C'est en 1945 que David Lean trouve avec ce film un succès critique et populaire international : ce film romantique magnifié par la musique de Rachmaninov (Concerto pour Piano et Orchestre n°2 do mineur – Opus 18, composé en 1901) est mené d'une main de maître de bout en bout, et ici le style de Lean est remarquable de finesse : un casting irréprochable (le duo d'acteurs est sublime), une photographie magnifique (assez sombre avec des noirs dominants et l'apparence globale velouté et non agressive, à l'opposé de l'expressionisme "à la Fritz Lang" utilsé pour Oliver Twist). Il en ressort une ambiance dépouillée et triste qui dépeint cette histoire d'adultère intimiste et réaliste (théme récurrent de l'amour interdit chez Lean : La Fille de Ryan, Doctor Zhivago, et La Route des Indes par exemple…). La grande place donnée la musique fait ressortir les émois intérieurs de la jeune femme qui raconte en flash-back son histoire d'amour. Tous ces procédés seront réutilisés dans La Route des Indes pour retranscrires les émois de la jeune héroïne… Enfin, on retrouve des trouvailles visuelles qui font la marque des plus grands, notamment la séquence où la jeune femme a la tentation de mettre fin à ses jours, qui est un moment exceptionnel.
C'est sa banalité, sa description naturaliste du quotidien de "petites gens", soudain transcendés par l'amour, qui fait tout l'intérêt et la raison d'être de Brève rencontre. Pour rire un bon coup, je propose aux admirateurs de ce film, de jeter un coup d'oeil sur son remake, portant le même titre, et récemment sorti en zone 2, avec… Sophia Loren et Richard Burton ! Excellent casting, non ? Le pauvre réalisateur passe tellement de temps à nous convaincre que ce ne sont pas des stars, mais des gens normaux, comme vous et moi, avec un métier, des enfants, etc., qu'il en oublie de traiter le sujet, et accumule les séquences "quotidiennes" assommantes. Ce cast est un tel contresens, que le remake devrait être proposé en supplément du film de Lean, pour montrer pourquoi l'original est un grand film et le remake une clownerie pitoyable. Tant qu'à voir Burton et Loren ensemble, autant que ce soit dans "Le voyage", de Vittorio de Sica, tourné à la même époque, et autrement plus intéressant…
Lean et ses collaborateurs font en moins de 90 minutes un tour de la question sur ce sujet intemporel. L'auteur a eu au total six épouses et sans doute en connait-il déjà un rayon quand il réalise ce film. Mais ceci ne nous regarde pas…
Cette histoire a largement inspiré Sur la route de Madison, c'est une évidence.
Est remarquablement fine la description de cette passion qui va durant quelques semaines faire vibrer le médecin et la ménagère ; rencontre inopinée, intervention du médecin pour ôter une poussière de charbon malencontreusement logée dans l'œil de la jeune femme, rencontres ultérieures d'abord par le plus grand des hasards mais avec une sympathie immédiate, puis l'attirance acceptée, la cour discrète et délicate et enfin le bouleversement sans issue des vies. De très belles séquences : celle par exemple où Laura semble fascinée par le discours enthousiaste d'Alec sur la médecine préventive, mais qui, en fait, est parcourue par le métalangage amoureux, c'est-à-dire le coup violent du désir physique qui est sublimé par l'apparent intérêt donné à la générosité sociale prêchée par le médecin.
David Lean filme ce qui est, en fait, l'adaptation d'une pièce de théâtre de Noël Coward avec beaucoup de délicatesse et de doigté. Il parvient à représenter la grisaille britannique sans acrimonie mais avec une sorte de complicité pour ces gens de grande banalité. Après tout, si Brève rencontre a rencontré tant et tant de succès, n'est-ce pas du fait que le film représentait ce que nous aurions pu tous rencontrer ?
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