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Manifeste du néo-réalisme et chef d'oeuvre absolu


De Impétueux, le 14 septembre 2011 à 15:52
Note du film : 5/6

C'est un film qui va crescendo, qui devient de plus poignant, de plus en plus exaltant, de plus en plus admirable au fur et à mesure qu'il se déroule et que le destin des quelques personnages qu'il suit se précise et prend la hauteur de leur dimension.

Si je ne le porte pas à l'altitude du Général della Rovere, du même Roberto Rossellini, c'est sans doute qu'on entre moins dans l'empathie des personnages, qu'on est un peu plus spectateur de leur destin que de leur âme ; un peu comme dans L'armée des ombres, pourrait-on dire ? Certes ! Mais dans le film de Melville on est continuellement dans la tension dramatique, voire épique, alors que dans celui de Rossellini les premières séquences sont plus empreintes de réalisme, malgré le climat glaçant de la Rome de l'hiver 43/44, touchant même quelquefois à ce qui sera plus tard la comédie italienne, dans un mélange de tragédie fondamentale et de bouffonneries vécues (le pillage par les ménagères d'une boulangerie, les disputes entre les deux sœurs Pina – Anna Magnani – et Lauretta – Carla Rovere).

Et donc, ce n'est qu'un peu après la moitié du film que se met en place la tragédie ; auparavant on peut estimer que c'est une histoire haletante et presque documentaire de la résistance dans un temps bien ciblé et particulier ; mais à partir du moment où Pina, enceinte, court derrière le camion où vient d'être arrêté l'homme qu'elle allait quelques instants plus tard épouser, Francesco (Francesco Grandjacquet) et où elle est abattue (une scène d'une émotion et d'une force profondes), on entre dans la dimension presque métaphysique de Rome, ville ouverte, qui tourne autour du personnage de Don Pietro (Aldo Fabrizi), magnifique figure de prêtre sans jactance et sans orgueil, qui donne toute sa force au récit.

Le SS allemand (Harry Feist) qui décide et commande la torture de l'Ingénieur Manfredi (Marcello Pagliero, remarquable de sobriété efficace) est évidemment à l'image même du Démon tentateur qui, au désert, essaye, à coup de spectacles mirobolants, de promesses et d'arguties, de tenter Jésus Christ : il fait ouvrir la porte de communication entre son bureau et la salle de torture où va agoniser Manfredi pour que Don Pietro assiste au supplice, entende les cris de bête de la victime et, d'une certaine façon, reçoive dans son âme les coups infligés à son compagnon.

Les lunettes de Don Pietro se sont cassées lors de son arrestation ; celui-ci ne peut qu'à peine distinguer les marques des coups, le sang qui ruisselle, l'horreur des instruments faits pour fouiller, brûler, déchiqueter ; il ne va pouvoir le faire que lorsque les Allemands, dans une dernière tentative pour le faire céder, le mettront face à face avec Manfredi ; et dans le visage torturé du résistant communiste, contre qui l'Occupant a essayé de le dresser, à la fois il voit le visage du Christ souffrant de la Croix, et il dit la parole la plus merveilleuse que l'autre puisse entendre : Tu n'as pas parlé !, avant de l'absoudre et de le bénir.

Don Pietro lui aussi va mourir, dans une scène d'une grande désolation, ligoté sur une chaise, tournant le dos au peloton d'exécution, dont les jeunes soldats tireront volontairement sans l'atteindre, pour que l'officier furieux soit obligé de l'abattre d'une balle de revolver dans le crane.

Que dire après cela ? Dans le cachot, avant l'interrogatoire, le déserteur autrichien qui, fou de terreur, se pendra dit à Manfredi et à Don Pietro, dans l'angoisse de la torture Vous ne pouvez pas savoir ! Avec eux, les héros deviennent des lâches ! à quoi répond calmement Manfredi Nous ne sommes pas des héros. Mais ils ne sauront rien.

Quelle puissance !


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De Arca1943, le 12 novembre 2006 à 00:29
Note du film : 6/6

Je rappelle que mon truc était le début d'une esquisse. Ce que vous dites ne me contredit pas vraiment : avec Tocqueville nous sommes loin de « la nuit des temps » mais fin XVIIIème, début XIXème. Historiquement parlant, ce ne sont pas des racines si lointaines. L'accouchement du totalitarisme (et du mal radical) ne se fait pas en un jour. Le XIXème y travailla activement. En 1889, en France, un trend heureusement mort-né réunit un nombre inquiétant de ressemblances avec la vulgate fasciste : c'est le boulangisme (du nom du général Boulanger) fruit d'une curieuse fusion entre une gauche atypique (blanquiste, notamment) et une droite hétérodoxe. Ah, c'est gai. Heureusement, tout n'allait pas dans ce sens, il s'en faut.

Cela dit, je suis assez d'accord avec votre définition : « Le totalitarisme semble être une évolution moderne de la tyrannie et de la dictature, apparues elles dans l'antiquité. Ce sont les moyens technologiques modernes (liés au transport des individus et des informations notamment) qui semblent favoriser son essor au XX° siècle. » C'est franchement plutôt cela, en effet, même si il faudrait quand même ajouter son ingrédient le plus important : la mélasse entre les deux oreilles. La fabrication de l'Homme Nouveau, l'Histoire qui s'en va se jeter dans la Nature, et toute cette salade de fous. En tout cas, c'est loin d'être seulement une affaire de "conditions matérielles".

Je promets, soit dit en passant, de reparler bientôt de Rome, ville ouverte, dont nous voilà bien éloignés !


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