Terrible accident de voiture sous les yeux d'un auto-stoppeur : Patrice de Courcy, grand compositeur français, à qui a été commandé un Concerto pour l'unification de l'Europe (ô naïves illusions polonaises de l'après-communisme !) se tue et tue sa petite fille. Réchappe de l'accident, à peu près indemne, sa femme Julie (Juliette Binoche). Tentative de suicide ratée, puis entreprise de la liquidation de tout ce qui paraissait être un passé heureux : famille unie, célébrité, grande aisance matérielle, avenir plein de promesses.
Fuite, volonté d'anonymat, rejet de tout ce qui pourrait rattacher au passé : l'argent, la grande belle maison, les meubles, les amitiés, les premières pages de la composition du concerto en cours d'écriture que la copiste (Florence Vignon) n'a pas même encore eu le temps de mettre au propre. Au fait, pourquoi passe-t-elle une nuit, la dernière dans sa maison, avec Olivier (Benoît Régent), ami (et collaborateur ?) de son mari qui dit l'aimer depuis toujours ? Voilà qui fait partie de pistes que Kieslowski ouvre et ne poursuit pas toujours, laissant perdre certaines dans les sables, faisant réapparaître d'autres pour faire avancer son récit. Récit qui demeure toujours linéaire et très clair mais qui prend aussi quelquefois une tournure baroque. Ce qui n'est pas, à dire vrai, un reproche, puisque la vie que nous vivons fonctionne à peu près ainsi, sans donner d'explications nettes et rassurantes à des tas de scènes et de péripéties que nous côtoyons ou même vivons sans les maîtriser. Ainsi, par exemple, alors que Julie/Binoche vient d'emménager dans son nouvel appartement, rue Mouffetard, qu'est-ce que c'est que cette rixe en bas de chez elle ? Il est vrai que ça entraînera, du fait d'une porte qui se claque et la laisse en teeshirt sur son palier, sa découverte d'un bout de la vie de l'immeuble… Mais aussi qui est ce clochard flûtiste (Jacek Ostaszewski) qui semble jouer des bribes de la musique du compositeur mort ? Et pourquoi est-il déposé dans le quartier par la limousine d'une femme riche ? Et la voisine du dessous, Lucille (Charlotte Véry) qui se prostitue et se produit dans un théâtre érotique à Pigalle, parce qu'elle aime ça, dit-elle, appelle au secours Julie, devenue son amie, parce qu'elle a reconnu son père au premier rang des spectateurs de la salle glauque de ses prestations dénudées. Et lorsque Julie va rendre visite à sa mère (Emmanuelle Riva) qui, dans son mouroir chic, s'enfonce dans la nuit d'Alzheimer… Et la souris qui donne naissance à une portée de souriceaux qui seront un régal pour le chat que Julie emprunte à un voisin… Et l'auto-stoppeur du début (Yann Tregouët) qui la retrouve et lui donne les dernières paroles qu’il a recueillies de son mari mourant…Tout cela sans doute pour montrer à la fois la solitude affreuse et, d'une certaine façon, le retour à la vie, parce que le chagrin s'estompe au fur et à mesure. Tout ça c'est très bien. Et il est d'autant plus dommage que survienne alors la révélation que le grand compositeur avait une belle maîtresse, une avocate, Sandrine (Florence Pernel), qu'il voyait depuis longtemps et à qui, juste avant de mourir, il a fait un enfant. À partir de ce moment là et des retrouvailles de Julie et d'Olivier/Benoît Régent, on quitte la route pour de bon, cette fois et c'est le film qui s'accidente.
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