Henri Pouctal est d'abord acteur au Théâtre Libre dirigé par André Antoine. Ensuite, engagé par Paul Gavault, il débute sa carrière cinématographique au sein de la prestigieuse société du Film d'Art pour laquelle il tourne Vitellius (avec Polin) en 1910. L'année suivante, Louis Nalpas, devenu directeur, le nomme metteur en scène principal. Il réalise alors, jusqu'en 1914, de nombreux films, portant à l'écran des œuvres littéraires, notamment la Dame aux camélias (1912) avec Sarah Bernhardt, ou des sujets historiques. Pendant la Grande Guerre, il participe à l'abondante production patriotique avec l'Infirmière (1914), Dette de haine (1915), la Fille du Boche (1915), La France d'abord (1915), Alsace (1916) et Chantecoq (1916). Mais, durant cette période, c'est surtout sa transposition du roman de Dumas le Comte de Monte-Christo (1917), en huit épisodes, qui mérite le détour et consacre sa réputation. Sa rencontre avec Antoine, le maître à penser du naturalisme sur scène puis au cinéma, explique sans doute son goût du réel, qu'il s'attache à reproduire avec un surprenant souci du détail, notamment dans l'excellente adaptation de Travail, d'après Émile Zola. Le premier des sept chapitres de cette fresque à l'esthétique réaliste sort en salle le 16 janvier 1920 à Paris.
Ce film ambitieux (les capitaux engagés sont importants pour l'époque) est très intéressant parce qu'il révèle l'existence d'un cinéma français populaire de qualité. Tandis que Charles Pathé incite fortement les metteurs en scène à copier le modèle venu d'Outre-Atlantique qui bientôt sera mondial, Pouctal (aux côtés d'Antoine et de Capellani) apporte la preuve que l'on peut avoir recours à certains procédés stylistiques américains tout en gardant une identité culturelle spécifique. Un cinéma qui s'enracine dans une tradition représentative d'inspiration littéraire, aux prétentions humanistes et à l'approche documentaire héritée des films Lumière. Conçu et réalisé au lendemain de la guerre, qui a fait des ravages considérables et laissé de terribles cicatrices, Travail est une étonnante vision contrastée mais progressiste du milieu ouvrier français. Et cela sans tomber dans la caricature et la facticité qui guettent habituellement ce genre de tentative. La mise en scène de Pouctal n'est jamais une plate reproduction du roman de Zola puisqu'elle renvoie constamment à l'actualité. Sa démarche est en effet ancrée dans la réalité sociale contemporaine. Ce qu'affirme d'ailleurs une publicité du Film d'Art parue dans la Cinématographie Française : « Ce sont les misères d'hier, les luttes d'aujourd'hui, mais aussi les promesses du Progrès et les lumineuses réalités de Demain… Au moment où, dans la Paix renaissante, les grands problèmes sociaux se posent devant l'humanité, au moment où le monde entier, dans un élan irrésistible et généreux, ne poursuit plus qu'un but : reconstruire, ce film tout vibrant d'un enthousiaste appel à la solidarité, à la concorde, vient à son heure et trouvera un écho dans tous les cœurs » (n° 47 du 27 septembre 1919). L'inscription dans le récit de Zola de ce contexte d'après-guerre (qui, en dépit des désordres socio-économiques graves liés au conflit, annonce l'espoir d'une société meilleure et l'utopie pacifiste des années suivantes) donne au film sa véritable signification et sa cohérence propre. Faisant jaillir de cette accumulation réaliste, âpre et tragique, une représentation qui éclaire l'état de la société, à la fois pessimiste et porteuse d'espérance. De surcroît, Pouctal use de divers effets pour accentuer l'intensité dramatique de sa peinture sociale, notamment en mélangeant des éléments modernes avec ceux de l'époque du livre, en tournant tous les extérieurs en décors naturels, et surtout en se démarquant des conventions théâtrales. À l'instar d'André Antoine, il va jusqu'à mettre en situation ses acteurs sur place, en l'occurrence dans de vraies usines métallurgiques au Creusot et à Decazeville (on découvre ainsi par moment, en arrière-plan, d'authentiques ouvriers qui regardent vers la caméra en passant), y compris à proximité de hauts-fourneaux en activité. Les scènes de foule sont particulièrement maîtrisées : voir à ce propos le très beau rendu du mouvement des passants dans les rues du quartier populaire de Beauclair, et le grouillement des consommateurs dans l'atmosphère enfumée du cabaret Caffiaux.
Le film est d'ailleurs très remarqué par les critiques pour toutes ses qualités esthétiques, notamment par Louis Delluc qui en fait l'éloge. Il est vrai qu'il est difficile de ne pas être frappé par sa richesse formelle (la précision des cadrages, le recours au flash-back, au montage parallèle et alterné), en partie inspirée du cinéma de Griffith et de ses collègues. Autre trait caractéristique de l'influence américaine, Pouctal filme à diverses reprises les visages de ses comédiens en gros plan, surtout celui du personnage principal, Luc Froment, interprété par Léon Mathot, dont le jeu, d'une très grande sobriété, sans aucune fausse note, est absolument remarquable. Le peintre Jean Galtier-Boissière, fondateur pendant la guerre du journal satirique Le Crapouillot, habituel pourfendeur de la médiocrité de la production cinématographique française, est enthousiasmé par Travail qu'il considère comme une révélation et une référence. Les deux aspects qui le marquent le plus concernent justement l'approche picturale et la subtile direction d'acteurs : « La très grande difficulté de la mise en scène de Travail consistait à faire alterner deux genres jusqu'ici séparés sur l'écran : le film documentaire et le film à scénario, ou dramatique. … M. Pouctal a vaincu la difficulté. Il a réussi à fondre si intimement les deux genres que l'illusion de vie réelle est parfaite. C'est à la probité de ses interprètes, sinon à la discipline par lui imposée, qu'il doit cet admirable résultat. Pour la première fois peut-être sur l'écran français aucun personnage ne semble jouer un rôle ; les ouvriers n'ont point l'air de cabotins déguisés, mais de véritables travailleurs ; ils n'ont point de maquillage et de poudre sur les joues, mais de la suie et de la sueur ; et lorsque nous apercevons les protagonistes mêlés aux ouvriers à la sortie de l'usine, aucun ne fait tache, nous ne les identifions dans cette foule que parce qu'ils nous ont été précédemment présentés. Travail, c'est l'épopée de l'usine, et le calvaire du travailleur manuel. … Toutes les scènes réalistes de Zola sont transposées par M. Pouctal avec un tact parfait, sans outrance démodée. … Nous voyons les hauts fourneaux, les coulées d'acier incandescent, le marteau pilon aveugle, toute cette gigantesque mécanique, autour de laquelle grouillent, parfois illuminés par l'éclair d'une flamme pourpre, les pygmées humains, forçats de l'usine. Voilà un spectacle inoubliable, grandiose, d'une intense poésie et que nulle photographie, nul tableau, nulle page de littérature, nulle mise en scène théâtrale ne pourra réaliser avec plus de force et plus d'émotion que l'Art de l'image en mouvement. Ce n'est pas dans le passé, c'est dans les manifestations les plus modernes de la vie humaine que le cinéma, art de demain, doit désormais chercher la source de ses inspirations » (1er février 1920). On comprend tout l'intérêt que présente ce film pour les historiens (dont ils ne donnent généralement qu'un aperçu restreint) si l'on songe, au regard de l'évolution artistique du cinéma français, à la place singulière qu'il occupe dans la généalogie du courant réaliste. On mesure alors à quel point Henri Pouctal, dont l'apport a été curieusement minimisé avec le temps, est un cinéaste à redécouvrir de toute urgence.
En revanche, ses films suivants sont de moindre importance. Gigolette (1921) est un drame réalisé à partir d'un texte de Pierre Decourcelle. Puis, après avoir fondé sa propre société de production, « Les Films Pouctal », il se lance dans l'adaptation d'un roman de Georges de la Fouchardière dont il tire un drame comique avec le comédien Tramel : le Le crime du Bouif (1922). Le Bouif, pittoresque vendeur de tuyaux sur les champs de courses faussement accusé d'un meurtre, est un roublard dont les pitreries rappellent celles du personnage comique de Chantecoq mis en scène six ans auparavant. Le succès de ce film aux saynètes burlesques un peu désuètes incite Pouctal à poursuivre la série avec la Résurrection du Bouif. Mais il meurt subitement peu de temps après le début du projet.
Référence électronique « P », 1895, n°33, Dictionnaire du cinéma français des années vingt, 2001, En ligne, mis en ligne le 26 juin 2006. URL : http://1895.revues.org/document99.html. Consulté le 29 octobre 2008. La Filmographie suivante est complète (source imdb) |
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