Le cinéma – même celui de Federico Fellini - est un art foncièrement inégal. Mais pour cette raison même, c'est aussi le plus fertile en surprises. Ainsi, moi qui étouffe un peu devant Casanova et La Cité des femmes – pleins de qualités, mais où le maître ne se renouvelle guère – j'ai l'heureuse surprise de voir surgir, entre les deux, cette parabole satirique jubilatoire, à l'humour vif, au rythme primesautier et narquois.
C'est aussi un film qui vieillit remarquablement bien : parce que le sens de cette fable, histoire d'une escalade drôlatique de la guéguerre entre un orchestre et son chef, où sont mis en cause les rapports de cause à effet entre excès d'ordre et excès de désordre, restent tout aussi valables pour notre époque troublée que pour cette époque tout aussi troublée. (Le film date de 1978 : c'est l'année de l'affaire Moro).
J'ai déjà cité, dans une petite polémique (sans rancune, j'espère) avec un des maîtres-queux de ce somptueux site, une observation de l'historien américain et italianisant passionné H. Stuart Hugues. C'est le moment où jamais de la ressortir, car le chapeau va particulièrement bien à ce film-ci.
« Even dream and fantasy – as in Calvino's novels or Fellini's films – were not so much an escape as a way to a clearer understanding of reality. » Traduction maison : même le rêve et la fantaisie – comme dans les romans d'Italo Calvino ou les films de Federico Fellini – ne sont pas tant des moyens d'évasion que des moyens d'arriver à une compréhension plus claire de la réalité.
Enfin, à tout seigneur, tout honneur : la véritable star de ce film en or, c'est la musique du regretté Nino Rota, qui signait là sa toute dernière partition : on ne pouvait rêver meilleure sortie de scène pour ce compositeur incomparable.
Arca1943
4,5/6. Beau portrait de groupe, doublé d'une réflexion amusante sur le processus de création artistique. La mise en scène est inventive et insuffle rythme et dynamisme. Nombre de séquences sont hilarantes (les tocades du chef d'orchestre, la dispute pour la place d'une chaise, le fait que chaque musicien ne voit que le mérite de son propre instrument, le débat futile style dvdtoile.com pour savoir si le violon est de sexe masculin ou féminin, les grognements des papys qui n'aiment guère que l'on bouscule leurs habitudes, etc…).
Parce que vraiment ce moyen métrage (70 minutes) réalisé pour la télévision italienne m'a semblé réunir une grande quantité des défauts et bien peu des qualités qu'on s'accorde à reconnaître à Federico Fellini. Et puisqu'on donne une note médiocre, parlons d'abord de celles-ci. Un peu paradoxalement, je vais mettre au premier rang quelque chose qui n'est pas directement issu de la pensée du réalisateur : la musique, généreuse, inventive, intelligente, capricieuse de Nino Rota ; ce qui est tout de même assez déterminant dans un film consacré à la mise en scène de la rencontre d'instrumentistes et du chef de leur orchestre et de l'exécution d'une œuvre.
Puis la capacité de Fellini de faire surgir des visages, des trognes, pourrait-on dire. Et même, en allant un peu plus loin, on pourrait dire que le réalisateur paraît capable de faire surgir de l'extrême banalité des visages et des silhouettes – qui pourraient être les nôtres – des trésors et des merveilles d'étrangeté. C'est-à-dire de démontrer que, derrière chaque individu, si insignifiant qu'il puisse sembler, il y a des replis, des secrets, des mystères et des merveilles. On ne s'accroche pas, naturellement au destin, à la vie de chacun, pianiste, violoniste, flûtiste, percussionniste, violoncelliste, clarinettiste, trompettiste qui chacun et tous disent avec jactance leur gloriole et leur fierté de jouer l'instrument que chacun a choisi. On ne s'y accroche pas mais on est tout à fait séduit par leur caractérisation, leur individualisation : dans ce rassemblement hétéroclite qui mixe femmes et hommes, vieillards et jeunes gens, petits bourgeois et presque voyous, pauvres gens frustrés et créatures rayonnantes, on parvient, en un rien de temps, à distinguer qui est qui, qui est quoi. Fellini passe de l'un à l'autre de ses protagonistes avec une souveraine aisance : caméra fluide, habile, souverainement gracieuse ; peut-être n'a-t-on pas suffisamment insisté sur les qualités techniques du réalisateur, sur sa faculté à planter sa caméra là où il le faut, pour faire partager au spectateur sa propre vision des tensions qui surviennent dans le groupe et qui sont exaltées par la personnalité du chef d'orchestre (Balduin Baas), germanique admirateur d'Arturo Toscanini et de Wilhelm Furtwängler, l'un et l'autre peu suspects d'animosité envers les régimes totalitaires des années douteuses (c'est une litote, évidemment). Mais voilà que l'anarchie envahit l'espace et que les concertistes, agités par des revendications syndicales (à la base) et par une volonté voyoute de fracasser tout ce qui est régulation, mesure, autorité, hiérarchie, commencent à tout fracasser, à tout détruire. Comme toujours lorsqu'on laisse l'homme se rebeller contre la société. Dans une bonne mesure, Fellini, si fasciné qu'il est par le désordre, conçoit bien que la civilisation ne passe que par la contrainte sociale et le respect des subordinations.Page générée en 0.0030 s. - 5 requêtes effectuées
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