Car l'évidence que Varda et moi ne nous situons pas du même côté de la barricade idéologique est en soi dénuée de toute importance ; il faudrait être bien sot pour confondre ses choix politiques ou philosophiques et l'admiration ou la déception (ou le rejet) que l'on éprouve pour une réalisation cinématographique ; pas davantage que l'admiration qu'on ressent pour un artiste et le mépris que l'on peut avoir pour sa vie intime (n'est-ce pas Roman Polanski, mais aussi… je ne sais pas, moi… Michel Simon).
Seulement il ne faut pas tenir un discours bêtement militant, exalté, si porteur d'affectivité qu'il rend la cause présentée presque ridicule. Or Agnès Varda filmant le parti doctrinaire, obtus, exalté des Black Panthers est si manifestement animée par une sorte d'exaltation, d'enthousiasme femelle que les vraies et graves questions posées disparaissent sous l'ampleur de l'adhésion à la cause.Quelle cause ? Évidemment l'accession des Noirs étasuniens à la dignité, à la reconnaissance. Le film date de 1968 ; c'et peu dire que les États-Unis de l'époque ne sont pas heureusement accueillants et sympathiques à qui n'a pas la bonne couleur de peau. Et comme beaucoup ne trouvent pas que les déclarations paisibles de Martin Luther King (assassiné en avril 1968, au demeurant) ont fait beaucoup avancer la cause noire, ils ont créé à la fin de 1966 un mouvement d'inspiration marxiste-léniniste rejetant avec violence la primauté blanche.
Et comme dans ces années-là on est volontiers excessif, on est allé vers ce qui apparaît comme une révolution sans compromis : le maoïsme. Cette révolution-là est tellement sans compromis d'ailleurs, qu'elle méprise la réalité humaine ; Gardes rouges, Khmers rouges, Panthères noires, tout cela est du même tabac et si les derniers nommés ont zigouillé nettement moins de monde que les premiers c'est qu'ils vivaient dans un pays injuste, immoral, mais sérieux où leurs billevesées ont été rapidement coupées à la racine à la fois par des haines et luttes internes et par les habiles magouilles de la CIA.Agnès Varda, avec toute la foi révolutionnaire que pouvaient ressentir de jeunes Occidentaux idéalistes prend au sérieux les déclarations enflammées, séparatistes et radicales des leaders de la contestation révolutionnaire et filme avec une forme d'adulation naïve les déclarations exaltées tonitruantes des leaders noirs et de leurs compagnes.
Celles-ci, d'ailleurs, considèrent que conserver et arborer des chevelures crépues considérables sont un des moyens de lutter contre le suprématisme blanc… Pourquoi pas ? Cela étant lorsqu'on considère en 2020, c'est-à-dire 52 ans après le film, l'état des magasins qui se pressent boulevard de Strasbourg à Paris, haut-lieu de rencontre de toutes les communautés africaines, on est fondé à se poser la question : le long de plusieurs kilomètres de macadam, on ne voit guère que salons de coiffure qui proposent de lisser les chevelures et boutiques qui vendent (en arrière-boutique, car c'est dangereux) des produits qui se proposent d'éclaircir les peaux noires.Qu'est-ce que je veux dire par là ? Rien du tout. Ou pas grand chose. Que le monde ne change pas si facilement que ça et que ceux qui, comme Varda, croyaient possible la Révolution (avec un R superbement majuscule et des trémolos dans la voix) doivent bien se demander pourquoi la réalité les retrouve toujours au coin de la rue.
À propos… Le film est un court métrage un peu bricolé mais pour qui s'intéresse à la période il n'est pas désagréable à regarder.
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