Accueil
Voici les derniers messages de ce forum :

L'esthétique et le message


De Impétueux, le 14 septembre 2014 à 20:00
Note du film : 6/6

Personne ne met en doute que le régime de Fidel Castro, épine plantée dans l'appendice nasal floridien des États-Unis, n’ait tenu bon, malgré l'hostilité vertueuse du monde occidental, que grâce aux perfusions financières et technologiques soviétiques. À tout le moins jusqu'à ce que l'empire russe éclate et cesse d'acheter le sucre très au delà des cours mondiaux. Personne ne met en doute, au moins depuis quelque temps, que le castrisme soit un régime autoritaire, assez brutal et dur à l'opposant, mais personne n'a jamais prétendu qu'il avait atteint les sommets d'horreur de la Chine maoïste, de la Corée du Nord autocratique ou – le pire – du Cambodge des Khmers rouges.

Mais aujourd'hui personne ne paraît avoir en tête l'état épouvantable où se trouvait Cuba avant la chute de Batista, le 1er janvier 1959, ce statut, à la fois presque officiel et totalement hypocrite de bordel des États-Unis, où l'omniprésence du jeu, de la prostitution et de la drogue permettait à de vertueux baptistes ou presbytériens de s'envoyer en l'air sans courir le moindre risque. Personne ne paraît avoir en tête, non plus, que malgré son isolement mondial, malgré l'évidence que, dès que les Castro auront disparu, l'île reviendra à son statut de capharnaüm exotique et qu'elle a descendu, déjà, une bonne partie de la pente, personne, donc, ne rappelle que son système éducatif demeure extrêmement performant et que sa première ressource, avec le tourisme, est l'exportation de médecins compétents vers des pays riches en pétrole (Venezuela) qui lui assurent ainsi son approvisionnement.

Fidel Castro, lorsqu’il a pris le pouvoir, apparaissait moins comme un leader marxiste que comme un chef nationaliste qui s’opposait à la dictature ploutocratique de Batista ; mais les premières mesures économiques prises, la neutralité plutôt bienveillante des États-Unis s’est vite transformée en opposition de plus en plus virulente, poussant, dans l’autre sens, le castrisme à un durcissement dont l’Union soviétique a vite profité. On connaît la suite, la radicalisation du régime, devenu une sorte de modèle pour l’intelligentzia progressiste des années 60 (Salut les Cubains ! d’Agnès Varda me reste en tête) puis sa graduelle ossification.

Ce long commentaire dévidé, venons au film magnifique de Mikhail Kalatozov qui est, assez certainement, une commande passée par l'Union soviétique pour l'édification des masses cubaines (et sans doute au delà, pour celle du Tiers-Monde), une œuvre de propagande délicieusement manichéenne, caricaturale et naïve. C'est là tout le charme de ces pamphlets filmés et je renvoie ceux qui ne la connaissent pas à la rigolote et sympathique Vie est à nous, confectionnée par Jean Renoir pour le compte du Parti Communiste.

Mais, au delà du discours convenu, volontiers exalté et même emphatique, Soy Cuba est une symphonie esthétique, un exercice de style superbe de fluidité, de qualité, de beauté. La caméra survole, ondoie, navigue avec une aisance magistrale et, grâce à une photographie magique qui fait par exemple apparaître blanches les feuilles des palmiers sans qu'il y ait pour autant surexposition de la pellicule. On peut quelquefois estimer que Kalatozov abuse un peu des images décentrées, des prises de vue obliques, des angles volontairement excessifs. Mais c'est si beau, si bien filmé, si intelligent dans la mise en œuvre qu'on en est sidéré.

Je n'ai vu de Kalatozov, que Soy Cuba et son chef-d’œuvre, Quand passent les cigognes. Deux films, deux merveilles. S'il n'avait pas été soviétique, à quelle place fastueuse serait-il dans le panthéon du cinéma ?


Répondre

De vincentp, le 4 juillet 2010 à 22:01
Note du film : 6/6

5,7/6. Sublime sur un plan formel (on retrouve le talent exceptionnel de Kalatozov et de Sergei Urusevsky déjà admirés dans Quand passent les cigognes), avec des plans séquences ingénieux à partir de mouvements de caméras spectaculaires, énormément de trouvailles de mise en scène (comme la scène tourbillonnante de la danse, entre mille), une touche poétique admirable (l'introduction par exemple). Le propos pro-castriste et pro-marxiste n'est cependant guère nuancé (quoique…) et peut empêcher d'adhérer complètement à ce long-métrage. On se croirait dans un reportage de BIP BIP, avec des arguments d'une mauvaise foi parfois invraisemblable. Et cette peinture sociale de Cuba de Kalatozov n'est pas visionnaire pour un sou, quand on sait ce qu'il est advenu du marxisme-léninisme… Eisenstein, autre cinéaste soviétique au service de la mère-patrie, est arrivé à dépasser le canevas de départ pro-soviétique de ses histoires, pour aborder des thèmes universels et intemporels.

Mais cette réserve étant exprimée (et d'ailleurs non partagée, la préface du film par Samuel Blomenfeld parlant par exemple, avec de bons arguments, de dépassement du cadre propagandiste par un hédonisme poétique), on ne peut que conseiller aux cinéphiles Soy cuba, pour son aspect documentaire (orienté) et ses qualités formelles. Il devrait par exemple intéresser notre ami Impétueux, s'il ne l'a pas encore vu. Dans un autre contexte, il est évident que Kalatosov et Urusevsky auraient accéder à la postérité (de leur vivant) vu les énormes qualités de ce long-métrage.

Nb : le marxiste (?) Kalatosov, qui fut diplomate et consul, semble s'être inspiré du bourgeois par excellence Antonioni pour le troisième volet de ce long-métrage, volet qui rappelle par moments l'éclipse.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0037 s. - 6 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter