Qui se souvient aujourd’hui de cet été 1958 où un beau jour ma vie s'est mise à basculer ? Dès la première séquence du film, adapté de Villa triste, le ton inimitable, discret, léger, pénétrant de Patrick Modiano s'impose et on sent, et on voit par les premières images que Patrice Leconte
a trouvé ce ton étrange, fascinant d'un des plus grands écrivains du dernier demi-siècle ?
Au delà de l'exactitude du récit (le film de Leconte ne prétend pas à la fidélité), son atmosphère, l'indécision de ces personnages, l'incertitude de leurs contours et jusqu'à leur fragilité….
La plus grande partie du film baigne dans cette sorte de brume dorée des lacs, étranges étendues d'eau, quelquefois tendres (Le genou de Claire), souvent oppressantes (Funny games)
, mais toujours singulières et confinées. Que Leconte
filme le lac Léman et Évian et non celui d'Annecy et cette ville m'a quelquefois un peu embêté parce que j'aurais bien aimé retrouver l'Annecy de mes onze ans, tellement animé à la belle saison, tellement vide, froid, humide lors du long hiver. Mais ça n'a finalement pas d'importance parce que tout y est, de ce qu'a écrit Modiano
et tout ce que je me rappelle. Et pourtant ces instants clairs, ensoleillés, délicieux ne sont que des flashbacks que revit Victor Smadja (Hippolyte Girardot)
avec un étrange sourire et dans une étrange lumière dont on ne verra l'origine et le sens que dans la dernière séquence. Le retour de Victor dans cette ville où il a aimé Yvonne (Sandra Majani, absolument belle) est nocturne et sali ; le désert des rues vides, le crachin, l'humidité, la solitude. Tout était si beau, l'été d'avant…
Le parfum d'Yvonne est le récit de la rencontre fugace et intense de Victor Smadja, jeune homme incertain qui n'a pas envie de partir faire la guerre en Algérie et vit sans rien faire, en vendant de temps en temps un papillon rare d'une collection extraordinaire léguée par son père ; il passe son temps à ne rien faire, à lire et classer ses collections de Cinémonde ou de Radar dans la pension de famille où il s'est installé ou à regarder la vie des autres et à sentir le temps s'écouler, assis de longues heures dans le hall de l'Hermitage, sublime hôtel qui domine le lac et ses miroitements.
J'ai retrouvé, dans la petite bande assez médiocre et très heureuse de sa prospérité haut-savoyarde qui entoure Daniel Hendrickx (Paul Guers), président du jury du concours et décrit ainsi par Meinthe, qui lui voue un mépris, d'ailleurs réciproquement partagé Un vieux beau très content de lui avec un physique de nudiste, j'ai retrouvé, donc, des visages et des traits qu'enfant j'ai approchés. Peut-être vient de là ma particulière sensibilité à ce film : à une suite de résonances, de réminiscences conscientes ou non, de souvenirs très profondément agrafés de ces années-là… qui aurait eu, d'ailleurs, sinon, l'idée d'aller chercher Paul Guers,
précisément, si extraordinaire interprète de Montherlant
à cette époque, ou Corinne Marchand,
qui dirige la pension de famille où réside Victor avant sa rencontre avec Meinthe et Yvonne, dont je ne regarde jamais Cléo de 5 à 7
sans être ébloui ?
Musique magnifique de Pascal Estève (et plein de chansons de Celia Cruz en plus, donc), lumière scintillante du lac de montagne, rues mouillées, gare encore enfumée par les locomotives à vapeur, désolation d'une Dolce vita provinciale et friquée, acteurs émouvants (j'ai oublié de citer Richard Bohringer d'une grande force dans le rôle un peu las de l'oncle d'Yvonne qui l'a vu faire tant de bêtises…
Patrick Modiano n'a jamais été mieux servi. Et qui connaît le film, pourtant ?
Le film est d'abord un défi cinématographique: porter l'univers bien particulier de Patrick Modiano. Le pari est tenu. A ma connaissance, un seul autre réalisateur,Manuel Poirier
s'est risqué à adapter Modiano
avec son piètre Te Quiero.
La mise en scène est très esthétisante mais très belle: Patrice Leconte a voulu réaliser un film qui mettrait les cinq sens en avant et il y a réussi. La recréation de cette Villa triste de 1958 est parfaitement convaincante.
Mais qu'est-ce qui cloche donc ? Les deux interprètes principaux, Hippolyte Girardot et Sandra Majani sont bien, mais Marielle
est tellement fabuleux dans son rôle de "reine des Belges" qu'il écrase un peu les autres comédiens , si talentueux soient-ils.
En outre, le dernier tiers me semble plus erratique malgré l'apparition de Bohringer ou la dernière scène très … éclairante. J'aurais voulu ressentir la même émotion que celle que j'ai pu éprouver dans d'autres histoires d'amour inabouties comme Le dernier nabab
ou La maîtresse du lieutenant français.
Ici ce n'est pas le cas. Dommage !
Reste un film pas totalement abouti mais ce qui y est réussi est inoubliable.
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