Eh bien, soixante ans plus tard, je me dis qu'il faudrait bien que j'aille faire un tour de ce côté.
Mon changement d'humeur est-il dû au talent de Louis Malle qui sait insérer du théâtre dans le théâtre – puisque le film raconte la répétition d'une pièce jusqu'à se fondre avec elle -ou bien par la qualité du récit ? J'y ai trouvé tout ce que j'aime de l'âme russe, sa mélancolie, son outrance, son génie poétique, sa musicalité. Au-delà des histoires et des périodes si différentes, j'y ai ressenti les constantes d'un réalisateur que j'admire profondément, Nikita Mikhalkov, le parfum des bouleaux, le grésillement léger des samovars, le tintement joyeux des grelots de la troïka… Nous en sommes pourtant loin : dans un théâtre désaffecté, décrépit, rouillé de Manhattan, une troupe dirigée par Andre Gregory se prépare à interpréter Oncle Vania, une de ces pièces tristes où l'on sent le temps s'écouler sur le vertige des vies perdues à attendre on ne sait qui, on ne sait quoi, à se décevoir de soi-même et à se dégouter des autres. Une propriété modeste, qui ne rapporte pas grand-chose, où végètent Sonia (Brooke Smith), très jeune fille et propriétaire nominale du domaine qu'elle gère avec son oncle Vania (Wallace Shawn). Y demeurent aussi la vieille maman méprisante (Lynn Cohen), la vieille nourrice dévouée (Phoebe Brand) et un parasite aimable, La Gaufre (Jerry Mayer). Et passe assez souvent le séduisant docteur Astrov (Larry Pine), dont Sonia est secrètement amoureuse. Amoureuse sans espoir, au demeurant, car elle est laide (mais elle ne l'est pas tant que ça dans le film). C'est l'été et arrivent à la maison la gloire de la famille, le professeur Sebryakov (George Gaynes) père en premières noces de Sonia et mari de la ravissante et jeune Yelena (Julianne Moore). Les tensions montent par le simple mouvement routinier des jours.J'arrête le récit : on met à bouillir dans le samovar les regrets, les reproches, les frustrations, les lassitudes et à la fin on repêche ce qui reste : des regrets, des reproches, des frustrations et des lassitudes. Il n’y a même pas de tragédie, si ce n’est l’ennui profond des vies perdues. C'est ce que Sonia dit à son oncle, brisé, Tu n'as pas eu de joie dans la vie… Mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons….
C'est superbe. Et d'une tristesse infinie.
Je n'ai jamais été fan de Louis Malle, mais ce film-là est son chef-d'oeuvre. Une répétition théâtrale new yorkaise se transforme progressivement en la pièce elle-même, retrouvant l'essence même du texte de "Oncle Vanya". La frontière entre "docu" et représentation est de plus en plus floue, les interprètes se fondent dans leurs personnages, jusqu'à n'être plus qu'un. C'était la révélation de Julianne Moore, qui a rarement été mieux depuis et le film, invisible depuis des années, mérite largement une édition DVD.
Page générée en 0.0030 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter