Le personnage du monstrueux et séduisant Hannibal Lecter qu'incarne avec plus que du talent
Anthony Hopkins a tant et tant captivé les spectateurs qu'après la réussite totale du
Silence des agneaux,
les roublards producteurs ont exploré jusqu'au bout les fascinations ressenties. Somme toute, avant qu'il ensorcelle et séduise Clarice Starling (
Jodie Foster)
, notre ami Lecter a vécu et a sévi : tout au moins est-ce ce qu'on peut supposer et ce qui fera la structure providentielle et rémunératrice d’une sorte de
saga qu'il faudrait placer dans l'ordre chronologique précis :
Hannibal Lecter : Les Origines du mal,
nigaude justification de la malfaisance intrinsèque du cannibale (parce qu'il a eu bien des malheurs et a donc quelques raisons d'être tel qu'il est) ; puis
Dragon rouge,
puis
Le silence des agneaux et enfin
Hannibal… qui ne conclut pas vraiment le parcours. Avec l'horreur, il y a toujours une façon d'aller plus loin.
Lorsque l'on dispose d'un personnage aussi fascinant, qui est à la fois un psychiatre à l'intelligence aiguë et séduit tous ceux qui l'approchent et un psychopathe mu par une des pulsions animales les plus refoulées et monstrueuses de nos civilisations, il ne faut pas le quitter de l'œil, au propre et au figuré. Parce qu'évidemment aucun autre monstrueux criminel n'atteint sa cheville. La bonne preuve, c'est que tous les services de police qui traquent d'autres tueurs épouvantables sont bien obligés de faire, d'une façon ou d'une autre, appel à sa subtilité. Si habiles et avisés qu'ils peuvent être, ni Francis Dolarhyde (
Ralph Fiennes)
dans
Dragon rouge,
ni
Buffalo Bill (
Ted Levine)
dans
Le silence des agneaux ne font le poids. Pour n'avoir vu ni le premier, ni le quatrième volet de la série, j'ignore si le docteur Lecter y affronte des monstres à sa mesure.
Ce qu'il me semble, c'est que le personnage de Clarice Straling (
Jodie Foster)
dans
Le silence donnait à Lecter une particulière occasion de briller et de mettre en valeur. Dans
Dragon rouge,
on ne peut sûrement pas en dire autant de l'agent spécial Will Graham (
Edward Norton)
qui, jadis, a arrêté Lecter, depuis incarcéré dans la cellule glaciale du pénitencier de Baltimore, sous la garde du détestable Docteur Frederick Chilton (
Anthony Heald).
Cela pour dire que Dragon rouge, qui s'achève exactement au moment où Lecter accepte de recevoir Clarice – ce qui sera précisément le début du Silence des agneaux – peine à retenir l'attention, malgré quelques morceaux de bravoure horrifiques. Cependant la plupart des aspects angoissants est survolée et on regarde davantage le film comme un thriller de série, un de ces trucs étasuniens classiques où les Bons, après bien des vicissitudes, parviennent à venir à bout des Mauvais, que comme une exploration dans les remugles tortueux de l'âme humaine.
Prenons le malheureux Francis Dolarhyde (
Ralph Fiennes donc), malheureux orphelin doté d'un bec-de-lièvre qui, pense-t-il, le défigure aux yeux de tous. Élevé par une grand-mère rigoriste et castratrice, il viole désormais des mères de famille qu'il vient de tuer, sous les yeux crevés et emplis d'éclats de verre du mari et des enfants préalablement assassinés. Jolie psychose, n'est-ce pas ? Il se croit par ailleurs amené à se transformer en une figure monstrueuse des visions fantastiques de l'écrivain William Blake, le
Dragon rouge. Et il n'y a rien d'étonnant que la seule empathie qu'il puisse ressentir le soit pour Reba McClane (
Emily Watson)
, une de ses jeunes collègues de travail, aveugle et séduit par cet étrange garçon réservé et mutique.
Tout cela dont rien n'est à vrai dire absurde ni même médiocre pour un film de genre est envoyé au spectateur dans une sorte de méli-mélo sans cohérence, désordonné, mal conduit, aux péripéties finalement toujours prévisibles. Le docteur Lecter y fait le service minimum et Anthony Hopkins a dû se dépêcher de boucler les rares séquences où il apparaît pour laisser les autres acteurs se débrouiller à défendre une histoire qui, à force d'ellipses ennuyées, confine au dormir debout.