria Merli qui campe déjà ici un méchant assez caricatural.Quelle réussite dans le climat, dans cette ville brumeuse, souvent vide et triste !
Voilà donc un film peu sympathique où les dialogues sont souvent triviaux, le ton oscille entre grand réalisme et naïveté totale, les situations bizarres comme la cohabitation entre le professeur et sa femme soumise.La laideur rejoint la beauté: ainsi le zoom final qui nous révèle que le professeur était réellement le personnage de noble que le proviseur avait identifié en début de métrage.
Un film ambigü, imparfait, difficile à cerner mais fascinant comme jamais !
Je partage à peu près la moyenne des avis déposés ici. Récit d'atmosphère, sur le mal-être d'une ville, de ses personnages, et d'une société. L'introduction de Le professeur (une vision hivernale de la cité touristique) est marquante. Le traitement du personnage interprété par Delon aussi. Comme professeur de lettres, complètement barge, difficile de faire mieux ! Un mal-être tout à fait dans la lignée du propos de l'auteur (Valerio Zurlini) de Journal intime. Mais ce long-métrage manque de cohérence : visiblement ses contributeurs n'ont pas réussi à s'entendre comme il aurait fallu le faire. Une semi-réussite, ou semi-échec, pour Zurlini, au final. Mais les avis de chacun pourront être très divers… A voir, pour se faire une opinion. A mon avis, une réédition avec une image de meilleure qualité aboutirait à réévaluer cette oeuvre (visiblement un gros travail sur la couleur a été effectué).
« A mon avis, une réédition avec une image de meilleure qualité aboutirait à réévaluer cette œuvre. »
Ce qu'il faudrait surtout rééditer, c'est la vraie version du film de Zurlini telle qu'elle sortit en Italie – avec d'ailleurs un succès inattendu en salle – et non la version mutilée d'au moins 20 minutes qui, encore aujourd'hui, reste la seule disponible en France.
Ceux qui ont apprécié Le professeur auront tout intérêt à se pencher sur l'excellent Journal intime du même Zurlini, avec Marcello Mastroianni et Jacques Perrin…J'ai glissé cette oeuvre légèrement neurasthénique dans la fameuse liste des "100 meilleurs films italiens" publiée sur le fil de Voyage en Italie.
Nb: l'image de Le professeur est de qualité, mais les couleurs semblent "passées" sur certains plans.
Il y a une suite extrêmement intéressante de messages sur le fil de ce Professeur, notamment la contribution de Verdun, dont je partage la quasi totalité de l'analyse. Et pourtant, alors qu'il décerne la très bonne note de 5, je ne mets que 4, et encore en me disant que je suis bien trop généreux, sur la base en tout cas de ma nouvelle re-vision du film, où je me suis plutôt ennuyé. Et je reconnais pourtant que Le professeur dispose d'une réelle capacité de fascination, que ce n'est pas quelque chose qui laisse indifférent. Simplement, je me demande comment un film aussi mal fichu, épouvantablement mal raconté, mais aussi bien filmé parvient à laisser un souvenir durable et à surnager au milieu de centaines d'œuvres plus cohérentes, plus structurées, comment, dans le maelström d'images que nous avons en tête, nous parvenons à conserver aussi fortement le visage de Delon pâle, creusé, las, mal rasé, comment sa dégaine, son éternel manteau, son pull verdâtre persistent à marquer.
On a beau gloser sur le beau film que Valerio Zurlini aurait pu réaliser s'il avait pu y laisser demeurer les vingt minutes qui ont été retirées à la demande du producteur, Alain Delon himself, n'empêche que ce qu'on voit n'est pas très satisfaisant. Paradoxalement, je me demande si ce ne sont pas ces vingt minutes manquantes qui rendent le film si long, ou plutôt si languide. C'est peut-être bien ça, d'ailleurs : les ellipses narratives aboutissent de fait, souvent, à plonger le spectateur dans des séquences dont il ne comprend pas le lien avec le reste du film, donc l'utilité et la pertinence. Et qui donc l'ennuient ou l'agacent. La fluidité grise du récit en souffre et les personnages perdent leur stature ; les scènes qu'ils interprètent semblent donc presque toujours artificielles, en tout cas sans cohérence avec l'histoire.Et pourtant cette histoire, on le sent, on l'appréhende alors qu'on ne peut pas s'en satisfaire telle qu'elle est ainsi mutilée est – pourrait être – un grand récit sombre, pessimiste, dépressif qui laisse durablement mal à l'aise. Un peu d'outrance, sans doute, un sale monde, drogue, sexe, prostitution, chantage, nuits d'alcool et d'ennui. J'ai pensé quelquefois à L'important c'est d'aimer : il n'y a pas d'issue et rien de pur ou de beau ne peut résister à la folle inéluctable destruction. La débauche vulgaire de Rimini n'est pas différente de toutes les débauches du monde, aux bouches sèches d'avoir trop fumé et trop bu.
Mais Le professeur ouvre tout de même trop de portes ou, plutôt, les entrebâille, nous en fait regarder la perspective sans les mettre en perspective ; ainsi l'atmosphère du lycée tout secoué par les remugles post-68 ; ainsi les relations singulières entretenues par Dominici (Alain Delon) et sa femme Monica (Léa Massari) ; ainsi la révélation finale (tout de même largement cousue de fil blanc) de la véritable identité de Dominici, comte du Saint Empire (c'est-à-dire, sans doute descendant de Gibelins, ce qui cadre bien : Monterchi où Dominici emmène Vanina (Sonia Petrovna) voir la fresque de Pierro della Francesca est proche de Sienne, qui fut gibeline alors que Florence était guelfe).Tout cela ne se lie pas très bien avec la passion d'un homme usé (j'ai pensé aussi à l'Alain Leroy du Feu follet) pour une fille magnifique mais pourrie jusqu'à l'os. Et c'est bien dommage parce que ce massacre en direct a quelque chose de fascinant.
Si l'histoire est mal fichue, l'atmosphère de pluie et de brouillard de l'Italie du Nord à la fin de l'hiver est formidablement rendue et si les rapports humains apparaissent totalement artificiels, l'ambiance des soirées me semble au contraire bien véridique…
Paradoxes, donc d'un film qui agace et même souvent ennuie mais qui laisse de durables images en tête, en premier lieu Delon, épuisé, mal rasé, l’œil éteint, qui n'a pas un sourire pendant près de deux heures. Un acteur vraiment magnifique.
Il manque trois films de Zurlini en dvd dont Journal intime. Mais que font les éditeurs ?
La sortie de la version intégrale restaurée du professeur ne serait non plus du luxe !
Encore faut-il que les scènes coupées aient été conservées. Qui sait ? Il me semble que l'oeuvre de Zurlini est mal mise en valeur d'une façon générale.
«Encore faut-il que les scènes coupées aient été conservées.»
C'est seulement en France que le film a été tronçonné, à la demande de son producteur Alain Delon. La version longue circule en Italie. Par contre, je doute que les minutes retranchées existent en français.
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