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Forum : Les Yeux sans visage

Sujet : Une perle unique


De verdun, le 23 octobre 2005 à 02:21
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Il y a peu de films fantastiques français qui ont marqué le cinéma mondial comme celui-ci : La Belle et la Bête et Les diaboliques peut-être…et Les yeux sans visage. Trois films que le monde entier nous envie.

Pourtant quand on regarde le scénario, rien de bien révolutionnaire,une histoire un peu grandguignolesque qui sera souvent copiée, aussi bien dans le magnifique Volte face (l'opération de Cage et Travolta) que dans les horribles Prédateurs de la nuit de Jesus Franco : un chirurgien qui prélève le visage de belles jeunes filles pour réparer celui de sa fille défigurée.

Le film a un ton unique qui tient à une oscillation extrêmement réussie entre plusieurs tons, entre plusieurs styles. Entre cruauté et poésie (les scènes bouleversantes de Édith Scob portant un masque qui imite les traits humains et appelle son fiancé au téléphone sans faire entendre le son de sa voix), entre la poésie pure et le réalisme insoutenable,entre la grâce fragile d’Édith Scob et la force inquiétante de Pierre Brasseur. Le rythme du film est lent mais provoque plus l'oppression et la peur que l'ennui. Dans cette optique la scène de l'opération reste malgré quarante ans d'effets spéciaux et de surenchères dans l'horreur traumatisante parce qu'elle dure longtemps et que la musique tantôt ironique tantôt émouvante s’interrompt à ce moment-ci.

L'envoutement que provoque ce film hypnotique est accentué par la musique de Maurice Jarre qui semble déplacée au début et gagne progressivement en émotion. La photographie en noir et blanc est du même niveau.

Par conséquent voilà un exemple trop peu égalé de fantastique à la française qui comme souvent dans les grands films d'épouvante- comme Le voyeur de Michael Powell est aussi un beau film d'amour.

ps: À quand la diffusion des autres films de Franju : Judex, La tête contre les murs, etc.


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De Arca1943, le 23 octobre 2005 à 04:15

J'ajouterais quand même La Beauté du diable, Au coeur de la vie, Black Moon, Le Locataire, Alice ou la dernière fugue, Théâtre de M. et Mme. Kabal précédé, pourquoi pas, de Concert de M. et Mme. Kabal, et peut-être même Leonor et Les Revenants, mais c'est vrai que le cinéma français n'est pas reconnu comme fertile en récits fantastiques. Et pas seulement au cinéma, d'ailleurs.

Nous, les étrangers, avons bien sûr l'explication toute trouvée : les Français sont cartésiens, et voilà ! Ça explique tout.

Et Maupassant, alors ? Et Le Passe-muraille de Marcel Aymé ? Et Topor ? Bah, des accidents de parcours. Et Henri Vernes ? T'es pas sérieux ! (Ben quoi? Le premier tome des Murailles d'Anankè, c'est pas si mal…)

Mais on m'apprend que Julio Cortázar a vécu plusieurs années en France. On pourrait peut-être le compter sans le dire trop fort aux Argentins ?


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De Impétueux, le 30 mai 2006 à 18:20
Note du film : 6/6

Il est de fort mauvais goût de se citer, mais je crois que je ne pourrais pas donner sur le fil de ces extraordinaires Yeux sans visage autre chose que ce que j'écrivais sur le fil d'un film qui n'a avec lui absolument aucun rapport, ce qui fait qu'on ne peut me reprocher de faire dans le redondant et l'obsessionnel.

Toute honte bue, voilà quelques lignes de commentaire qui me semblent aller tout à fait dans votre sens, économie de moyens, exceptionnelle qualité poétique des images et de la musique : Revoyant pour la énième fois, l'autre jour, les admirables Yeux sans visage de Georges Franju, je m'émerveillais encore qu'on pût créer, dans la séquence initiale, un tel climat de malaise et d'angoisse par le simple cheminement, sur une route isolée, dans la nuit, d'une 2CV ; la façon de filmer l'obscurité, les arbres menaçants, l'eau noire, le visage inquiétant d'Alida Valli, la musique …tout est prenant….

Je ne suis pas certain que les autres films de Franju aient réussi ce miracle, cette perfection, mais pour l'avoir donné, ce chef-d'œuvre, il demeurera au rang des très grands…

Quant à répondre à Arca…On peut, il est vrai citer quelques réussites isolées, à quoi j'ajouterais volontiers Traitement de choc, d'Alain Jessua, pour qui j'ai une dilection particulière, mais je crois qu'ont assez raison ceux qui nous voient la tête trop cartésienne pour être fantastique, comme, en matière littéraire, nous avons, pour nos romans, davantage de moralistes que de conteurs…

A chaque peuple son génie !


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De vincentp, le 19 décembre 2009 à 20:50
Note du film : 6/6

Ce que je trouve intéressant, c'est la façon qu'a Franju d'aborder sans en avoir l'air un grand nombre de thèmes (l'éthique médicale, les rapports entre la chair et la pensée, la conscience de soi et des autres). Egalement de montrer à la fois la lucidité du professeur (qui devine l'échec de la greffe) et sa folie : un personnage à double-face, qui interpelle la conscience du spectateur. Et puis ce film est magnifiquement construit et filmé.

Nb : l'édition dvd de René Chateau est pour une fois dénuée de reproche. Mais je crois que le film vient de resortir chez un autre éditeur.


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De Tamatoa, le 7 septembre 2014 à 03:09
Note du film : 6/6

Revoyant pour la énième fois, l'autre jour, les admirables Yeux sans visage de Georges Franju, je m'émerveillais encore qu'on pût créer, dans la séquence initiale, un tel climat de malaise et d'angoisse par le simple cheminement, sur une route isolée, dans la nuit, d'une 2CV ; la façon de filmer l'obscurité, les arbres menaçants, l'eau noire, le visage inquiétant d'Alida Valli, la musique …tout est prenant…. (Impétueux)

Moi aussi je viens de revoir pour la énième fois cette merveille. Tout a été dit. Mais je reviens sur ce film pour parler d'une étrangeté d'autant plus étrange qu'elle traine dans l'oeuvre d'un metteur en scène des plus méticuleux. Je veux parler des voitures qui circulent dans ce film. Et en particulier de la DS de Pierre Brasseur. Il arrive près du cimetière en DS 20 Pallas avec phares longue portée et bande latérale de protection, il en repart avec une ID 19, sans phares longue portée ni barre latérale de protection. Quand il se gare devant son garage, la voiture possède bien sûr une immatriculation. Le temps qu'il descende pour ouvrir la porte du garage, l'immatriculation a changé… Puis nous retrouverons plus tard la DS avec ses phares longue portée, etc, etc. Bien sûr, cela n'enlève strictement rien à la qualité de ce film majeur dans l’œuvre de Franju. Mais il est quand même curieux que personne dans l'équipe du tournage n'ait relevé ces détails. Et je suppose que la personne chargée du montage a dû se mordre les doigts… Ce genre d'anecdote prouve une chose : c'est que le film n'a pas été tourné dans l'ordre chronologique des scènes, ce qui est très courant dans le cinéma. On peut supposer qu'il a fallu rendre la première DS à la location à la date prévue et qu'elle n'était plus disponible pour tourner le retour au garage. Et une troisième pour son entrée dans le garage. Trois voitures différentes pour une séquence de trente cinq secondes… Et ce n'est qu'un détail à gérer parmi des milliers d'autres pendant un tournage. J'imagine la galère pour tourner le jour le plus long ou Week-end à Zuydcoote..

Et dans le film, c'est aussi flagrant que sur ces photos… Mais dans ce domaine, le pompon revient quand même à Bernard Blier dans Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, un tout autre genre, qui passe sans souci, dans différents plans d'une même séquence, de la Simca 1300, à la Simca 1301. Tous les types de ma génération vous diront l'énorme différence entre les deux modèles…


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De Impétueux, le 6 mars 2015 à 17:58
Note du film : 6/6

Le propre des grands films est qu'on ne se lasse pas de les voir et revoir, goûtant un peu mieux chaque fois la maîtrise du réalisateur et la qualité de son récit. Un grand bonheur aussi est de vibrer comme si on ne connaissait pas sur le bout du doigt les péripéties des Yeux sans visage et on se laisser aller à emprunter les fausses pistes tendues par Georges Franju dans ce film bref (1h25), tendu, concentré.

Pierre Brasseur, qui a souvent la tentation de jouer un peu trop fort, si je puis écrire, défaut fréquent des gens de théâtre, est là absolument parfait, grave, obstiné, ravagé à la fois par l'accident de sa fille qu'il a défigurée et par le parti qu'il a pris de lui redonner un visage. Son personnage est aussi complexe qu'il le fallait, dans une histoire qui, si elle fait évidemment songer aux scènes horrifiques du Grand Guignol a tout de même aussi pas mal de complexité intelligente. Alida Valli a exactement le beau visage inquiétant qui sied au rôle de la maîtresse complice de Brasseur/Génissier, vouée à lui parce que, sans qu'on en sache davantage, il a pu lui donner une figure (mais prélevée comment ? sur qui ?).

Et la silhouette fragile, élégante, gracieuse d'Édith Scob est également parfaite pour donner de la consistance à Christiane Génissier, dont le personnage, tout aussi complexe que ceux de son père et de sa compagne, est peut-être le plus intéressant.

Certes, Christiane achève le cycle infernal de recherche de nouvelles proies en tuant Louise/Alida Valli et en libérant les chiens tenus enfermés par son père pour ses expériences et rendus fous par la claustration qui vont déchiqueter le professeur Génissier. Mais, si elle est horrifiée par les morts criminelles des victimes, elle accepte tout de même assez aisément leur sort et n'aurait rien trop à dire si la greffe réussissait. Est-ce que ce n'est pas davantage par lassitude d'être le cobaye des tentatives désespérées de son père qu'elle met fin à tout et s'enfonce dans la nuit, entourée de colombes, dans une séquence d'une grande beauté onirique ?

Beaucoup d'images du film, d'ailleurs, sont aussi superbes qu'angoissantes, en premier lieu la course initiale de la 2CV dans la nuit, dont j'ai déjà parlé dans un précédent message : les arbres y paraissent surexposés, presque comme sur négatif photographique, hostiles et obsédants. Mais aussi la haute demeure à la façade austère, ses couloirs secrets et ses pièces arrogantes, la salle d'opération glacée qui fait tant contraste avec le boudoir où vit la jeune fille au visage dévasté…

Je gage que si un réalisateur avait aujourd'hui l'absurde idée de tourner un remake des Yeux sans visage, il ne mégoterait pas sur les scènes gore, désormais si aisées à présenter à un public habitué aux pires épouvantes. Le film de Georges Franju n'est pas dénué d'horreurs, ce qui n'était pas si commun en 1960 : visage calciné de Christiane, entraperçu par Edna (Juliette Mayniel), à demi consciente, décollage chirurgical de l’épiderme d'Edna, corps de Génissier ensanglanté… Mais tout le film baigne dans une atmosphère d'angoisse et d'incertitude qui en fait une réussite parfaite, solidement étayée par la musique de Maurice Jarre (qui n'a donc pas travaillé que pour les grandes machines d'Hollywood) et par une bande-son impressionnante (les hurlements infernaux des chiens encagés).

Une réussite parfaite, un film qui fait vraiment peur.


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