Un des meilleurs aspects du film est précisément la traque faite par la police de tous les mecs singuliers, bizarres, obsédés, maniaques, exhibitionnistes, pervers, invertis dont le tueur pourrait bien faire partie. Ah là là ! J'ai écrit invertis, c'est-à-dire homosexuels. Aujourd'hui, où ce qu'on appelle une orientation est plutôt un titre de gloire, la recherche par les policiers du potentiel tueur se fait dans les milieux gays paraissait évidente, flagrante, sans contestation.
Je me moque un peu, mais L'étrangleur de Boston passe facilement, à mes yeux narquois, pour un film homophobe et misogyne. Misogyne ? Mais oui ! Combien de fois les policiers, dans le cours de l'enquête, constatent-ils que, malgré les avertissements rigoureux qui leur sont lancés à tire-larigot par les journaux et les télévisions, les femmes seules n'hésitent pas trop longtemps à ouvrir leur porte à un homme un peu habile et convaincant ? D'ailleurs, dans l'histoire réelle, Albert DeSalvo entrait dans les appartements en prétendant chercher des jeunes femmes susceptibles de devenir mannequins ; et ça marchait paraît-il très bien (2000 femmes violées selon lui, 350 selon la police). Donc un film qui, aujourd'hui ne pourrait pas être tourné, ou tourné avec un lourd regard moraliste, qui retrouverait, d'ailleurs, la pesanteur de la dernière partie du film : le dédoublement de personnalité qui frapperait DeSalvo (Tony Curtis) et qui ne justifierait rien, mais expliquerait le comportement monstrueux de l'assassin. Des dédoublements de personnalité, dans l'histoire de la psychiatrie, il n'y en a pas des masses. Appelée Trouble dissociatif de l'identité, cette psychose est plus souvent diagnostiquée aux États-Unis que partout ailleurs où elle est regardée avec un certain scepticisme. Est-ce pour cela, à cause de mon esprit profondément européen et cartésien que j'ai assez peu apprécié la dernière demi-heure du film où le procureur John Bottomly (Henry Fonda) affronte, dans une sorte de duel à mes yeux artificiel, le tueur qui – apparemment – n'a pas conscience des horreurs qu'il a commises ? C'est possible. Ce que je viens d'écrire ne remet pas le moins du monde en cause l'admiration profonde ressentie pour l'interprétation de Tony Curtis, sûrement une des plus fortes de sa belle carrière. S'il n'intervient que durant la deuxième moitié du film, il écrase, dès qu'il apparaît, tout le reste de la distribution. Qui, pourtant, n'est pas de second rang ! George Kennedy, Murray Hamilton en policiers déterminés, surtout Henry Fonda, c'est sacrément du haut de gamme. Mais ils pâlissent devant la composition de Tony Curtis qu'à vrai dire je n'aurais jamais imaginé aussi dense et aussi complexe. Allez, rien que pour cela ma note passe la moyenne.Mille fois d'accord avec verdun et vincentp.
Une vertigineuse plongée dans la banalité du Mal et dans la psyché perturbée d'un homme ordinaire. Le procureur général Bottomly, interprété par un Henry Fonda tenace et intègre, met tout en oeuvre pour arrêter l'homme qui terrorise Boston au cours de l'année 1962, étranglant des femmes seules.
Fleischer livre un film froid comme un constat, sec comme un couperet. Dans la première partie, très documentaire, il utilise avec brio le split screen, cette technique qui divise l'écran en plusieurs parties, permettant ainsi de suivre plusieurs actions simultanées. Avec un soin exhaustif, il décrit les errements de l'enquête et la succession des coupables potentiels.
Le cinéaste joue aussi avec l'ellipse, faisant l'impasse sur les meurtres et renforçant ainsi le pouvoir suggestif de ces derniers. Ainsi la caméra subjective adopte à plusieurs reprises le point de vue du tueur, distillant un malaise palpable.
Mais c'est dans la seconde partie du film que Fleischer laisse éclater son génie, à partir de l'arrestation d'Albert DeSalvo (Tony Curtis), un modeste ouvrier sur lequel planent de sérieux soupçons. Homme travailleur et père de famille en apparence tout ce qu'il y a de plus banal, il est en réalité un homme à la psyché scindée en deux, un individu ordinaire gangrené par de profondes pulsions de sexe et de mort. Tout l'art du cinéaste réside dans la façon de montrer comment Bottomly va faire craquer DeSalvo, ou plus précisément pénétrer dans son inconscient et révéler la scission en lui.
Entre les cloisons blanchâtres et immaculées d'une cellule d'hôpital calfeutrée, Fleischer filme alors le duel entre les deux hommes, une guerre d'usure psychologique où Fonda érode peu à peu les défenses de Curtis, en l'amenant avec finesse à reconnaître et mettre des mots sur son trouble psychique.
Ce jeu d'échec mental est porté à bout de bras par l'interprétation saisissante de Tony Curtis, qui donne corps à un monstre attachant, qui donne à voir de façon éblouissante le Mal qui rôde sous l'écorce ordinaire d'un homme comme il en existe des milliers.
Fleischer continuera trois ans plus tard son exploration des dédales d'une psyché dérangée avec l'Etrangleur de Rillington Place.
Un fabuleux diptyque sur la folie dans ce qu'elle a de plus terrifiant, quand elle est dissimulée sous le vernis de la respectabilité et le glacis du quotidien.
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