Un film que l'on peut apprécier pour son interprétation, son scénario bien huilé (une belle écriture), son ambition…
Ou que l'on peut inversement détester pour sa tendance à forcer dans le pathologique, avec ses psychodrames à répétition (qui finissent par lasser), ses tonnes de larmes, et son aspect assez conventionnel (car on devine sans mal l'évolution de l'histoire).
Est-il représentatif de la tendance du cinéma américain actuel, qui est de proposer des films quelque peu marketés (celui-ci étant destiné à la génération des mamy-boomers), et réalisés sur la base de recettes éprouvées ?
Si j'en crois ta note, vincentp, tu optes plutôt pour un jugement positif. Je fais de même ! Je précise d'emblée que je n'ai pas lu le roman de Michael Cunningham…
J'ai d'abord apprécié la composition subtile de trois histoires : celle de la romancière anglaise Virginia Woolf (Nicole Kidman), gagnée par la folie, en train d'écrire un roman "Mrs Dalloway" dans les années 1920-1930 ; celle de Laura Brown (Julianne Moore) que la lecture du roman une vingtaine d'années plus tard pousse à remettre en question sa vie qui ne la satisfait pas ; celle, enfin, de Clarissa Vaughan (Meryl Streep) que son ami, Richard (Ed Harris), poète atteint du Sida, appelle précisément Mrs Dalloway, sans doute par dérision, eu égard à la vie qu'elle mène. Ainsi se trouve établi un lien fort entre les personnages qui nous sont présentés. Quant aux trois époques, elles ne sont pas suivies chronologiquement mais s'interpénètrent et l'on passe de l'une à l'autre, par exemple, par un geste (mettre des fleurs dans un vase) qui est commencé par l'une des héroïnes et achevé par une autre. Bref, la fluidité du récit est une constante qui se teinte, poétiquement, de douceur, mais plus souvent de souffrance. Le fil conducteur du récit est la femme dont l'image dans la société à travers la place qui lui est assignée, ses rapports avec les hommes, et, au-delà, son regard sur la souffrance de la vie et la déchirure de la mort, se dessine peu à peu, heure après heure.
Le choix des trois époques permet au réalisateur d'observer l'évolution sensible de la condition féminine. Le rôle – exclusivement – social qui est imposé (femme au foyer et épouse pour Virginia et Laura, épouse et mère pour Laura, infirmière maternelle pour Clarissa), source de toutes les frustrations, est de moins en moins pesant : si Virginia se suicide, Laura peut refuser et choisit de se séparer de ses enfants et de son mari ; quant à Clarissa, elle mène une vie libre et assume son lesbianisme. Le film porte bel et bien un regard sensible sur l'évolution de la condition féminine ces dernières cinquante années. Mais il le fait en toute délicatesse laissant se dérouler les heures de la vie intime de ces trois femmes. Pourtant ce changement vers le choix de vie ne paraît pas sans laisser de traces : Laura réapparaît vingt ans plus tard sans avoir pu effacer un sentiment de culpabilité né du conflit entre don de soi et désirs personnels, et Clarissa mène une vie chaotique entre Richard, son amie et sa fille.
Le plus symptomatique du malaise général se révèle dans la bisexualité des personnages, signe sans doute d'une incompréhension dans ce que les femmes et les hommes attendent les uns des autres, puisque l'on semble attiré par son contraire tout en se tournant vers son semblable. Ce malaise dans les rapports humains se double d'un mal être existentiel qui pousse à une réflexion permanente et douloureuse sur le sens de la vie, dont on ne sort pas indemne, notamment pour la romancière et le poète, Virginia et Richard : l'Art devient une exploration de la condition de l'être humain dans ses rapports avec la vie, la maladie et la mort.
Ce film éprouvant mais indispensable, qui donne à voir, à sentir et à réfléchir, est, en outre, magnifié par une réalisation soignée et inspirée à la hauteur de ses ambitions.
C'est ainsi que pour mieux suggérer le sentiment d'oppression qui étouffe les femmes contraintes de se conformer à leur rôle social, Stephen Daldry filme des lieux confinés d'intérieurs qui enferment, aux couleurs le plus souvent sombres, dans un camaïeu de bruns, de rouge-brun et de marron. Les seules échappées vers l'extérieur – le jardin ou la gare – sont, de même, présentés comme des lieux clos, cadrés en plans moyens qui réduisent l'espace aux seuls personnages. Choix des couleurs et utilisation de l'espace retranscrivent ainsi visuellement la chape de plomb morale qui pèse sur la vie des femmes.
Surtout, le réalisateur met en scène une symbolique visuelle sans cesse inspirée. Je songe, plus particulièrement, à l'épisode du gâteau que Laura se croit obligée de préparer pour son mari (ah, le regard de juge de l'enfant !) et qui est décoré d'une couleur bleue insolite ; gâteau aussitôt mis à la poubelle ; puis refait avec la même couleur bleue. Comment mieux dire l'aversion du personnage pour les taches ménagères et les obligations familiales sinon par ce bleu (le rejet), cette poubelle (le dégoût) et ce nouveau gâteau (la contrainte ou la culpabilité). Je prendrai, comme derniers exemples, trois séquences visuellement splendides qui concernent chacune des héroïnes. D'abord, dans le prologue, l'entrée dans la rivière de Virginia, filmée sous l'eau quand le courant la déshabille des oripeaux sociaux. Puis la scène onirique où Laura, allongée sur un lit d'hôtel, revit la noyade de Virginia, cependant que l'eau fatale submerge la pièce et emporte son corps, en une vision somptueuse qui opère poétiquement le fusion entre l'écrivain, le roman et sa lectrice. Enfin, la séquence où, peu à peu, Clarissa voit Richard au milieu des cachets qui jonchent le sol, s'approcher de la fenêtre, s'asseoir dans l'embrasure, dire son amour et son désespoir du temps qui a passé, puis basculer brutalement dans le vide en une chute si inattendue…
Un film sensible et inspiré qui saisit la musique douce-amère des mouvements les plus intimes de la conscience dans ses rapports avec la vie et la mort.
C'est intéressant de lire les interventions de Vincentp et Gaulhenrix au sujet de ce film.
En termes de réaction, Annick se rapprocherait de la vision de Vincentp quand je suis beaucoup plus proche de celle de notre ami Gaulhenrix.
A noter que cette même semaine nous avions vu Loin du Paradis.
Fort bien, droudrou. Mais pourrait-on lire l'avis d'Annick elle-même, qui tient tout à la fois de l'Arlésienne et de la femme de Colombo par ta propension à souvent l'évoquer sans jamais la faire (la laisser ?) s'exprimer ?
Dans l'espoir que je ne serai pas à l'origine d'une dispute conjugale…
Pas du tout ! Au contraire ! Le tout est qu'elle se décide !
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