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Chef-d'oeuvre ?


De DelaNuit, le 27 octobre 2015 à 14:38
Note du film : 6/6

L’argument des Chaussons rouges est tiré d’un conte d’Andersen, lui-même inspiré d’une légende ancienne : comment une jeune fille avide de danser et souhaitant se rendre au bal se voit remettre par un étrange personnage une paire de chaussons magiques. Ceux-ci lui permettront d’assouvir sa passion de la danse pendant la fête en lui donnant une grâce et une énergie remarquables et en suscitant l’admiration de tous, mais le prix à payer est terrible puisqu’ainsi envoûtée et incapable de retirer les dits chaussons, elle ne pourra plus cesser de danser et continuera jusqu’à total épuisement, jusqu’à la mort.

On retrouve de telles légendes un peu partout, et le recensement des contes populaires de la France mystérieuse elle-même propose un certain nombre de contes où des lutins, des korrigans ou des fées rencontrés sur la lande ou dans un bois propice aux esprits invitent d’aventureux promeneurs à entrer dans une danse qui ne finira qu’avec leur total et fatal épuisement. Une scène semblable avait d’ailleurs été prévue dans Legend de Ridley Scott mais n’est pas présente au montage final, bien que sa musique trépidante puisse être entendue dans l’intégrale de la bande originale de Jerry Goldsmith.

Les chaussons rouges : tel est le ballet qui va propulser la jeune ballerine Vicky Page(Moira Shearer), passionnée et ambitieuse, vers la notoriété au sein de la compagnie Lermontov. Mais l’argument du ballet ne concerne pas seulement la scène et se jouera également dans la vie et le destin de la jeune femme, car le prix à payer pourrait bien se révéler aussi exorbitant que celui de la légende. En effet, l’intransigeant directeur de la compagnie qui a décidé d’en faire une star considère l’art (en l’occurrence musique et danse) comme un idéal nécessitant les plus grands sacrifices, y compris celui de la vie privée, d’une histoire d’amour et de la fondation d’un foyer. Lorsque la belle tombera amoureuse du compositeur, elle devra choisir… Mais est-elle vraiment libre de le faire ?

On retrouve les qualités formelles dues au tandem britannique des « Archers » (nom de leur compagnie) Michael Powell & Emerich Pressburger, auteurs d’un si grand nombre de films emblématiques du cinéma anglais des années 40, dont une photographie splendide de Jack Cardiff (Le narcisse noir, Pandora), et un ballet d’un quart d’heure utilisant les moyens techniques de l’époque.


Mais surtout, le film ne se contente pas de nous montrer le quotidien d’une troupe de spectacle avec ses moments de grâce et de dérision, ses grandeurs et faiblesses humaines, mais pose les questions qui font mal : l’art comme but ultime de la vie, comme addiction, voire comme dogme ou religion (il n’est d’ailleurs pas anodin que la fenêtre du bureau du directeur du ballet, situé au sommet de l’opéra, soit ornée d’une figure ailée : muse, ange, esprit ?) avec les commandements et interdictions qui vont avec, et donc comme sacrifice. Le terme de « passion » pour l’art prend alors tout son sens.

Un film intéressant donc puisqu’il allie beauté formelle et réflexion de fond. Et puis on apprécie de voir danser avec autant de grâce la ballerine écossaise Moira Shearer dans le rôle qui la révéla au public, en compagnie d’autres talents tels Ludmilla Tchérina ou Léonide Massine, mais aussi de retrouver l’impeccable et inquiétant Anton Walbrook (La ronde, Hantise)… Se souvenir que Marius Goring fut une jeune premier doué avant ses seconds rôles de soupirants éconduits par Ava Gardner (dans Pandora puis La comtesse aux pieds nus) et que Robert Helpmann fut un talentueux danseur (on le retrouvera dans Les contes d’Hoffmann) avant d’incarner le machiavélique Prince Tuan des 55 jours de Pékin.


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De vincentp, le 14 juin 2012 à 23:15
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Oui, chef d'oeuvre ! Revu ce soir en version blu-ray (de toute beauté). Les chaussons rouges bénéficie d'une côte énorme outre-atlantique (voir les avis de Coppola ou Scorsese à son sujet). Selon le Lourcelles, ce film a longtemps figuré parmi les plus grosses recettes cinématographiques aux Etats-Unis. C'est sans doute parce qu'il montre aux américains l'Europe telle qu'ils se l'imaginent. Une Europe d'opérette, avec des gens bien élevés, bien habillés, plein d'esprit et de savoir-vivre, et de culture. Une Europe agglomérat étrange de traits de société russe, français et britannique. Mais un succès au box-office qui s'explique aussi par de grandes qualités formelles.

Car le film est extrêmement bien fait (plans, couleur, dialogues), même si nombre de personnages tendent vers le guindé, même si des rebondissements de l'histoire peuvent sembler académiques. Des fulgurances de forme et de fond bienvenues contrebalancent cet aspect guindé. Mais n'est-ce pas le sujet même du film ? Débusquer la réalité cachée derrière les apparences sociales. Imaginer une autre réalité, libérée des contingences matérielles. Ceci via des séquences quasi-oniriques et subliminales, par exemple lors du fameux ballet qui traduit et amplifie en quelques secondes la vision imaginée auparavant par le chef d'orchestre à propos de la danseuse. Fulgurances d'idées et d'images fortes aussi lors de la séquence de la promenade de la calèche au bord de la mer : les dialogues de (sans-doute) Pressburger, existentiels mais toute en finesse, font mouche et confèrent à ce bref instant une superbe dimension dramatique.

J'ai complètement accroché cette fois-ci à ce film, mais il est clair que l'humeur du moment du spectateur peut faire pencher la balance dans un sens moins favorable. Ce n'est pas pour un spectateur européen contemporain un film forcément facile d'accès.


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