Hitchcock en fin de carrière avouera avec le recul qu'il considérait L'ombre d'un doute comme le film le plus aboutit de sa brillante carrière. Il y a des évidents points communs entre entre lui et le héros du film : l'assassin est décrit continuellement comme un homme cultivé, maniaque, presque bon vivant et d'une méticulosité extrême. Et la sœur aînée de l'oncle Charlie porte le même prénom de la mère de Hitchcock, EMMA !
Comme dans Soupçons, qu'il réalisé deux ans plus tôt, Hitchcock réfléchit ici sur le thème de la suspicion., je crois d'ailleurs que Rebecca que j'ai vu il y a fort longtemps utilisait en partie la même mécanique. Joseph Cotten, très brillant, est ici un assassin démesuré un peu comme le tueur à la cravate, visiblement très british, très distingué, mais dans ses zones d'ombres capable du pire. La sobriété de la réalisation permet à Hitchcock de mettre en scène un peu comme le fera Spielberg plus tard une petite ville tranquille dont les bonheurs semblent menacés. Au fur et à mesure que progresse le film, on voit les relations entre le triste héros et sa nièce se dégrader, l'attirance fait peu à peu place a une espèce de peur, puis à une répulsion viscérale . Le doute ne cesse d'accroitre, un assassin rôde, qui est-il ? Le suspens parait classique mais mis en scène par un Hitchcock au meilleur de sa forme L'ombre d'un doute devient rapidement l'ombre de la peur et des inquiétudes.
Bref un petit chef d’œuvre d'ambiguïté et de perversion toute tranquille…Comme Hitchcock.
A noter, un fait rare chez Hitchcock, environ un quart des scènes furent filmé sur des sites réels, à savoir la ville de Santa Rosa, alors que le réalisateur privilégiait en règle générale les prises de vue en studio. La progression du film est en totale corrélation avec les relations de l'oncle et de sa nièce, l'attirance –quasi-incestueuse- fera peu à peu place à la répulsion. Ici, Hitch brosse une parabole sur l'adolescence et le passage toujours délicat vers la vie d'adulte. Ce film, proprement fascinant, souligne l'objectif que le réalisateur donne à nombre de ces films à savoir rendre vraisemblable ce qui est déjà vrai. Ce métrage reste avec Psychose l'un des rares films d'Hitchcock où le héros est un méchant, brillamment campé par le fascinant et troublant Joseph Cotten. Gordon McDonell fut nommé à l'Oscar du meilleur scénario original en 1944.
C'est en effet un bon Hitchcock, qui distille un subtil parfum de subversion et de perversion. La virtuosité technique est au rendez-vous (la première séquence ), Cotten – acteur assez bon ailleurs, ici tout simplement admirable- livre une composition tout en ambiguïté trouble, séduisant dans l'aura malsaine qu'il dégage.
Cependant je suis assez gêné – sur ces forums comme ailleurs – par la manie de l'analyse "sauvage" : quand il s'agit de grands cinéastes ,chaque plan, même le plus anodin, est longuement disséqué. Chaque film, même bassement alimentaire, est méticuleusement passé au crible d'une analyse visant à le rattacher aux grands thèmes de l'auteur, y compris quand ceux-ci sont totalement absent du film en question. Tout grand cinéaste a des périodes de marasme, de manque d'inspiration : pour moi "Fenêtre sur cour" est un film incroyablement surestimé . L'action met une demi-heure à démarrer; le scénario est totalement prévisible et la beauté froide et lisse de Grace Kelly -dans le rôle purement anecdotique de la fiancée du héros- me laisse totalement de marbre…Simplement le film le film se situe chronologiquement dans période particulièrement féconde pour Hitchcok, et les critique ont tendance à considérer chaque film de cette période comme un "chef d’œuvre".
La palme de l'absurdité revient à Olivier Assayas, qui s'épanchait longuement dans "Télérama" sur les transparences dans les scènes de voiture au début de "L'homme qui en savait trop" : il les considérait comme une métaphore sur le jeu des apparences, alors qu'il s'agit simplement d'un banal artifice technique lié à des raisons de budget, de temps, de planning…
A trop analyser les films, on créé une sorte de méta-langage : tel exégète livre telle analyse d'un film, et ensuite ses propos sont repris, analysés, disséqués. On s'éloigne alors du cinéma, on ne fait plus la critique d'un film, mais la critique de la critique … On perd le rapport matériel, tangible que l'on peut avoir dans une salle de cinéma .
Ainsi le commentaire de film, même le plus pointu, le plus érudit, ne peut donner qu'une vision partielle, fragmentaire de l’œuvre en question .On aura beau écrire les critiques les plus enflammées sur Vertigo, louer le lyrisme mélancolique de la mise en scène, la sensualité glacée de Kim Novak, la composition quasi picturale du moindre plan, rien ne pourra préparer le spectateur au choc qu'il ressentira face à l'un des plus beaux films jamais réalisés. C'est un film qui crée son propre mystère , qui s'enrichit et enrichit le spectateur à chaque nouvelle vision.
La manie -typiquement française, en particulier dans les "Cahiers du cinéma"- de l'analyse sauvage est un leurre qui consiste à voir dans un film des choses qui n'y sont pas. Bien sûr chaque spectateur s'approprie le film, mais vouloir imposer un avis, analyser en profondeur un plan sur un robinet ouvert ou sur un téléphone qui sonne, c'est une forme de terrorisme intellectuel.
Je viens de découvrir Shadow of a Doubt et j' avoue être assez déçu . Je ne retrouve pas dans cette œuvre la patte d'Alfred Hitchcock. Du moins son sens foncier pour le suspense. Et si Joseph Cotten sait jouer de l'ambivalence avec une habileté sans faille, l'affaire est entendue dès le départ de l'histoire. Ou peu s'en faut. Seule, la relation qu'il entretient avec sa nièce, la jolie Teresa Wright, (formidable et très belle Ellen dans C'étaient des hommes) relève de l'ambiguïté pesante. Pour le reste, la messe est dite très tôt dans ce film qui accumule les clichés se voulant anxiogènes. L'ombre d'un doute… mais vraiment une ombre, alors. Pas plus.
Peut-être nous arrive-t-il de douter, quelques rares fois, mais si rares. Et le mérite en revient beaucoup plus à la musique prenante de Dimitri Tiomkin qu'à la situation elle-même. Nous sommes bien loin du Crime était presque parfait et son rebondissement inattendu ! Bien loin également de Vertigo et son mystère grandissant de bout en bout ! Et nos Oiseaux ! Bien sur que Hitchcock n'a pas de leçons à recevoir pour la direction d'acteurs, le choix d'un décor ou l'art de la concordance de la musique avec l'action en cours. C'est un Maitre. Dans Shadow of a Doubt, la sauce générale est très loin d'être indigeste, liée par tous les ingrédients nécessaires à la bonne tenue d'un film hitchcockien. Mais hélas, nous sommes beaucoup plus soumis à un ballet énamouré entre un oncle et sa nièce qu'à un véritable suspense censé nous tenir en haleine. Sans parler de la fin, dans le train, où on ne sait comment cette fragile jeune fille arrive à balancer le tonton par la portière…
Mais tous les films d'Hitchcock ne sont pas les chefs-d’œuvre que l'on porte au pinacle. Je me souviens, par exemple de L'Inconnu du Nord-Express qui se veut être une idée extraordinaire où Farley Granger et Robert Walker doivent, du moins au début de l'histoire, échanger leurs crimes. La théorie de Robert Walker se voulant imparable. Mais il était bien évident que, même perpétré par un inconnu, les crimes respectifs auraient entrainé immédiatement les soupçons sur, d'une part Farley Granger qui détestait sa femme et Robert Walker attendant l'héritage de son père. L'idée n'était pas si brillante que ça. Cela étant, le film est quand même une réussite.
Bien plus, en tous cas, que ce Shadow of a Doubt qui fait pâle figure dans la filmographie du Maitre du suspense. Mais je ne voudrais pas chipoter. Alfred Hitchcock restera, lui seul et pour l'éternité, le monsieur qui a su nous faire frémir bien des fois et avec tellement de talent. "-Bonchouaaaaaaarr, csssshers amis….-"
Détenteur depuis peu d'un double gros coffret d’œuvres d'Alfred Hitchcock qui vont de 1942 à 1976, j'entreprends sans prévention mais sans enthousiasme de perfectionner ma modeste connaissance d'un cinéaste placé par certains au plus haut degré de l'intelligence cinématographique et par moi tenu – jusqu'à présent en tout cas – pour un habile faiseur plutôt surévalué, dont je n'ai vu de vraiment excellent que Psychose.
Après Saboteur, vu il y a quelques semaines, voici un autre film tourné durant la guerre, mais qui ne fait, lui, aucune sorte d'allusion à la triste situation du monde de 1943, date de sa sortie sur les écrans. Il paraît que L'ombre d'un doute était le film préféré du réalisateur. Sans doute était-ce pour des raisons très personnelles (la mort de sa mère durant le tournage ?) parce que, si c'est plaisant, ça n'a rien de vraiment transcendant.Entendons-nous bien : pour tout ce que j'en ai vu, j'ai l'impression qu'Hitchcock, par goût ou par nécessité s'est lui-même ficelé dans un genre unique, celui du thriller ou plutôt du film de suspense genre fort honorable mais forcément limité par le nombre relativement vaste mais tout de même restreint des situations à mettre en scène ; un genre en tout cas peu susceptible, quand le spectateur en a compris la recette, de lui apporter ce qui est essentiel : l'étonnement.
Excellent directeur d'acteurs, cinéaste à la grande technicité capable de créer le malaise ou l’effroi par la disposition de ses caméras, la variété et l'originalité de ses angles de prise de vues, il tourne des histoires invraisemblables. Ou plutôt des histoires dont l'idée de départ est subtile et intéressante mais dont les péripéties, à un moment donné, abandonnent tout réalisme et laissent le scénario se poursuivre de façon au mieux irréaliste, souvent même incohérente.Une bonne première partie de L'ombre d'un doute est de très bonne venue, de l'arrivée du brillant et séduisant Oncle Charlie Oakley (Joseph Cotten) dans la paisible et grisaillante famille Newton, installée dans une tout aussi grisaillante et paisible petite ville de Californie. L'Oncle Charlie apporte éclat, gaité, charme, cadeaux magnifiques ; un peu de trouble, aussi, pour sa jolie nièce Charlotte (Teresa Wright) qu'on appelle donc aussi Charlie.
Mais on a su d'emblée que l'Oncle était un drôle de bonhomme, un fuyard, pourchassé par la police pour on ne sait encore quoi. On sait donc qu'à un moment donné, les choses vont complètement se dégrader et la belle harmonie superficielle voler en éclat. C'est là d'ailleurs que le film se gâte. La gracieuse nièce – qui était tout enamourée de son oncle quelques instants auparavant et donc censément aveugle – se découvre une clairvoyance quasiment extra-lucide et commence à nourrir des soupçons. Et plus ça va, moins ça s'arrange, jusqu'à la scène finale, la lutte entre les deux personnages et, contre toute évidence, la victoire de la frêle jeune fille sur le robuste assassin de veuves friquées frustrées.En d'autres termes on quitte une histoire assez bien campée pour une sorte de film de troisième rang où les tentatives avunculaires de se débarrasser de la nièce qui a vu clair dans son jeu atteignent des sommets de ridicule (on se demandera longtemps comment une jeune fille intelligente et désormais méfiante peut venir s'enfermer de son plein gré dans un garage exigu où la porte a une fameuse tendance à se coincer et où le moteur en marche de la voiture tueuse dispense son pesant d'oxyde de carbone et autres saloperies asphyxiantes). Hitchcock a posé une intrigue assez séduisante mais ne peut s'en sortir que grâce à l'émotivité empathique du brave bougre de spectateur.
On est bien content que les méchants soient châtiés et les gentils récompensés. Et c'est à peu près tout.
On ne saurait reprocher à Hitchcock un manque de réalisme dans ses histoires comme s’il s’agissait d’un défaut ou d’une faiblesse de ses scénarii ou de sa réalisation. Ce serait passer complètement à côté de son cinéma. En effet, la démarche d’Hitchcock n’est absolument pas de rechercher le réalisme, qu’il renie ouvertement, mais à l’inverse et de façon totalement assumée de faire glisser ses histoires dans le cauchemardesque et le surréalisme. Alors on aime ou on n’aime pas mais ça c’est une autre histoire…
Par ailleurs on ne saurait réduire ses films à la victoire des gentils et la défaite des méchants, alors que l’un des aspects majeurs du cinéma d’Hitchcock est l’ambiguïté des situations et des personnages. Ainsi dans l’exemple précis de L’ombre d’un doute, l’oncle tueur de veuves joyeuses est peut-être un horrible meurtrier mais il n’en demeure pas moins sympathique et séduisant à bien des égards, tandis que sa nièce, qui est la « gentille » peut agacer par une certaine naïveté. Au final le spectateur est peut-être content qu’elle s’en sorte mais il n’est pas forcément si satisfait que Joseph Cotten finisse aussi mal.
Donc pour aborder et apprécier Hitchcock, il est recommandé de commencer par laisser au vestiaire réalisme et manichéisme.
Ma foi, DelaNuit, quand je regarde un film de David Lynch, je sais bien que je n'y peux pas trouver du réalisme et ce n'est pas du tout ce que j'y cherche. Rêve éveillé, cauchemar, contradiction continue, différence de perception des mêmes faits pour deux individus… Ce cinéma est clairement dans cette veine. On aime – ce qui est mon cas – ou on n'aime pas – ce que je peux comprendre – mais on sait à quoi on s'attend.
Hitchcock a toujours été présenté, dans mon jeune temps par toutes les publicités, comme le maître du suspense et on aurait bien surpris ses nombreux spectateurs, qui n'attendaient de lui qu'une solide histoire policière nouée avec des moments d'angoisse, si on leur avait dit qu'il pratiquait aussi le surréalisme à l'instar de Luis Bunuel. Point de Chien andalou dans ces histoires anglo-saxonnes.
Je crois plutôt comme Steeve McQueen dans le message plus avnt qu'il y a d'assez duveteuses sur-interprétations pour ce réalisateur agréable, mais à mes yeux très surévalué. Personne, avant Truffaut n'aurait classé le gros homme aux premiers plans du cinéma. On le tenait pour un conteur habile et un excellent technicien….
Enfin ! Je vais poursuivre ma découverte : prochain film à voir : La corde. Mais je ne sais quand.
Cher Impétueux, dois-je comprendre qu'il n'y a pas La mort aux trousses, dans votre Hitchcock en super-coffret?
Mieux vaut s'en remettre au principal intéressé. Hitchcock disait lui même "vomir le réalisme", et "accorder plus d'importance à l'imagination qu'à la logique". On lui doit aussi cette célèbre citation : "Demander à un homme qui raconte des histoires de tenir compte de la vraisemblance me paraît aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter les choses avec exactitude."
« Hitchcock disait lui même "vomir le réalisme".»
Avec une exception, celle du Faux coupable (seul de ses films où il n'a pas de caméo).
Je comprends mieux, au vu des considérations d'Hitchcock sur le réalisme, pourquoi rien n'est sorti, en fin de compte, de ses sessions de plusieurs mois avec les scénaristes-humoristes Age-Scarpelli, au début des années soixante.
Non, Arca, La mort aux trousses ne figure pas parmi les nombreux titres de mon double coffret (14 films). Et comme je suis un vieillard sage, je vais regarder dans l'ordre chronologique ce qui y figure. Donc La corde. Je sauterai Fenêtre sur cour, déjà vu, graveleux et lourdingue.. je passerai ensuite à Mais qui a tué Harry ?, que j'ai vu à sa sortie sur les écrans français, en 56 ou 57 et qui m'avait bien ennuyé (mais j'étais si jeune !). Puis L'homme qui en savait trop…
La mort aux trousses, c'est la célèbre scène dans les champs de maïs, non ?
« C'est la célèbre scène dans les champs de maïs, non ? »
Tout à fait. En fait, c'est un enchaînement de célèbres scènes ! Et pour compléter le portrait, rappelons ces propos de M. Hitchcock : « Certains filment des tranches de vie. Moi, je filme des tranches de gâteau ! »
Juste deux mots pour signaler aux néophytes qu'il s'agit-là d'un des meilleurs films de Hitchcock (cela me parait évident), et un chef d'oeuvre, installant petit à petit avec brio le doute et le crime au sein d'une bourgade paisible. Le thème central des films du cinéaste est les relations humaines et le suspens n'est qu'un moteur narratif, pas une fin en soi.
La période mineure du cinéaste (au zénith à partir de Les trente-neuf marches (1935)) est celle qui s'étend de 1947 à 1950 (4 films) : La corde, Le procès Paradine, Les amants du Capricorne, Le grand alibi.
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