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Plaisante revanche du chambara "old school"

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De Arca1943, le 7 février 2009 à 16:06
Note du film : 4/6

Je me demande si ce film n'aurait pas eu une meilleure carrière s'il ne s'était pas intitulé Kozure Okami:. Car s'il raconte bel et bien la même histoire que la série des années 70, il le fait en la ramenant à ses axes essentiels et dans un style radicalement différent de l'original. Pour figurer les choses en bref, tandis que la célèbre série est ostensiblement tirée d'une bande dessinée, on jurerait que cette version de 1993 est l'adaptation d'un roman. Dans un tel univers, pas de place, par exemple, pour un landau truqué aux gadgets mortels; d'ailleurs il n'y a pas de landau du tout. Tout ce qui pourrait appartenir de près ou de loin à un univers de bande dessinée a disparu, y compris la tonsure bizarre du petit garçon, désormais coiffé comme n'importe quel fils de samouraï. En outre, bien que nombreuses et terribles, les morts ne donnent lieu à aucun geyser de sang, ou presque, ce qui est très différent du traitement "gore" de la classique saga. Les seuls gadgets, si on peut les appeler ainsi, sont ceux de l'époque : voici une horloge japonaise au mécanisme intriguant; un métier à tisser; une pipe pour attiser les flammes.

Mais le changement le plus spectaculaire concerne les personnages. Ogami Itto a beau être vassal direct du Shogun, avec la haute fonction honorifique "d'accompagner" dans l'autre monde les condamnés au seppuku, et il a beau être aussi le plus redoutable bretteur du Japon, il n'en est pas moins un personnage plein d'humanité, qui massacre à regret. L'interprétation sensible de Masakazu Tamura est tout simplement sans rapport avec celle de Tomisaburo Wakayama. On n'est pas dans le même univers du tout.

Le "méchant", lui aussi, prend un relief inédit : chef de la « branche secrète » du clan Yagyu, Retsudo est condamné à vivre dans l'ombre tandis que son frère aîné Yagyu Bizen, visage officiel du clan, ramasse tous les honneurs. Retsudo et sa famille n'appartiennent pas à la classe des samouraïs; ils ne sont que des assassins au service d'un clan assoiffé de pouvoir; et dans cette tâche qui leur a été assignée de tuer Ogami Itto, tous les enfants de Yagyu Retsudo vont succomber les uns après les autres, même sa fille, qui meurt dans ses bras. Si bien que l'affrontement final aura lieu entre des combattants certes redoutables, mais tous deux frappés par un destin tragique.

Autrement dit, ce film apparaît comme la revanche du film de sabre classique sur ses avatars bédéesques des années 70. L'imagerie est précise et sobre, les couleurs vives sont volontairement atténuées. Même si les morceaux de bravoure ne manquent pas (dont une surprenante attaque de convoi à l'explosif), le rythme syncopé de la série originale est remplacé par celui, typiquement plus lent et composé – mais implacable – du chambara « old school ». La facture d'ensemble est plus soucieuse de vraisemblance, le regard plus « historique », la mise en scène aime les plans fixes, s'attarde à l'occasion à la nature ou aux jeux des enfants. (Beaucoup de scènes d'extérieur). Le premier un-contre-tous du film est fulgurant mais accompagné d'une musique lente, d'une profonde mélancolie.

Tout n'est pas parfait, une ou deux ellipses m'ont semblé excessives tandis qu'ailleurs le caractère épisodique du matériau de départ remonte à la surface : ainsi près de la fin, la scène de l'accouchement d'une prostituée vieillissante (Shima Iwashita !) n'est sans doute pas essentielle, sauf peut-être pour nous montrer le héros assistant la vie après avoir tant donné la mort. Mais dans l'ensemble, j'ai trouvé ça brillant, en tout cas bien meilleur que ce à quoi je m'attendais. Si ce film a mauvaise réputation (quand il en a une) c'est évidemment parce que les fans de la série Kozure Okami ont hurlé au sacrilège. C'était à prévoir, et c'est pourquoi il fallait absolument lui donner un autre titre ! D'un côté les amateurs de la série sont déçus par cette version éminemment révisionniste, qui en plus est conçue de telle façon qu'elle ne peut donner lieu à aucune suite; de l'autre, le public amateur de beaux films de sabre « classiques » – public à qui ce film s'adresse de toute évidence – risque de le bouder en croyant avoir affaire à une simple resucée des épisodes précédents. Résultat : vous avez la série Baby Cart sur DVD en France, mais cette version-ci ne circule pas, c'est un wagon qui n'est pas rattaché au train.

Et c'est bien dommage, car sans être un chef-d'œuvre, c'est un beau chambara, épuré et prenant, aux duels particulièrement réussis, surtout le dernier qui a lieu au bord de la mer devant le petit Daigoro, témoin de la scène. Dans son grand kimono de chef des tueurs de l'ombre, dont il est le dernier survivant, Yagyu Retsudo, le visage en larmes recouvert d'un masque d'osier, s'annonce à son ennemi en jouant de la flûte mortuaire, et en imagination revoit défiler tous ses morts. Puis il jette son masque à la mer et s'avance, lance au poing. À 60 ans, le légendaire Tatsuya Nakadai est toujours un bretteur aussi terrifiant que magnifique, le seul capable de se mesurer au héros avec quelque chance de succès. Ce splendide finale lance-contre-sabre m'a soufflé, et il confère au récit un sens « poétique » des mieux venus.

Moi qui n'ai guère accroché à la série Kozure Okami d'origine, j'ai en revanche beaucoup aimé cette version « révisionniste » qui en quelque sorte fait du vieux avec du nouveau. J'en profite donc pour voter pour une édition zone 2, afin que je ne sois pas le seul à en profiter…


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