Oh, mais DelaNuit, je n'évoquais du manichéisme que dans la peinture des rapports colonisateurs/colonisés. Je conviens volontiers que, pris individuellement, les personnages sont nuancés ! De chaque côté, d'ailleurs, puisque Camille se prive volontairement de retrouver son fils…
J'admets aussi que ma note est un peu basse et je la relève de 3 à 4. Vu à sa sortie au Grand écran Italie, le film m'avait enchanté par son déferlement de couleurs et de péripéties. À la nouvelle vision, les ficelles se voient plus aisément…
Indochine est un film ouvertement romanesque, avec la beauté des images, décors, costumes, les grands sentiments, les figures archétypales et la toile de fond historique attendus pour ce genre de grand spectacle. On peut aimer ou non mais on ne saurait le reprocher à ce film puisque c’est précisément son objet.
Pour ce qui concerne son prétendu manichéisme, je ne suis pas d’accord. Si on peut parler de manichéisme caricatural pour un certain nombre de films historiques des années 50 basés sur une opposition entre gentils chrétiens vertueux et méchants païens débauchés (ce en raison de l’idéologie religieuse qui prévalait à l’époque), on en est bien loin ici.
Au contraire, les personnages principaux d’Indochine ont tous leur part d’ombre et de lumière. Eliane (Catherine Deneuve) est belle, élégante, volontaire, courageuse… mais aussi dure, froide, intransigeante… Jean-Baptiste (Vincent Perez) est idéaliste mais tout aussi rigide. Tous deux passionnés pour le meilleur comme pour le pire. Cette dualité amour / haine trouve son expression visuelle dans la scène de la double gifle, après qu’Eliane a déclaré qu’avec Jean-Baptiste la souffrance fait partie de l’amour et qu’il l’a en retour traitée de rapace qui achète et saigne les hommes comme les arbres. Un peu plus tôt dans le film, Yvette avait déjà lancé à Eliane : « C’est pas beau d’être si beau quand on n’a pas de beauté ! »
Camille (Linh Dan Pham) représente l’innocence blessée. On suit son périple dans des paysages grandioses, son cheminement qui la conduira à lutter pour la liberté de son pays. Mais à quel prix ? Le sacrifice de sa famille… Yvette (Dominique Blanc) est aussi touchante que superficielle et Guy (Jean Yanne) aussi cynique que réaliste. Chaque personnage est ainsi en demi-teinte. On est loin de l’opposition caricaturale entre la pure Lygie et le monstre Néron dans Quo Vadis !
L’absence de manichéisme du film est bien exprimée par la tante de Camille dans sa discussion avec Eliane : « Je ne comprendrai jamais les histoires d’amour des français : elles sont pleines de souffrances et de fureur. Elles ressemblent à nos histoires de guerre… Je vous ai pourtant dit le secret : l’indifférence… »
C’est ainsi que l’apparente réserve des personnages secondaires indochinois tient à leur culture et leur spiritualité. Pétris de philosophie boudhiste, ils endurent avec détachement ou attendent patiemment que le vent tourne. Ils obéissent à l’occupant en apparence, mais le film les montre aussi en contrebandiers (les occupants du sampan), en révolutionnaires discrets fomentant des troubles depuis des lieux retirés, en saltimbanques véhiculant des idées subversives par des spectacles costumés, en fanatiques meurtriers…
Quant à la présence française en Indochine, elle suscite chez le spectateur autant de nostalgie que de critiques. La scène finale montrant Catherine Deneuve casser son talon d’Achille symbolise à elle seule l’esprit du film, mêlant les opposés comme le Yin et le Yang de la tradition asiatique : force et faiblesse, dureté et sensibilité… critique et nostalgie.
Cette scène répond à la voix off du prologue, qui dès le début bat en brèche l'idée d'un manichéisme finalement propre à la culture occidentale en remettant en question les couples que l'on croyait immuables : "les hommes et les femmes, les humains et les dieux, la colline et la plaine, l'Indochine et la France…"
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