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Ray et Tagore


De vincentp, le 13 novembre 2016 à 23:12
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Revus ce soir sur grand écran : les parties 1 et 3 -"le maître de poste" et "conclusion"- de ce triptyque de Satyajit Ray réalisé en 1961. Avec la partie centrale ("les bijoux"), Trois filles durerait trois heures et serait peut-être trop long pour une programmation grand-public. Sans cette partie centrale, qui module les idées précédentes et suivantes, il manque un petit quelque chose au récit. Mais l'impression qui demeure est très favorable, c'est un euphémisme. Le monde représenté par une fillette de six ou sept ans ("Le maitre de poste") est un portrait attachant et touchant. Magnifique. La partie finale ("conclusion") m'a arraché quelques larmes. Très impressionnant. Le cinéma d'auteur à son zénith, touchant à la perfection absolue, qui traversera les époques et les continents.


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De vincentp, le 3 janvier 2010 à 21:47
Note du film : Chef-d'Oeuvre

La petite fille, le mari,…, portent en eux des valeurs humanistes : bonté, générosité, désintéressement, humilité… Mais ils n'en sont guère récompensés, comme d'autres personnages jalonnant l'œuvre de Satyajit Ray (par exemple, Ananga dans Tonnerres lointains). Symboliquement, le postier atteint de malaria ne reconnait pas le visage pourtant familier de la petite fille penché sur lui. Riches ou pauvres, ces personnages généreux (nous évoquant le St François d'Assise de Rossellini, mais adaptés à la culture indienne) sont soumis aux lois intangibles de la société humaine… Pourtant, on le décèle exprimé en filigrane, la réussite d'une vie est liée à sa richesse spirituelle, aux actions humanistes déployées en direction des autres. La réussite matérielle peut constituer un frein à l'accomplissement d'un individu. Un frein qu'il convient de surmonter par un effort réalisé sur soi-même, mais aussi avec l'aide des autres, de façon collective -ainsi, les villageois regroupés en demi-cercle et méditatifs face à la question du postier à remplacer-.

Toute la gamme des émotions s'exprime en quelques instants sur le visage de la jeune mariée, Mrinmoyee, couchée sur son lit, et réagissant aux remarques anodines exprimées par un membre de son entourage. Ses micro-réactions psychologiques, comme celles des autres personnages du récit, conduisent le jeu social. Les formes de ce jeu social sont modelées par des éléments naturels à la fois opposés et complémentaires : l'eau face à la terre, le jour face à la nuit, le soleil face à la lune, l'homme face à la femme, l'enfant face à l'adulte… Ces éléments naturels se croisent de façon infinie et orientent le destin des individus. De nuit, éclairée par la lune, Mrinmoyee échappe à sa situation de femme mariée, et s'endort sur une balançoire dominant le fleuve.

Telles peuvent être les idées que l'on peut dégager de cet ensemble cohérent de trois moyen-métrages, adaptations de l'œuvre littéraire du poète-dramaturge bengali, Rabindranath Tagore, œuvre dont on peut mesurer ici la portée intellectuelle, la magnificence, et le caractère universel.

Ray confirme ses immenses et peut-être à ce jour encore inégalées qualités de cinéaste-portraitiste de femmes, qualités déployées dans la trilogie d'Apu puis dans les futurs Charulata ou La grande ville : jeunes, âgées, riches ou pauvres, les femmes mènent le jeu social, face à des personnages masculins un peu benêts. Leurs moindres pensées, sentiments et émotions étant décryptés par une caméra à la fois inquisitrice et discrète. Voix, regards, postures, déplacements font l'objet de plans millimétrés, éclairés de façon sublime. Mais l'émotion qui nous étreint est produite aussi par les légers décalages psychologiques et physiques noués imperceptiblement entre ces personnages féminins et leurs alter-égos masculins : déplacement féminin tête baissée face à l'immobilité du personnage masculin par exemple… Une émotion portée par la musique accompagnatrice, signée Satyajit Ray, également (inspirée par celle de Ravi Shankar). Émotion douce et omniprésente mais qualité suprême, Ray n'en fait jamais trop, ne force pas le trait, ses personnages restent crédibles, et son cinéma ne baigne jamais dans le pathologique.

Autres éléments à relever concernant l'écriture cinématographique : le mode de narration consistant à alterner les points de vue, et à les juxtaposer. Ainsi, sont exposés tour à tour la vision sociale, psychologique du jeune homme, puis celle de la jeune femme, puis à nouveau celle du jeune homme. Des "mises au point", plans consistant à éclairer au premier-plan l'un des personnages puis en arrière-plan son alter égo, rythment les instants de confrontation de ces visions du monde. Mais on peut admirer également la modulation constante des sentiments et émotions exprimés sur chacun des visages, conférant à ce récit la dimension d'une véritable partition musicale, dont les notes de musique seraient incarnées par les personnages. Enfin, on remarque un humour soigneusement distillé, ayant une triple fonction (comme chez Ozu, ou John Ford) : caractériser des personnages (la maladresse du jeune homme, l'impétuosité de la jeune fille, …), favoriser la réceptivité du spectacle par le public qui rit de bon cœur et s'implique émotionnellement au sein de celui-ci, contrebalancer des développements tragiques ultérieurs pour éviter toute grandiloquence. Les réactions émotionnelles des spectateurs, comme celles des personnages, sont conduites par une main de maître.

Voilà du très grand cinéma ! Le premier volet de ce triptyque est un pur chef d'œuvre, le troisième volet atteignant quant à lui des sommets artistiques. Une véritable manifestation d'art total, fusionnant littérature-cinéma-musique (voire peinture-sculpture via le décor intérieur du second volet), des arts unis en un tout indissociable, pour une œuvre magnifique qui traversera sans aucun doute et sans encombre les siècles prochains…


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