J’avais jadis pensé que
Le silencieux avait quelque rapport avec
L’armée des ombres ; sans doute la présence écrasante de
Lino Ventura et ce sentiment d’inéluctabilité qui envahit peu à peu le récit, l’enclot, le paralyse, le rend absolument étouffant peut d’une certaine façon y faire songer. Mais, par ailleurs, il n’y a pas de rapport entre Philippe Gerbier, qui s’est engagé consciemment, avec une détermination admirable dans la Résistance et Clément Tibère qui d’emblée a été joué, manipulé, dévasté comme une marionnette qu’il sera jusqu’à la fin dans le jeu d’échecs (et de dupes) sanglants qui, à l’acmé de la ‘’Guerre froide’’, oppose les espionnages des Grandes puissances.
Et je dirais volontiers que, davantage que les États, ce sont vraiment les services d’espionnage qui s’affrontent ; parce que les renseignements recueillis de part et d’autre ne sont finalement pas d’une importance considérable, mais que les équipes ressentent les frissons délicieux des joueurs qui veulent pour le jeu, pour le sport, pour l’élégance des manœuvres, pour la beauté du geste l’emporter sur ceux qui sont à la fois leurs adversaires et leurs complices. C’est presque comme au football, où l’on passe d’une équipe à l’autre en fonction de mille paramètres, qui ne sont pas toujours nobles, ni intéressés. Le jeu, vous dit-on.
Il y a une même implacabilité, un même sentiment d'inexorabilité, de mêmes couleurs froides, de mêmes certitudes que tout cela va se terminer mal pour beaucoup de protagonistes. Il me semble d'ailleurs qu'à aucune des séquences on voit poindre la plus petite nuance d'espoir : Clément Tibère (- merveilleux
Ventura– sur qui repose tout le film) saute, quelquefois miraculeusement – les obstacles, mais on ne se fait pas de doute : il ne peut que chuter à un moment : il a le monde contre lui.
D'autant qu'il n'a pas choisi d’affronter cette angoisse qui sourd tout au long du film. Mais, dans la violence sèche des situations, il y a une parenté des hommes traqués, qui savent que l’importance des enjeux les écrasera, à un moment donné. L’absence de tout regard compassionnel, niaisement sentimental ou romanesque est d’une grande justesse de trait. Dès qu'il sait qu'il a quitté la tranquille routine de l'Union soviétique où il a été capté, seize ans auparavant, Tibère sait qu'il n'existe plus, pas davantage qu'un jeton de casino qui peut être perdu ou plutôt sacrifié sans importance.
La démocratie s’arrête où la raison d’État commence disait à juste titre Charles Pasqua ; on peut s’en indigner, fulminer et tout le tremblement. Et alors ? qu’est-ce que ça change à la réalité ?
Un très très bon film, épuré, net, classique…