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Un style inimitable


De Impétueux, le 2 mars 2013 à 15:12
Note du film : 4/6

Je ne suis pas très à l'aise pour noter ce film, qui me paraît réunir à un assez haut degré à la fois tout ce qu'on peut détester et tout ce qu'on peut adorer chez Éric Rohmer, ce qu'on appellera verbiage ici, intelligence des mots là. Car il y a, dans La collectionneuse à la fois l'un et l'autre.

De prime abord, je me dis qu'ils sont un peu agaçants, un peu exaspérants, même, souvent, ces jeunes gens désœuvrés qui sont venus passer l'été dans une grande maison sévère et magnifique des environs de Saint-Tropez. À suffisamment d'encablures de la petite Babylone moderne pour n'y être pas englués, mais pour en participer s'ils le souhaitent.

Seulement, que souhaitent-ils ? Tous les trois, Daniel (Daniel Pommereulle), Adrien (Patrick Bauchau), Haydée (Haydée Politoff) sont là pour ne rien faire. Les deux garçons ont parfaitement conceptualisé cet engourdissement volontaire, qu'on pourrait, en poussant le bouchon un peu (trop) loin, assimiler à une forme d'ascèse, et si l'oxymore ne vous choque pas trop, à une sorte de macération voluptueuse. Haydée, elle, met dans l'obstination à ne rien vouloir, plus de simplicité.

De simplicité, ou même d'animalité. Il n'est pas indifférent que Rohmer, au tout début du film, présente ses trois protagonistes de façon très analogue pour les garçons, pris dans des conversations d'une grande esbroufe intellectuelle, des ratiocinations, des marivaudages un peu ridicules, mais qu'il s'attache avec une certaine complaisance à Haydée marchant sur la plage. Et en s'attardant longuement sur ce beau corps presque dévêtu, qu'on dirait créé pour être tel, le cinéaste donne une des clefs de La collectionneuse.

Mon malheur est que je ne parviens pas, même après avoir vu plusieurs fois le film, quelle(s) porte(s) cette clef ouvre, sauf à dire que c'est plus la clef qui compte que la serrure et que, ma foi, on y trouve ce qu'on y cherche. Pourquoi pas, en effet ?

En tout cas, Rohmer, qui filme avec beaucoup de sensibilité la belle eau claire de la Méditerranée, les galets, les algues mouvantes, ne pouvait pas mieux choisir pour incarner son personnage énigmatique que ce charmant petit monstre buté d'Haydée Politoff, dont la vie réelle ressembla assez à ce que l'on peut comprendre de son rôle. Tour à tour boudeuse, narquoise, fermée, énervante, délicieuse sous sa frange obstinée, elle a une chair de raisin et de miel qui s'allie parfaitement à cette histoire de plage un peu vaine.

Mais à regarder, naturellement, comme tous les Rohmer !


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De Antoine Constantin C,, le 15 février 2009 à 17:16

Il y a peu de films, à ma connaissance, qui vont aussi loin dans l'exploration du jeu de l'intersubjectivité amoureuse sans le rendre pesant ou torturant, mais au contraire gracieux, amusant, voire très drôle, poétique et même très philosophique.

Je crois que le thème délicatement abordé par ce conte moral de toute beauté est celui du ravissement.

En quel sens – me diriez-vous ? Je vous répondrais : au sens où le héros-narrateur recherche, de même que son ami, à travers sa quête de l'oisiveté, une indépendance spirituelle. Et chacun à sa manière y montre un certain talent, où leurs personnalités s'expriment dans un jeu concurrentiel de plus en plus subtil et amusant. Mais penser que leurs tentatives s'acheminent sûrement vers un succès glorieux, c'est sans compter sur la présence d'Haydée…

Haydée possède la grâce, la sensualité, la langueur, la malice d'une enfant-femme des plus terribles. Elle sait en jouer à un niveau de perfection à faire pâlir Lolita et sa minable sucette à la cerise. Nos pauvres disciples d'Épicure (qui pour le coup en sont de presque vrais) vont subir l'effet fatal de cette présence, et finalement se décider à agir malgré leurs réticences.

C'est en acceptant de se compromettre au jeu – même s'ils déguisent la plupart du temps une telle compromission du masque de l'indifférence – qu'ils apprendront peut-être le plus. Mais cela est encore plus difficile à accepter. Alors mieux vaut peut-être prétexter une prise de décision radicale et libre – et donc philosophiquement motivée – pour légitimer une fuite.

Mais peut-être que mon interprétation est faussée par mes désirs de voir se réaliser les amours si charmants du héros (auquel je me suis identifié sans mal) et de l'héroïne (qui ne m'a pas laissé non plus indifférent) dans un cadre qui symbolise tant de choses pour moi. Et alors : le héros aurait bien fait d'abandonner une amourette passionnelle pour retrouver un amour plus digne de sérieux.

L'on aime aussi un film parce qu'on y est libre d'y imposer (pour soi-même) sa propre interprétation.


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