A l'origine, une nouvelle de Heinrich Von Kleist dans la pure veine de l'auteur allemand : la marquise d'O… est brutalisée par les Russes qui entre dans une ville de Lombardie tenue par le père de la marquise. Elle est sauvée par un lieutenant colonel Russe qui toutefois profite de son évanouissement pour la violer sans qu'elle s'en rende compte. Le comte russe revient quelques semaines plus tard pour mener une cour assidue, la demandant en mariage. Se sentant enceinte sans pouvoir se l'expliquer elle se refuse à lui. Rejetée par sa famille, elle tente de retrouver le responsable de son état.
Éric Rohmer signe une adaptation particulièrement fidèle de la nouvelle de Kleist, ponctuant son film de fondus au noir à la fin de chaque action de son récit. Cette récurrence a comme effet de distancer la narration du film, de prendre un point de vue finalement de recul sur l'action et le drame de la Marquise. Comme s'il préférait filmer son récit en plan d'ensemble plutôt qu'en gros plan…
La Marquise incarne finalement une femme forte, active sur sa vie, et la découverte finale qui est la sienne, que l'Ange sauveur peut être aussi le démon physique, pulsionnel, la conduit vers une totale libération de la culture dominante qui l'entoure, culture chrétienne, culture machiste.
La Marquise d'O film féministe? Pourquoi pas!
Éric Rohmer ne déteste pas s'embarquer sur des vaisseaux sans réalité et dans des histoires sans vraisemblance. Des histoires nourries de hasards et de rencontres improbables. Ce qui compte pour lui, une fois les prémisses posées et le point de départ admis, c'est la cohérence des élans et des égarements du cœur et de l'esprit.
Il faut donc accepter d'entrer dans un propos initialement assez convenu, mais dont les développements se liront au fil d'un discours logique ; c'est d'ailleurs un des principes du théâtre et les machineries les plus horlogères des vaudevilles et des mélodrames ne fonctionnent pas autrement.
On a tout à fait l'impression, en regardant La marquise d'OOn est un peu décontenancé d'emblée, par le caractère très conventionnel et larmoyant des personnages et du récit ; on est en plein pré-romantisme et on s'imbibe depuis trente ans de grandes exaltations dramatiques, Nouvelle Héloïse ou Souffrances du jeune Werther : on s'exalte, on frémit, le père maudit sa fille déshonorée puis la serre sur son cœur en ruisselant de larmes : c'est la loi du genre. Mais Rohmer, parfait dixhuitiémiste, réussit à merveille à recréer une atmosphère tout empreinte de la peinture édifiante de Greuze et peut-être encore davantage des scènes d'intérieur de Chardin, notamment dans l'utilisation des couleurs (beaucoup de vert, de beige, d'orangé) et, ne se moquant jamais de ses personnages, parvient à donner du corps à un récit assez mince.
Dit ainsi, ça paraît un peu niais et convenu, d'autant que les péripéties suivantes sont tout autant emplies d'émois divers, mais c'est tellement bien tourné, tellement bien interprété, tellement agréable à voir qu'on n'a pas du tout la tentation de se moquer et qu'on est bien content que ça finisse au mieux, par des embrassades générales et des bonheurs recouvrés.
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