Perdu sur internet, occupé à passer le temps désespérément long ces tristes week-end d’hiver, je suis tombé sur une biographie du chanteur de rock Victor Tsoï. Cet article m’a sorti de ma torpeur et je me suis mis à écouter les chansons du groupe Kino, incroyables de mélodies rythmées par la voie pourtant caverneuse de son chanteur. Il faut aussi reconnaître qu’on ne comprend rien aux paroles mais ce n’est pas grave.
La personnalité emblématique de Victor Tsoï, un jeune soviétique aux origines coréennes, est devenue un mythe en Russie. Il a traversé son époque, telle une étoile filante, illuminant de son talent artistique une période douloureuse mais porteuse d’espoirs pour son pays. Sa destinée tragique (il est mort dans un accident de la route en 1990 au sommet de sa popularité) est également, et tristement, celle qui fait la gloire de nombreux chanteurs de rock.
Kino est ainsi un groupe de rock soviétique – un oxymore – qui a émergé durant une décennie dans la clandestinité, bridé par les lois artistiques du régime communiste (le rock n’était pas la musique officielle du parti unique), avant de gagner progressivement en popularité en accompagnant – peut-être même en guidant – la jeunesse russe vers l’émancipation et la fin de l’Histoire comme l’écrivait (faussement?) Fukuyama. La chanson « Changement » reste aujourd’hui l’hymne de la perestroïka.
Il faut aussi dire que sur un strict plan musical Kino est un vrai bon groupe et l’injustice fut que le régime de l’époque ne lui permit pas de s’exporter au monde occidental. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter, ce morceau par exemple l’un de leur plus connu : Groupe Sanguin
ou encore cette chanson très belle, en live
Pourquoi dis-je ça ? Parce que le film Leto raconte, le temps de l’été 80, l’émergence de la scène underground de Leningrad, largement influencée par la new-wave anglaise (le film rappelle pour certains aspects Control, biopic de Ian Curtis chanteur de Joy Division). Et l’on y découvre la rencontre du très jeune Victor avec le chanteur Mike Naumenko, leader du groupe Zoopark. Ce dernier tel un pygmalion, décide de prendre Victor sous son aile, l’aide à composer sa musique et monter son nouveau groupe qui deviendra Kino. Le film s’attarde sur cette relation non pas à deux mais à trois car Natalia, la femme de Mike s’immisce dans leur vie sentimentale.
Filmé dans un magnifique noir et blanc, Leto est une ode à la liberté qui retranscrit parfaitement les aspirations de la jeunesse russe durant les années 80 en URSS. La musique profondément subversive s’oppose à la froideur et la rigidité du régime vieillissant et liberticide. Les groupes jouent dans des salles confidentielles, devant un public assis, surveillé par la police qui veille à contenir tout excès d’expression. Pourtant, l’on arrive à distinguer subrepticement des hochements de têtes, des pieds qui jouent la cadence, des visages qui se libèrent. Et lorsque le concert est terminé, les jeunes artistes et leurs amis, continuent de jouer cette fois ci-librement en pleine nature, sur les bords d’un lac, et délaissant les codes moraux, finissent leur soirée dans un joyeux bain de minuit dans le plus simple appareil.
Au cours du film et à certains instants, les personnages se dévergondent, se transforment en énergumènes et pénètrent alors dans une sorte de clip musical qui renverse toutes les perspectives spatio-temporelles. Ce procédé technique astucieux qui produit un effet étonnant introduit un vent de liberté balayant la morosité et la froideur d’un régime agonisant.
Une très bonne bande sonore accompagne le film et l’on peut y écouter quelques bons classiques de musique des années 80 (Blondie, David Bowie, Iggy Pop…) qui alternent avec les pépites, plus confidentielles, des deux groupes montants de la scène russe.
Et puisqu’on est ici sur un forum de cinéma, signalons que Victor Tsoï a également embrassé une carrière de comédien et fut nommé, pour son rôle dans le film l’Anguille, meilleur acteur de l’Union Soviétique en 1989.
Leto est très beau film réalisé par Kirill Serebrennikov, dont l'intelligence est justement de ne pas en faire un biopic. Il livre là une copie parfaite qui s’achève, comme ma critique, par l’excellent morceau très pop du groupe Kino, « Summer will be over soon ». Ecoutez donc :
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