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De Impétueux, le 26 avril 2007 à 15:30

Tout cela me donne bien envie de découvrir ce film que, personnellement, j'ignorais… d'autant que ces questions m'intéressent…


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De Gaulhenrix, le 26 avril 2007 à 15:04
Note du film : 5/6

Un bon "retour", en effet, de William Friedkin

Le préambule du film – bref, mais traumatisant par son extrême violence – met en scène un commando américain chargé d'exécuter un chef de milice Serbe qui extermine la population civile kosovar au moment où l'Otan bombarde le pays, déclenchant ainsi la guerre du Kosovo. Il précise cruellement les enjeux du film : le massacre de civils et l'exécution barbare du chef Serbe expose explicitement le thème de la sauvagerie animale et le film semble illustrer, à l'évidence, la célèbre affirmation du philosophe Hobbes : « A l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme. ». William Friedkin (French Connection, 1972 – L'Exorciste, 1973 – Police Federale Los Angeles, 1986) nous montre, en effet, l'homme à l'état de nature…

Précisément, la séquence qui succède au préambule donne à voir, au cœur d'une forêt de l'Oregon, dans un paysage vierge enneigé, un loup pris au piège. Et c'est encore l'image d'un loup qui clôt le film dans un retour au même paysage naturel immaculé. Entre-temps, Friedkin déroule son implacable démonstration en cinq épisodes qui couvrent environ vingt-quatre heures. Les deux scénaristes (David et Peter Griffiths) imaginent deux personnages « primitifs » inspirés d'un Rambo qui se pourchassent sans trêve, comme dans Le Fugitif, et s'affrontent en un combat d'une sauvagerie toute animale, semblable à celui du final de Predator. Ces trois références (et il y en a bien d'autres) ne sont pas rappelées pour dévaluer le film mais, bien au contraire, pour insister sur l'originalité du propos de Friedkin : proposer, avec Traqué, un condensé du film d'action de ces vingt dernières années et, en parallèle, conduire une réflexion sur la violence chez l'être humain.

L'instructeur L.T. Bonham (Tommy Lee Jones), qui forme des commandos « prêts-à-tuer » et à survivre dans les pires conditions, a eu pour élève Aaron Hallam (Benicio Del Toro) dont l'intervention au Kosovo prouve l'efficacité de l'enseignement reçu. Mais cet apprentissage a créé en lui une dépendance à son maître et une inadaptation à la vie quotidienne (il suffit, à titre d'exemple, d'évoquer l'étonnante relation avec sa fille à laquelle il ne sait que proposer, comme jeu, d'identifier les traces au sol d'un écureuil !). Attaché à son professeur, tel un chien à son maître, il lui lance un appel au secours qui reste sans réponse. Il décide alors d'utiliser un autre mode d'écriture qui leur est commun : le meurtre…

Tout le talent de Friedkin se retrouve dans des scènes d'action toujours innovantes et maîtrisées : on songe, bien sûr, à celle de la guerre, dans le préambule. Mais l'attaque des deux chasseurs, l'évasion et, surtout, la traque qui s'ensuit est magistrale dans sa construction et efficace dans son déroulement. Elle propose alors, jusqu'à la fin du film, toute une succession de véritables morceaux de bravoure. D'abord, une poursuite en voiture très originale, suivie d'une traque à pied dans une ville considérée par le gibier et le chasseur comme l'équivalent d'une jungle dont il faut savoir lire les signes. Enfin, au bord d'impressionnantes chutes d'eau, a lieu le combat final, orchestré comme un somptueux retour au cerveau reptilien et à l'âge de pierre, où l'on aiguise son silex dans un corps à corps d'une sauvagerie bestiale qui fait écho à la violence de la nature dans le fracas des eaux.

Les décors du film, variés et symboliques, nous font traverser successivement des paysages vierges recouverts de neige, de splendides forêts primitives de l'Oregon, la ville montrée comme une jungle et des cascades que l'on imagine surgies des origines du monde. Par l'utilisation même du décor, David Friedkin rappelle, inlassablement, que la Nature est sauvage (les paysages, mais aussi les éléments : eau, feu, neige), et animale (l'aigle qui plane, puis le loup) et que l'homme (les chasseurs de cerf et les habitants de la ville) porte encore en lui, depuis la nuit des temps, cette marque originelle. Ce propos explique aussi le contraste – appuyé – entre les vêtements, modernes, des deux hommes qui se pourchassent et leur combat à la fureur toute préhistorique. A cet égard, un autre contraste mérite d'être souligné : si Bonham libère le loup du piège qui l'emprisonne et le laisse aller libre, il se refuse à aider Hallam dont il brûle les lettres. Serait-ce à dire que cet échec personnel du maître signifie que l'être humain ne peut se satisfaire de sa part animale, contrairement à ce qu'enseignait Bonham ?

La signification du film se situe, me semble-il, dans la mise en perspective de l'ouverture du film (dans la neige, Bonham libère le loup du piège et l'encourage) et de la fermeture (une main – celle de Bonham, certes, mais il n'est pas montré et c'est un désaveu de sa part, une façon de signifier qu'il a refusé de lui tendre la main – jette les lettres de Hallam au feu, puis dans la neige passe le loup du début,). Friedkin oppose ainsi les deux dimensions antagonistes de l'être humain : pour Hallam, chien fidèle, l'homme a un besoin vital d'humanité, alors que pour Bonham, loup solitaire et indifférent, l'homme n'est toujours qu'un animal et doit se montrer stoïque comme Vigny dans la Mort du Loup : "Gémir, pleurer, crier est également lâche / Seul le silence est grand". » Le film s'inscrit tout entier entre les deux points de vue de Hobbes et de Vigny.

Tommy Lee Jones se montre aussi convaincant que dans ses films précédents. Benicio Del Toro est aussi implacable dans son métier de tueur que surprenant par le regard d'enfant perdu qu'il adresse à son mentor. Connie Nielsen, dans un rôle en retrait, affiche une beauté sereine.

NB : il faut souligner que le film propose, du point de vue du son, un effet inhabituel – et très réussi – qui porte sur les voix. Qu'on en juge. Alors que sur l'écran s'affichent deux chasseurs, vus de dos, tout à la poursuite de leur gibier, une voix, qui sort des enceintes arrière, les interpelle et les fait se retourner, face à nous donc ! Une belle utilisation de l'espace sonore, qui pourrait donner des idées aux ingénieurs du son qui nous habituent trop souvent à une utilisation banale des pistes sonores, surtout lorsqu'il s'agit de films d'action.


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