Ah, je brûle de participer à cette joute ! Mon exemplaire de Lucky Luciano est encore au-dessus de l'Atlantique – lancé depuis le bord d'une falaise bretonne par un ami français au bras puissant – et il serait peu raisonnable de vous parler d'un souvenir de film plutôt que du film. Toutefois, je me rappelle fort bien d'une entrevue avec Leonardo Sciascia (mais était-ce celle des Cahiers de L'Arc ou la longue entrevue avec Marcelle Padovani dans La Sicile comme métaphore ?) où l'écrivain sicilien faisait l'éloge de Lucky Luciano en l'opposant à la mythologie hollywoodienne du Parrain, mythologie qui à ses yeux servait la mafia. Il voyait dans le film de Rosi une sorte d'antidote à la "mafia de cinéma" romancée qui imposait alors l'idée (fondée pratiquement sur un malentendu de vocabulaire) de la famille comme structure de base de la mafia alors que – expliquait encore Sciascia – la mafia est basée moins sur la famille que sur l'amitié, c'est-à-dire « un réseau horizontal de connivences ». Et la première chose qui m'avait frappé en voyant Lucky Luciano à l'époque, c'est justement que Luciano n'était absolument pas un « homme de famille ». Enfin, nous verrons…
L'important, c'est surtout que ce film soit enfin sorti. Ça alors, ce qu'il en faut, du temps, pour que soient éditées certaines évidences élémentaires, comme les films de Francesco Rosi !
Arca a raison : Rosi est un (très) grand cinéaste, qui a su s'entourer de collaborateurs de grand talent, et qui mérite d'être beaucoup mieux diffusé et connu des jeunes générations !
Lucky Luciano, sorti un an après le pudding Cosa Nostra de Terence Young, en est un peu une version "sérieuse". Et si tout le bien qui en a été dit plus haut est justifié, il faut peut-être mettre quelques bémols au délire enthousiaste. Comme s'il ne faisait pas confiance aux possibilités de son personnage central, Rosi l'oublie pendant d'interminables séquences informatives, et sa "leçon d'Histoire" a souvent tendance à lasser l'intérêt (tout ce qui concerne Edmond O'Brien, par exemple est passionnant dans le fond, mais assommant dans la forme). En voulant brosser le panorama d'une époque, d'un contexte politique, d'un système tout entier, Rosi ne le fait pas vraiment au travers de Luciano, mais en parallèle, et il faut toute la puissance de Volonte pour que le personnage reste le centre du film.
Avec ses costumes passe-muraille, ses lunettes, son sourire débonnaire, il crée un Luciano plus vrai que nature, ne laissant filtrer sa vraie nature que par brefs éclairs (quand il est giflé au champ de course, par une "gouape"). Lors de son dernier interrogatoire, c'est d'un ton cassant et plein de mépris, que Volonte délivre le vrai thème du film : les gens comme Lucky Luciano, Vito Genovese, et autres, ne sont que des épouvantails, des façades pour contenter le public, friand de "méchants" identifiables. Les vrais tireurs de ficelles, se trouvent à Washington DC, dans les palais romains et au Pentagone. Tony Montana ne disait pas autre chose dans Scarface.
Abîmé par l'emploi permanent du zoom, par des digressions lassantes, Lucky Luciano a pris un petit coup de vieux, mais le travail de composition de Volonte vaut à lui seul qu'on le revoie. Et Steiger, dans un petit rôle de balance, fait son habituel numéro, atténué par le doublage italien. Sa dernière scène fait penser au début de The party, quand le figurant Indien refuse d'être tué, et agonise pendant des heures.
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