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Sujet : La revanche de Dagon !


De DelaNuit, le 26 mai 2018 à 21:01
Note du film : 5/6

Les films de monstres ne constituent pas en soi une nouveauté : depuis les années 50, le cinéma nous en a offert une large galerie. Certains viennent de l’espace (martiens et compagnie), d’autres de l’est et des Carpathes (vampires en général), d’une île ou de la jungle la plus reculée (dinosaures souvent, gorille parfois), voire d’un lac ou du fond des mers… C’est à cette dernière catégorie que s’attaque le dernier film de Guillermo del Toro, dont le design évoque clairement L’étrange créature du lac noir, film de 1954 qui connut dans les années 80 un « revival » surprenant sur le petit écran grâce à La dernière séance d’Eddy Mitchell où le film était proposé en relief à condition de se procurer les lunettes rouge et bleu adéquates…

On pourrait penser que la présente histoire de monstre ne propose rien de nouveau, que le clin d’œil rétro aux productions des années 50 n’est pas désagréable, mais qu’en dehors des effets spéciaux bien plus performants qu’à l’époque, ce film n’apporte rien. Alors que c’est tout le contraire…

Certes les monstres d’alors étaient plus ambigus qu’on pourrait le croire (car pas tous nécessairement mal intentionnés, possiblement mal compris, dangereux car en mode survie ou d’une bienveillance inimaginable… voire amoureux d’une femme humaine, perspective d’une fin d’autant plus tragique) et les films de Tim Burton ont déjà largement contribué à leur rendre justice. En revanche, les héros qui leur faisaient face répondaient tous au cahier des charges de l’américain bon teint (blanc, viril, sportif, hétéro…) auquel tout spectateur ne pouvait que s’identifier.

Le film de Guillermo del Toro nous présente une Amérique des années 50 autrement plus ambiguë, et s’attache à ses laissés pour compte : en l’occurrence une jeune femme handicapée (muette), sa collègue noire et son voisin gay : catégorie d’humains considérés comme inférieurs, à peine tolérés par ce monde pourtant fier de sa civilisation libre et avancée, à la seule condition de rester à leur place : celle de sous-êtres affectés aux basses besognes et relégués dans l’ombre.

Face à eux, l’homme a priori parfait puisque répondant aux critères des dominants : bien blanc, bien viril, bien costaud, bon croyant… se révèle bien intolérant, bien raciste, bien sexiste et homophobe, armé et bien violent. La présence de la créature venue des profondeurs océanes et la cruauté avec laquelle il la traite agit comme un révélateur de l’hypocrisie de cette société, qui sert des messages bibliques d’amour universel sur grand écran dans une palanquée de péplums, mais se révèle incapable de les appliquer à l’ensemble de la population dans sa diversité.

Del Toro se paie même le luxe de faire référence à l’un des épisodes bibliques les plus emblématiques : celui de Samson et Dalila (tiré du Livre des Juges de l’Ancien Testament, adapté au cinéma par Cecil B. de Mille avec le costaud Victor Mature et la superbe Hedy Lamarr en flamboyant péplum). Dans cette histoire ô combien édifiante, le fier à bras de service (gros biceps et cervelle ramollie Samson), instrument idéal de son Dieu vengeur et intolérant, repoussait les avances de la païenne Dalila forcément perfide, et finissait par faire s’écrouler sur le peuple mécréant des Philistins leur temple et la statue de leur dieu Dagon.

Quel lien avec la présente histoire ? Ce n’est pas pour rien que la collègue noire de l’héroïne se prénomme justement Dalila (ce qui lui est d’ailleurs reproché) et il n’est plus besoin d’être spécialiste en mythologie pour connaître les origines marines de Dagon depuis que Howard Phillip Lovecraft, le plus culte des romanciers fantastiques américains (et l’un des préférés de Del Toro), lui a consacré une de ses nouvelles les plus réputées. Ce n’est pas non plus pour rien que notre créature sous-marine enfuie de sa geôle grâce à l’aide des laissés pour compte touchés par sa détresse, et errant dans un cinéma déserté, y croise par écran interposé le regard complice des prêtres païens d’un autre péplum édifiant (L’histoire de Ruth)

Devant la manifestation finale des pouvoirs de cet étranger venu du fond des mers, véritable force de la nature, le violent de service éberlué se demande soudain s’il ne se trouve pas effectivement en présence d’un dieu… Au-delà de l’histoire d’amour et d’aventure un peu convenue du film se dessine ainsi la confrontation millénaire de deux conceptions antagonistes de la société à travers deux approches différentes de la spiritualité : soit une vérité imposée, indiscutable et intolérante qui fait des uns des élus et des autres un mal devant être combattu ou dominé, soit une expression de la Nature devant être respectée dans sa diversité… A l’aube de ce XXIème siècle où on tue et discrimine encore au nom de la première conception, où la peur et la détestation de l’autre sont omniprésentes et où notre nature est si mal partie, cette question s’avère on ne peut plus actuelle et cruciale… Son traitement si original dans ce film est peut-être sa plus grande qualité.


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De vincentp, le 21 avril 2019 à 22:46
Note du film : 2/6

De beaux décors, mais cette histoire est cousue de fil blanc et très ennuyeuse. Les personnages sont caricaturaux, sans finesse. Déception, en ce qui me concerne.


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De Impétueux, le 8 août 2021 à 19:32
Note du film : 3/6

Sans doute un peu trop long (près de deux heures) et animé de la bonne conscience affirmée du Camp du Bien, le film de Guillermo del Toro se laisse suivre sans déplaisir, du moins tant qu'on garde le sourire narquois à la bouche et qu'on ne tombe pas dans tous les pièges de gluant caramel mou qui enlacent les films où les pauvres, malheureux, laissés pour compte de la vie l'emportent, à force de courage et de pureté sur les méchants qui leur font pièce. Vignettes du Camp du Bien, donc. L'héroïne, Élisa Esposito (Sally Hawkins) est muette (donc handicapée – un point) ; sa meilleure amie, Zelda (Octavia Spêncer) est noire (un point) ; son voisin et ami Giles (Richard Jenkins) est à la fois artiste peintre et homosexuel (un point et demi). On s'est bien positionné sur l'échelle rigide de la bien-pensance.

Voilà donc ce qui se passe : Élisa, femme de ménage dans une agence gouvernementale assez discrète, découvre que dans les locaux qu'elle nettoie, vit secrètement une créature amphibie (Doug Jones), capturée dans les eaux saumâtres d'Amérique du sud et potentiellement, arme fatale dans la guerre que se livrent en 1962 (époque où se passe le film) les États-Unis et l'Union soviétique. C'est l'acmé de la crise des missiles de Cuba où tous les gogos (dont j'étais) ont cru que le monde pouvait exploser.

La forme de l'eau mixe avec une réelle habileté l'angoisse que ressentaient vraiment beaucoup d'Occidentaux (et sans doute aussi d'Orientaux) devant la tension ferme et les mentons levés des deux puissances et une toute bête histoire imitée de La belle et la bête. La jeune femme qui va se trouver fascinée par la créature monstrueuse, aqueuse, visqueuse est elle-même confinée dans une toute petite pauvre vie et sa seule distraction est le plaisir solitaire que, rituellement, elle s'offre chaque matin dans sa baignoire. La découverte de l'étrange force virile détenue par la créature va lui changer la vie et la faire aller vers des horizons sensuels plus tangibles.

Cela étant, il y a une sorte de grand défi jeté par l'amoureuse muette à toute la machinerie d'État, qui veut absolument récupérer les secrets extraordinaires que détient structurellement la Créature. Mic-mac à tire-larigot autour de l'appropriation – puis, si l'on n'y peut rien la disparition – de l'étrange chose.

Tout cela ne va pas sans un appel outrancier à la caricature : le colonel Richard Strickland (Michael Shannon) est la parfaite caricature du militaire borné, raciste, homophobe, méprisant, c'est-à-dire l'exact contraire des merveilleux héros positifs présentés plus avant. Il est tellement détestable que personne ne peut regretter qu'il se ridiculise et se fasse, in fine abattre par la Créature. C'est bien fait, n'est-ce-pas et des gens comme ça ne devraient pas exister.

La fin du film est d'une bienveillance humaniste absolue. La créature et son amie Élisa, représentés désormais comme un exemple même des métissages les plus invraisemblables qui nous sont proposés, s'enfoncent dans le bleu de la mer, promis aux grands bonheurs et aux grandes aventures des amours partagées.

On en aurait presque la larme à l'œil. Il faut d'ailleurs admettre sans déplaisir que le rythme du film est excellent et que, malgré sa durée excessive, il se laisse regarder. Disons que c'est tout de même au profit d'une idéologie humaniste douteuse.


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