Puisque Arte propose ce soir le film de Terrence Malick La Ligne Rouge, réflexion poétique et contemplative sur la présence du mal dans le monde, le Paradis perdu, les rapports entre la nature (dont la violence fait partie) et la culture, ainsi que la recherche d'une transcendance entre les deux… Je ne peux au sujet des films si originaux, si beaux et riches de ce cinéaste que recommander le DICTIONNAIRE TERRENCE MALICK de Damien Ziegler aux éditions LettMotif… https://www.edition-lettmotif.com/…/dictionnaire…/ Pour qui souhaitera creuser ce sujet plus avant.
Une somptueuse odyssée métaphysique et guerrière, où Malick cerne l'humain au coeur du chaos, l'humain perdu dans une nature somptueuse qu'il admire sans la comprendre. Le soldat Witt (Jim Caviezel transcendé par la caméra de Malick ) a déserté son bataillon et vit paisiblement sur une île mélanésienne avec quelques-uns de ses compagnons, loin d'une guerre qu'il ne comprend pas, qu'il n'a jamais compris, loin de la folie des hommes. Et pourtant un bateau de l'armée accoste sur cet archipel paradisiaque où les enfants mélanésiens foulent nus le sable brûlant, se baignent dans les lueurs bleutées d'une aube incertaine, un lieu déserté par une civilisation occidentale auto-destructrice. Witt est forcé de retrouver ses congénères, de quitter cet Eden terrestre. Au Sergent Edward Welsh (Sean Penn qui a rarement été aussi bon, et dieu sait qu'il l'a souvent été) il déclare qu'il a vu "la lumière", un au-delà fait de paix et d'harmonie, au milieu d'"indigènes" ignorant tout simplement la notion de Mal.
Witt le solitaire, Witt personnage christique qui traversera les combats sans tuer un seul ennemi japonais, Witt qui se sacrifiera pour sauver des soldats devenus ses amis.A la fin du film, lors d'une séquence déchirante, Sean Penn s'agenouille sur sa tombe fraîchement creusée et s'adresse à lui : "Elle est où, maintenant, ta lumière ?" avant de fondre en sanglots. Il a perdu son seul ami, un ami parti retrouver un paradis qu'il a connu dans une vie antérieure, un paradis débarrassé de la violence atavique des hommes s'autodétruisant sans le savoir.
Autour de ces deux protagonistes qui constituent la clé de voûte du film gravite une foule de personnages filmés avec empathie et compassion par Malick . Ainsi Jack Bell (Ben Chaplin ) correspond avec sa femme qui apparaît lors de flash-back cotonneux contrastant avec la sauvagerie des combats. Follement amoureux d'elle, il reçoit un jour une lettre de rupture où elle lui avoue qu'elle a rencontré un autre homme et le supplie de l'aider à le quitter, à l'oublier, car elle l'aime encore mais simplement la vie prend parfois des détours malencontreux qui font que rien ne sera jamais plus comme avant. Malick filme avec beaucoup de délicatesse Bell qui sanglote sous la pluie, la caméra, pudique, restant à distance, comme pour préserver son chagrin, là où d'autres réalisateurs en auraient rajouté dans le pathos et le musique sirupeuse.
Le cinéaste filme comme aucun autre le ballet des hautes herbes balayées par le vent, les arbres centenaires et majestueux, la faune et la flore souillées par la guerre.A mi-chemin entre le Purgatoire et le Paradis, il compose une splendide élégie où les hommes vivent, se battent et meurent dans un cycle de vie et de mort sans fin. Attiré par le Ciel et fermement ancré dans la Terre, il refus tout manichéisme, chaque personnage recelant une humanité qui affleure lors de séquences bouleversantes.
Ainsi Elias Koteas priant la nuit à la lueur d'une bougie pour le salut de ses soldats, ses frères, ses "enfants", ainsi Nick Nolte , général belliqueux à la limite de l'hystérie et dont la carapace se fissure lentement. Le film est bercé par des voix-off qui se superposent, se mélangent, créant une symphonie paradoxale, suscitant une interrogation sur cette Nature que les hommes tentent de comprendre tout en la détruisant. Ils font partie d'un Tout, qui était là des milliers d'années avant eux, qui sera toujours là des milliers d'années après leur mort.
Malick n'apporte pas de réponse, il laisse sa caméra enregistrer la peur des hommes face à une guerre absurde et dérisoire. Les séquences de bataille sont terribles dans leur refus de l'héroïsme, de Woody Harrelson qui agonise lentement en dégoupillant par erreur sa grenade à Sean Penn qui détruit un bunker japonais dans un élan d'inconscience qui n'a rien à voir avec de l'intrépidité ou du courage. L'objectif des Américains, prendre une colline tenue par les Japonais, sera atteint après un combat à la baïonnette d'une beauté terrible.
Terrence Malick possède un sens inné du rythme, alternant longues séquences contemplatives et éclairs de violence, filmant un bombardement de nuit comme personne, le rougeoiement des bombes trouant l'obscurité profonde. A la fin les survivants quittent l'île, Malick s'attardant longuement sur l'écume soulevée dans le sillage du cargo qui quitte le Paradis ou l'Enfer, c'est selon, clôturant ainsi une œuvre majeure.
James Caviezel : – "Tu te sens seul parfois ?"
Sean Penn : – "Oui, quand je suis avec les hommes"
Dont acte…
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