Forum - La Nuit nous appartient - Chef -d'oeuvre
Accueil
Forum : La Nuit nous appartient

Sujet : Chef -d'oeuvre


De Steve Mcqueen, le 17 novembre 2007 à 08:17
Note du film : 6/6

J'ai eu la chance de voir le film en avant-première il y a un mois (à l'UGC des halles). C'est l'un des plus grands polars jamais réalisés, un travail d'orfèvre qui redonne ses lettres de noblesse au terme pourtant galvaudé de "chef d'oeuvre". Comme tous les films de Gray, c'est un drame humain déchirant dissimulé sous les oripeaux d'un film de genre sans concessions. C'est une histoire de famille d'une impressionnante profondeur psychologique doublée d'un magnifique polar solennel et habité. Je n'en dit pas plus sur le film, je vous laisse le soin de le découvrir (prévoyez quand même quelques heures pour vous en remettre, ce qui ne m'était pas arrivé depuis que j'avais découvert pour la première fois "State of grace" et "Mystic river").

En seulement 3 film (réalisés sur presque 15 ans), James Gray a déjà réalisé une oeuvre d'une étonnante cohérence stylistique et thématique. Gray dépasse le ridicule clivage film d'auteur/film commercial pour livrer des films d'une maîtrise impressionnante.

"Little Odessa", réalisé à 25 ans, témoigne d'une foi inébranlable dans le cinéma. C'est un film tragique , présentant un conflit psychologique intense ( amour voué à l'échec, fraternité impossible, révolte viscérale contre la figure tutélaire du père, sacrifice d'un innocent).C'est un film qui se prête à l'analyse, car les thèmes de prédilection de Gray sont transcendés par une mise en scène d'une force peu commune. Gray opte pour un classicisme parfait, sans jamais tomber dans le piège de l'académisme. Si la caméra reste discrète, au point parfois de se faire "oublier", c'est parce que Gray sait d'instinct comment saisir un regard lourd de sens, un geste avorté ou un silence signifiant. Ce qui ne signifie pas que la mise en scène soit terne, bien au contraire, comme en témoigne la caméra portée qui suit Tim Roth lorsque celui pénètre dans l'appartement familial, pour revoir après de longues années sa mère mourante, la scène de l'exécution du bijoutier, d'une cruauté terrible et d'une beauté stupéfiante, ou encore la scène finale : gros plan sur le visage de Tim Roth après qu'il a brûlé le cadavre de son frère abattu par erreur. Son visage est tellement inexpressif que le spectateur est amené à penser qu'il s'est donné la mort. Suit une scène rêvée d'un bohneur familial révolu : la mère et ses deux fils réunis dans la chambre, image bouleversante d'une félicité qui n'a peut-être jamais eu lieu. Puis la caméra revient sur le visage de Tim Roth. L'écran devient noir tandis que résonnent les coeurs russes traditionnels…

Les films de James Gray sont un viol perpétuel de l'âme. Leur dénouement est aussi dévastateur qu'un uppercut en plein visage. Quand la violence physique éclate, elle est d'une force peu commune car elle est précédée d'une tension psychologique intense. C'est un exutoire, un choc sismique dont les vibrations se font sentir bien après la fin de la projection. James Gray réalise des films sur le vide d'une densité exceptionnelle.

Les critique ont considéré The Yards à sa sortie comme une apologie de la délation, alors que le film parle avant tout de rédemption (comme toute l'oeuvre de Gray). C'est un polar sans action (un seul coup de feu dans tout le film, mais la déflagration résonne encore dans mes oreilles, un peu comme à la fin de "Mystic River", où Sean Penn fait feu face caméra, l'image se glaçant sur l'éclair sortant de son arme). Le film est handicapé par la présence monolithique de Mark Walberg : à aucun moment on ne sent qu'il vient de faire plusieurs années de prison, à aucun moment on n'arrive à partager son désir de rédemption. Mais Joaquin Phoenix confirme au passage qu'il est un acteur exceptionnel, le plus talentueux de sa génération. Physique de bad boy fascinant et inquiétant, sensibilité d'écorché vif qui affleure à la moindre occasion. Lâche et émouvant, veule et séduisant, ambigu. L'imperceptible tremblement de ses lèvres traduit le soudain vacillement de ses certitudes. Le dénouement est déchirant.

James Gray est l'un des plus grands cinéastes américains actuels (le plus grand ?). A mon sens, c'est avec Michael Mann le meilleur réalisateur de polars contemporains. Gray est un classique, Mann est plus expérimental. Mais l'un comme l'autre sont en quête perpétuelle d'une perfection qu'ils atteignent à intervalle régulier.

PS : j'ai passé un certain temps à écrire ce texte, j'ai la prétention de croire qu'il est un minimum rédigé et argumenté; j'accueillerai avec joie vos remarques ou critiques éventuelles, mais dans un style un minimum rédigé et argumenté également, merci.


Répondre

De Steve Mcqueen, le 18 novembre 2007 à 09:06
Note du film : 6/6

Et j'oublie quelque chose d'important : Gray sait d'instinct la durée juste du plan, à la fraction de seconde près. Là où certains surdécoupent tandis que d'autres laissent tourner la caméra dans le vide, lui laisse durer le plan sans s'appesantir.


Répondre

De Impétueux, le 3 décembre 2007 à 18:46
Note du film : 4/6

Indéniablement un bon film, très spectaculaire, très bien rythmé, avec des morceaux d'anthologie brillants, et un peu davantage (la poursuite en voiture du héros par les tueurs sous une pluie battante, la scène finale dans les joncs en flamme), des acteurs brillants et des gueules efficaces. On ne s'ennuie pas un seul instant et on s'identifie volontiers à Bobby (Joaquin Phoenix), fils prodigue aux relations scabreuses qui, parce que les trafiquants ont décidé de faire la peau à son père et son frère, revient dans le droit chemin et se débarrasse de ses vieux oripeaux (là-dessus, je suis parfaitement d'accord avec Steve McQueen : c'est là une rédemption, non pas une délation, moins encore une lâcheté).

Cela étant, il faut tout de même faire abstraction d'assez fortes invraisemblances dans le récit, admettre, par exemple que Bobby dirige, en excellent gérant, une boîte de nuit gigantesque en ignorant que l'argent de ses commanditaires provient de l'importation à doses massives de drogue ; admettre que lesdits commanditaires et trafiquants ignorent que le père et le frère de Bobby, Albert (Robert Duvall) et Joë (Mark Wahlberg) Grusinsky sont de hauts gradés de la police new-yorkaise, et l'ignorent tout simplement parce que Bobby a pris le nom de sa mère (comme si ces canailles n'effectuaient pas d'enquêtes approfondies sur ceux à qui ils confient le soin de faire fructifier leur pognon) ; admettre toute une série de hasards (le flic qui expose son plan d'action à portée d'oreille du malfrat Vadim Nezhinski (Alex Veadov), dont la vitre de bagnole n'est pas fermée…) Mais enfin, c'est la loi du genre, et, sur le moment on se laisse emporter (c'est infiniment mieux fait que dans le capricant et ridicule Ne le dis à personne).

Ah ! J'aimerais bien que Steve McQueen (si, comme nous le souhaitons tous, il revient sur ce site), m'explique ce qu'il a voulu dire par Le film est handicapé par la présence monolithique de Mark Wahlberg : à aucun moment on ne sent qu'il vient de faire plusieurs années de prison, à aucun moment on n'arrive à partager son désir de rédemption ; je ne comprends rien : Mark Wahlberg joue, donc, le rôle du frère policier de Bobby et la référence à des années de prison me dépasse… Erreur de plume, sans doute


Répondre

De Autosuffisance, le 3 décembre 2007 à 20:59
Note du film : 4/6

Un vrai bon film ou l'on reconnait la pâte du réalisateur James Gray qui était absent depuis déjà 7 ans et le déja excellent film noir The Yards.Le film est rythmé et très efficace (avec des scènes déja cultes) malgré quelques invraisemblances (par exemple le fait que la mafia ne connait pas le lien de parenté entre Bobby et le duo Joseph et Burt)quasi inévitables dans ce genre de film. A part ceci le jeux des acteurs et la mise en scène transcendent le suspense et le drame psychologique avec la question "du choix du bon camp" tenaillant Boby à la fin. En défénitive un film à voir absolument car c'est "un chef d'oeuvre en puissance",révélateur de la santé actuelle du cinéma américain et nous rappelant encore que le monde de la mafia est bien le theme préféré de Gray.


Répondre

De Steve Mcqueen, le 4 décembre 2007 à 13:34
Note du film : 6/6

En fait, Impétueux, je parlais du rôle de Mark Whalberg dans "The Yards". Il est également monolithique dans "La nuit nous appartient", mais à mon sens cela convient parfaitement à son personnage, celui d'un flic droit dans ses bottes.

C'est vrai qu'il y a des invraisemblances dans "La nuit nous appartient" ( celles que vous relevez) et quelques ellipses incongrues (l'évasion de Vadim), mais ces facilités renforçent l' aspect tragique du film : une suite de rebondissements, de décisions prises sur un coup de tête et dont on ne mesure pas les conséquences.

A mon sens, c'est un film shakeasperien ( comme "Little Odessa" et "The Yards") : la lutte pour le pouvoir l'intérieur du clan .

Sinon, saluons la clairvoyance du jury du festival de Cannes qui, dans sa grande perspicacité, n'a donné aucune récompense au film (comme c'était déjà le cas pour "Mystic River", encore un beau polar nocturne et shakespearien). La justice est aveugle, mais visiblement le jury du festival de Cannes l'est également…


Répondre

De Impétueux, le 4 décembre 2007 à 13:57
Note du film : 4/6

Au temps pour moi ! J'ai lu trop vite votre message, Steve McQueen et je me suis fourvoyé ! Il est vrai que vous rassembliez dans un même plaidoyer trois films et que, lorsque, comme moi, on n'en a vu qu'un, ça peut être un peu compliqué, lorsqu'un bon connaisseur comme vous souligne les ressemblances.

Cela dit, moi qui ne suis pas très amateur de cinéma américain moderne, j'ai pris réellement beaucoup d'intérêt à voir La nuit nous appartient et je m'efforcerai de regarder les autres opus du réalisateur…


Répondre

De Freddie D., le 5 février 2008 à 19:40
Note du film : 4/6

Bon film, oui. Même si son manque absolu d'humour (même noir) finit par rendre le spectacle un peu solennel, et – oserais-je l'écrire, après toutes ces louanges ? – un chouïa prétentieux. Mais j'avais eu la même sensation avec les deux précédents films de Gray : du talent, un univers, mais une noirceur laborieuse, sans le brio du Scorsese des grandes années, ou la folie de Ferrara.

Phoenix est magnifique, Duvall magistral comme toujours (son "départ" laisse un grand vide dans le film), seul Wahlberg semble bien falot en comparaison, et le parrain russe méritait un "monstre" à la Armin Mueller-Stahl dans Les promesses de l'ombre.


Répondre

De vincentp, le 28 juin 2008 à 22:28
Note du film : 6/6

Derrière le paravent du polar, une tragédie désormais typique de l'oeuvre de James Gray. Son élément moteur est la soif de reconnaissance affective et sociale que manifestent plusieurs individus, et qui s'étanche via des moyens licites ou illicites, dans un univers qui n'a pas de place à accorder aux faibles ou aux marginaux. Gray filme avec brio des personnages plongés dans les ténèbres par le poids du système social, évoluant psychologiquement et physiquement sous l'éclairage de lumières artificielles et blafardes, et aspirant à un monde utopique placé sous la lumière naturelle du soleil.


Répondre

De Tietie007, le 4 janvier 2009 à 12:57
Note du film : 2/6

Séduit par la performance de Joaquin Phoenix, un peu déçu par les clichés véhiculés par le film. Famille, religion, loi, sont le triptyque sur lequel s'organise ce polar. Le fils ingrat qui file un mauvais coton, ira vers sa rédemption pour devenir un bon flic au service de la loi …Bref, un bon film de propagande sur les valeurs américaines !


Répondre

De Steve Mcqueen, le 26 mars 2015 à 16:30
Note du film : 6/6

La Nuit nous appartient semble marquer une évolution dans l’œuvre de James Gray, dans le sens où dans ses deux films précédents il s'attardait surtout sur les moments "en creux", sur les silences, s'abandonnant à une certaine contemplation à l'aide de plans fignolés comme des tableaux. La nuit nous appartient est au contraire une suite de séquences d'anthologie, de scènes d'action millimétrées et découpées au cordeau.

Dans cette histoire d'un jeune gérant de boîte de nuit (Joaquin Phoenix, encore et toujours) tiraillé entre son métier fait de trafics, de magouilles et sa famille de policiers (son frère interprété par Mark Whalberg et son père, incarné par l'éblouissant Robert Duvall), il fait monter la tension de main de maître, que ce soit lors de l'infiltration d'un laboratoire où l'on conditionne la drogue, séquence distillant un suspense à couper au couteau, lors d'une poursuite de voiture filmée presque intégralement de l'intérieur de l'habitacle, ou à l'occasion d'une chasse à l'homme à grande échelle dans un gigantesque champs de bambous.

Joaquin Phoenix, tourmenté, littéralement habité par son personnage, porte le film sur ses solides épaules, traduisant ses sentiments avec une palette d'émotion d'une grande subtilité. James Gray multiplie les gros plans sur son visage torturé par le dilemme entre l'amour passionnel pour Eva Mendès et l'amour filial et fraternel, entre son métier ambigu et son idée de la justice (ou ce qu'il croit être la justice). "Je t'aime très fort", déclare t-il à son frère à la toute fin du film, scellant ainsi sa rédemption, après un parcours chaotique et tragique (la mort de son père, la perte de la femme qu'il aime). Un film déchirant, où les sentiments des personnages sont mis à nu sous le regard à la fois acéré et pudique du cinéaste.

Et toujours ces personnages magnifiques en proie à leurs propres contradictions, tentant d'échapper à leur condition, se débattant avec eux-mêmes. Les protagonistes sont incapables d'exprimer leurs sentiments, souvent intenses et contradictoires et la tragédie rôde, insidieuse, silencieuse, évidente. Quand elle éclate, c'est tout un univers qui vole en éclats, fissuré par l'amour et la haine, intrinsèquement liés. Dans 50 ans je suis persuadé qu'on regardera toujours les films de Gray d'un œil émerveillé, pour guetter la tragédie qui guette sous la surface glacée des images, pour contempler ses acteurs qui croient jouir de leur libre-arbitre alors qu'ils ploient sous le joug du Destin, pour deviner une nouvelle émotion sur le visage impénétrable du magistral Joaquin Phoenix


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0064 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter