Metropolis, qui fut épouvantablement charcuté par producteurs et distributeurs, a aujourd'hui, grâce à de patients travaux de recherche, retrouvé à peu près son découpage et sa longueur initiaux. Mais ça fait tout de même plus de deux heures et demie de film, ce qui est long, d'autant que l'absence de dialogues inhérente au cinéma muet pèse lourdement, malgré l'abondance des cartons explicatifs : on a le sentiment que Fritz Lang aurait pu lui-même grappiller une minute par ci, deux minutes par là pour rendre plus dense et plus nerveux son film.
Il paraît que Luis Bunuel jugeait le scénario de Metropolis tout à la fois trivial, ampoulé et pédant. Et il est vrai que, même si l'on apprécie les récits pleins de frénésie et de violence qui ont fait le succès des séries feuilletonesques, de Fantômas au Docteur Mabuse, on tombe là dans une assez pénible caricature, aux relents, d'ailleurs, curieusement nationaux-socialistes. Enfin pas si curieusement que cela puisque le film est une adaptation d'un roman de Théa von Harbou, alors femme de Fritz Lang qui demeura fidèle à l'hitlérisme jusqu'à sa mort. Et il faut bien accepter que la plupart des acteurs du film se sont sagement conduits – du point de vue allemand – jusqu'à la défaite du Reich, à l'exception d'Eugene Schüfftan, maître des remarquables effets spéciaux du film. Mais si Bunuel se gaussait à raison du prêchi-prêcha emphatique du film, il jugeait aussi son fond photogénique admirable et le qualifiait de merveilleux livres d'images. Il avait évidemment absolument raison sur ce point. Presque à tout moment le spectateur est bluffé par la grandeur, la puissance, la force des décors et des mouvements de foule. Il y a quelque chose de grandiose dans la description de ce monde glaçant où la pauvre humanité est divisée en deux catégories : les pauvres, accablés de travail, écrasés de fatigue, si soumis qu'ils marchent à grand peine et gardent continuellement leurs têtes baissées et les riches qui vivent à la surface de la ville qui jouent, flirtent, dansent, s'amusent dans l'indifférence complète au sort des bêtes de somme qui travaillent pour eux. Au sommet de la pyramide sociale Joh Fredersen (Alfred Abel) est le père de Freder (Gustav Fröhlich) qui découvre par hasard la réalité sociétale et décide de la modifier. Serait-ce lui le Médiateur entre oppresseurs et opprimés que la jeune Maria (Brigitte Helm) annonce aux ouvriers exploités et exaspérés qui se réunissent dans les catacombes de la Cité ? Voilà un assez bizarre salmigondis intellectuel qui emprunte ce qu'il peut au christianisme, y compris les paroles terrifiantes de l'Apocalypse de Saint Jean et l'annonce parallèle de la venue de l'Antechrist et de la grande prostituée de Babylone ? Ajoutons que se greffe là Rotwang (Rudolf Klein-Rogge) , sorte de savant un peu fou et très démiurgique qui, renouvelé de Victor Frankenstein, a entrepris de créer un Être-machine. Comme Joh Fredersen lui a jadis piqué sa femme, mère de Freder, Rotwang ne rêve que de détruire le monde en y semant la révolte, donc la répression. Bon, j'arrête là mon récit puisque l'histoire n'a vraiment rien d'intéressant. Beaucoup d'acteurs sont affublés des tics expressionnistes du cinéma muet, mais quelques uns détonnent en qualité, notamment la très jolie Brigitte Helm qui danse très dénudée de belles bacchanales et aussi le glaçant homme de main Fritz Rasp. Puis la très grande qualité de la musique additionnelle (de Gottfried Huppertz), la beauté des prises de vue et des décors, le souffle épique qui anime nombre de séquences. Donc une, particulièrement terrifiante : celle où Maria/Brigitte Helm est traquée dans les catacombes, poursuivie par le seul halo de la torche électrique maniée par le savant fou Rotwang.Fritz Lang savait créer ce genre d'ambiances ; voir, de fait Moonfleet et le binôme hindou. Grand talent bizarre.
Vu pour la première fois cette semaine, je suis resté épaté par la prouesse technique de Fritz Lang. 90 ans plus tard, on parlerait de blockbuster tant la scène finale aurait pu inspirer n'importe quel film catastrophe du type Independance day: des litres d'eau déversés dans la cité ouvrière, des figurants en nombre important et des effets spéciaux révolutionnaires pour l'époque.
J'ai relevé plus haut, dans le fil de la discussion, les différentes références au film dans le cinéma contemporain, je rajouterai le personnage du Docteur Emmett Brown interprété par Christopher Lloyd dans retour vers le futur dont la ressemblance physique avec le savant Rotwang est saisissante.
A noter enfin que j'ai eu la chance de voir le film dans sa version restaurée à partir d'une bobine retrouvée en 2008 à Buenos Aires: certaines scènes ont ainsi été ajoutées dans une qualité parfois médiocre le marquant un peu plus du sceau de l'Histoire ce qui nous rappelle que le film a été inscrit au Registre de la Mémoire du Monde de l'UNESCO…. comment faire plus culte?
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