Quand on a la chance de tourner un film au paradis, on devrait avoir la décence de servir autre chose que cette soupe sans goût et sans identité véritable. Qu'est-ce qu'on mange, ce soir ? Ben on sait pas… C'est ce qu'on se répète tout le long de cette histoire tordue : si on sait fort bien ce que l'on voit, on ne comprend pas trop comment on a pu sacrifier un sacré bouquin. A part le talent incontestable de Jugnot à qui on a la faiblesse de beaucoup pardonner, Tahiti a rarement vu débarquer touristes aussi vrillés. L'histoire est par trop alambiquée et ne tient pas la route. La même, tournée à Levallois-Perret et on imagine aisément les spectateurs quitter la salle au bout d'une demi-heure. Mais nous ne sommes pas à Levallois-Perret ni à Nanterre. Nous sommes très exactement dans la baie d'Opunohu, Aimeo i te rara varulà où la terre des hommes s'illumine enfin... Et il est certain que Frédéric Blum, le réalisateur inconnu de mon bataillon, a su capter l'essentiel de cette terre des dieux peut-être conscient du fait qu'elle sauverait du naufrage la triste adaptation du roman de Romain Gary La tête coupable. J'y ai reconnu avec émotion le village de Papetoai où de nombreuses séquences se déroulent. Paul Gauguin est très, trop à l'honneur dans ce film qui oublie un peu trop vite combien ce peintre des Marquises fut haï par ce peuple dont il se servit plus qu'il ne l'honora. Mais il est de ces légendes qu'il faut laisser dormir pour éviter que les nuages s'amoncellent dans un ciel pas fait pour ça…
Jean-Marc Barr est à nouveau plongé (?) dans le grand bleu, essayant, vainement disons le, de s'extraire une fois de plus de son personnage de Jacques Mayol qui fit sa réputation en s'essayant de nouveau à la comédie pure. Pourquoi a t-on cette impression bizarre que cet acteur a passé son temps à fuir ce qui l'avait porté au firmament de toute une génération ? Se demande t-il qui il était avant la création du monde…, en voyant ces atolls se disputer la beauté des lieux ? Il parait envoûté et son "absence" semble gêner un Jugnot affreusement barbu, mais égal à lui-même. Viktor Lazlo, avec qui j'ai si souvent papoté au marché de Papeete (elle et Antoine font partie des meubles ou, devrais-je dire, des fruits et légumes de notre célèbre Mapuru a Paraïta ), est une bien belle personne mais bien peu inspirée dans cette œuvre lourdingue. Et par le fait, ça n'arrange pas une histoire qui ne tient pas en l'air avec ce scénario bâclé. On y croit pas un seul instant et le côté tarabiscoté de ces faux semblants perpétuels sont vite très lassants. Film confus, aux dialogues vaguement copiés sur la gouaille d'Audiard, plus à l'aise pour le coup du côté de Levallois-Perret, Les faussaires ne valent que par les décors fabuleux qui les abritent. Et Bernard Lutic, le directeur de la photo s'est déplacé pour rien. "-On n'emmène pas des saucisses quand on va à Francfort !-" disait André Pousse dans Le pacha. On n'emmène pas un directeur de la photo quand on part aux îles du Vent. C'est la lumière des îles du vent qui vous rectifient le portrait. Alain Corneau sera moins inspiré avec Le prince du Pacifique. Il a laissé la grandiose clarté de côté pour trop confiner son histoire. Frédéric Blum a compris, lui, qu'il fallait faire de ce film un excellent dépliant touristique. Il a su se laisser porter par les alizés et a posé sa caméra quand le vent se calmait… C'est toujours ça de gagné pour les spectateurs en manque d’oxygène. Parce que pour ce qui est de recréer l'atmosphère du roman de Gary, c'est largement raté.
Un crime au paradis ? Quand même pas .. Mais c'est un film torturé et pourtant paresseux. Celà étant, qui ne le deviendrait pas en accostant là où Christian Fletcher avait débarqué de son Bounty ?
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