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Stakhanov


De Impétueux, le 4 juin 2022 à 12:42
Note du film : 5/6

On n'est jamais indifférent devant un film de Mikhaïl Kalatozov. Il est vrai qu'il n'en a tourné qu'une douzaine et que bien peu ont été distribués en Occident. Jusqu'à présent je ne connaissais du cinéaste que son plus grand succès public, Quand passent les cigognes, qui fut Palme d'or à Cannes en 1958 et Soy Cuba de 1964. Deux œuvres admirables, au demeurant ; deux œuvres de propagande soviétique, aussi. Et alors ? L'arrière-plan des films, de tous les films n'a pas à pénaliser leur qualité artistique. Et j'ai dit exactement la même chose pour Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl consacré à la célébration (le mot est juste) du Congrès national-socialiste de Nuremberg en 1934.

La lettre inachevée est, en qualité, plutôt inférieure aux deux films qui l'encadrent, souffrant de la minceur de son sujet, mais comporte les mêmes propriétés immenses de mise en images. Film dédié, en exergue, à tous les Soviétiques qui suivent le chemin difficile des pionniers, il relate la difficile mission d'un groupe de quatre géologues chargés d'explorer un territoire lointain pour y découvrir des gisements diamantifères. Les diamants seront nécessaires au développement industriel et économique de l'Union soviétique, c'est explicitement indiqué. Et le territoire lointain, c'est la Iakoutie, au nord-est de la Sibérie, le territoire continental le plus froid du monde.

L'équipe est dirigée par Konstantin Sabinine (Innokentiy Smoktunovskiy) ; la lettre inachevée du titre du film est celle qu'au fil des semaines il rédige pour sa femme Véra (Galina Kozhakina), qu'il aime tendrement. Il est accompagné par un guide aguerri, Sergueï (Evgueni Ourbanski), familier de la région et par un jeune couple de géologues amoureux, Tania (Tatiana Samoïlova) et Andreï (Vasili Livanov).

C'est dans l'été sibérien que le groupe arrive sur le site susceptible d'abriter la pierre précieuse, comme l'ont présumé les études scientifiques. D'emblée le réalisateur emplit l'écran des espaces immenses de la taïga, la dense forêt de conifères, mélèzes et sapins enchevêtrés, le ruissellement des eaux, les marécages, les brumes, les pluies battantes… La vie s'organise, les recherches sont longtemps infructueuses. Tania et Andreï paraissent ne pas s'apercevoir que Sergueï désire la jeune femme.

Et c'est à l'exact moment où, dans la fièvre étouffante d'une tranchée de fouille, Sergueï va avancer la main que Tania, émerveillée, découvre le premier diamant. Grand moment de ferveur patriotique échangée par radio avec la direction des opérations, à Moscou. Mais l'expédition s'est attardée plus qu'il n'était prévu et qu'il le fallait dans une région où la belle saison est brève et les humeurs du temps sont rudes. Brusquement un incendie gigantesque, allumé sans doute par la foudre, assaille les géologues et les oblige à fuir en toute hâte à travers les arbres en feu. La radio leur apprend que le front incandescent atteint 1000 kilomètres ; il faut absolument gagner le fleuve. Dans des conditions épouvantables et magnifiquement mises en images, il y a de la panique qui gagne. Sergueï est frappé à mort par un arbre qui s'effondre, Andreï est blessé à la jambe et commence à se traîner.

Le film, d'abord un peu lent et didactique, presque ennuyeux malgré la qualité du filmage a pris un tour tout à fait haletant. Les trois survivants errent un peu à la dérive, d'autant que, s'ils peuvent encore recevoir des messages radio et savent donc que les autorités ont envoyé avions et hélicoptères à leur recherche, leur appareil ne peut plus émettre. Andreï est devenu un boulet, porté sur une civière de fortune, tiré dans les marécages. Un matin Konstantin et Tania ne le retrouvent plus : il a laissé un simple message d'adieu. La longue marche reprend et après l'automne maussade arrive un hiver brutal : la neige recouvre désormais les immensités iakoutes.

Contre-plongées magnifiques, harassement des deux personnages, blizzard glaçant. Tania meurt de froid, Konstantin arrive enfin au fleuve, confectionne tant bien que mal une sorte de radeau ; il se laisse porter par le flux qui n'est pas encore tout à fait gelé mais transporte déjà de grandes masses de glace qui ondoient comme des peaux ; le radeau s'échoue ; un hélicoptère se pose et le recueille : il est vivant. La mission est accomplie : la carte qui localise précisément le gisement de diamants sera remise aux autorités.

C'est tout ? Oui, c'est tout et c'est très fort, très beau, ça fait appel à des sentiments qu'on apprécie de voir à l'écran : l'amour gai de Tania et d'Andreï, la foi dans la mission, l'héroïsme, le dévouement. Ce n'est plus trop à la mode, un film aussi noble.


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De vincentp, le 25 août 2017 à 23:02
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Après Quand passent les cigognes (1957), avant Soy Cuba (1964), le réalisateur Mikhail Kalatozov et son chef opérateur Sergei Urusevsky tournent La lettre inachevée (1959), adaptée d'une nouvelle de Valeri Ossipov. Trois géologues et leur guide sont confrontés à la Taïga, à ses ressources et ses dangers. Récit halluciné, mise en scène fiévreuse, plans-séquence virevoltant au milieu de la nature dans d'imposants décors naturels, images et éclairages sophistiqués -et souvent impressionnants-, constituent les moteurs de forme de cette histoire. Le fond est un hymne à la gloire de la mère-patrie soviétique, présentée comme l'émanation et l'incarnation des éléments naturels (terre, eau, feu, air) par la civilisation humaine. Kalatozov filme la forêt, le fleuve, comme des êtres puissants que les hommes du système soviétique peuvent et doivent dominer s'ils font preuve de force morale et physique, et acceptent le principe d'auto-sacrifice en cas de faiblesse.

Des propos philosophiques sur l'être et la nature, via des dialogues bien écrits et prononcés, placent la thématique à portée du spectateur. La beauté de Tatiana Samoilova participe à l'esthétique du film et à son équilibre général -ses trois comparses sont de sexe masculin-. Kalatozov s'appuie également sur la musique -magnifique- de Nikolai Krioukov, pour produire un film très sensoriel et exalté, dans la lignée de ce qu'a pu réaliser son aîné Eisenstein jusqu'à sa mort en 1948. Andrei Tarkovsky avec L'enfance d''Ivan (1962) s'inscrit dans la continuité du parcours de Kalatozov, lequel avec ses trois longs-métrage opère un relais entre les deux maîtres du cinéma russe. Certains pourront éventuellement chipoter au sujet de la trame dramatique de Neotpravlennoye pismo. L'impression générale du cinéphile sera sans doute favorable car cette oeuvre est extrêmement originale, et globalement brillante. Recommandée à ceux qui apprécient le cinéma russe de répertoire.


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