On ressort de ce film avec quelques haut-le-coeur et l'on se dit que Verhoeven a pris quelques risques à montrer aux américains ce visage aussi peu sympathique de leur système de divertissement, qui plus est avec un style si déroutant. On est loin de la vision de Las Vegas quelque peu mythologique du Casino de Scorsese (sorti également en salles en 1995), de ses gangsters tirés à quatre épingle et respectant un code d'honneur. Showgirls fut un flop commercial, dépassant sans doute les limites de ce qu'un spectateur lambda peut encaisser.
Pourtant, remarquablement bien filmé (nombre de plans virtuoses), hors-norme, hors des modes, Showgirls mérite d'être découvert (pour les cinéphiles avertis) car il est en droite ligne des thèmes abordés dans Robocop, Basic instinct, Black Book (nombre de ressemblances thématiques et stylistiques avec ce dernier film).
Showgirls possède beaucoup de qualités intrinsèques (scénario, mise en scène, direction d'acteurs, photographie…). On peut relever la faculté étonnante de Verhoeven pour filmer un individu se déplaçant au sein d'un groupe important (avec toujours un agencement parfait des personnages au sein du cadre), à passer de l'individu au collectif avant de revenir sur cet individu, avec des idées glissées au passage. A faire passer également par quelques images, dialogues, éclairages, sons,… un nombre important d'idées, comme par exemple, lors de la séquence de la piscine. On peut comprendre à ce moment-là que l'univers du golden-boy mafieux n'est que factice, que ses agissements sont très primaires…
Mais reprenant à son compte les éléments constitutifs du show musical de Vegas qui précède -et qui vise à agir sur des composants biologiques très primaires du spectateur de casino-, Verhoeven opère également, via cette séquence de la piscine, une intéressante mise en abime des règles cinématographiques, soulignant notamment la propension voyeuriste du médium (le cinéma). Showgirls possède sans doute ce deuxième niveau de lecture, comme semble le confirmer la dernière image du film…
Nb : on peut trouver actuellement Showgirls en vente sur internet pour quelques piécettes (de casino ?).
Je m'échauffe, ce qui est inutile ; parce que cette situation de jungle, c'est aussi celle que l'on retrouve dans un monde apparemment plus courtois, mieux élevé, civilisé, même : celui des acteurs de théâtre que Joseph Mankiewicz montre dans All about Eve : l'accession au sommet s'y fait plus insidieusement, cauteleusement et sans besoin de fracture dans un escalier raide, mais c'est à peu près l'identique ambition.
Showgirls dans l'aveuglement des lumières de Las Vegas (qui me semble être une assez bonne illustration de l'Enfer sur terre, à peu de choses prés), dans l'infini épuisant de ces spectacles de mauvais goût, de ces paillettes dégoulinantes, de ces seins opulents offerts à la convoitise publique, Las Vegas, phare brasillant qui attire chaque jour des milliers de phalènes venues y perdre leur fric, leurs illusions et leur santé, est finalement un film extrêmement rigoureux comme souvent le sont les récits qui montrent jusqu'à écoeurement une réalité qu'on dénude : on en sort avec cette sensation de malaise, de sale goût dans la bouche qu'on ressent au matin après une mauvaise cuite.Et c'est en ceci que Verhoeven excelle ; c'est cela qu'il apprécie de montrer.
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