Voilà qui prouve, s'il en était vraiment besoin, qu'on peut tourner un film intéressant, sobre et enlevé, sans budget considérable, sans acteurs de grand premier plan et pour autant donner un spectacle de qualité, même s'il est acide. Le réalisateur, Willy Rozier, de modeste notoriété a tourné entre 1934 et 1976 une trentaine de films, notamment Manina, la fille sans voile (1953), deuxième apparition à l'écran de Brigitte Bardot et la série des Callaghan, espion international, dont le premier À toi de jouer, Callaghan (1955) précédait trois autres réalisations que je me suis fait un devoir de commenter, malgré leur médiocrité.
Est-ce parce que Les anges noirs est adapté du roman de même titre d'un grand écrivain que le récit fonctionne aussi bien ? Le grand écrivain, c'est François Mauriac, dont je crains qu'il ne soit en train de vivre (si je puis dire) son purgatoire littéraire, alors que ses œuvres, brèves, classiques et brûlantes, sont parmi les plus importantes du siècle passé. Dans bon nombre on ressent le bruissement des grandes forêts de pins des Landes et l'étouffement des passions bien dissimulées. C'est du côté de Soustons (où se réfugiait souvent le Président François Mitterrand dans sa bergerie de Latché) que le film se passe. Assez habilement Rozier engage l'intrigue avec le désarroi du jeune abbé Forcas (Paul Bernard) devant la vacuité de son église, et son retour chez lui sous les sarcasmes étouffés, les regards en biais, les mépris évidents de ses paroissiens. C'est qu'on le soupçonne d'héberger dans son presbytère la séduisante Tota (Suzy Prim) qu'il a présentée comme sa sœur… et qui l'est vraiment, qui a quitté son mari parisien pour rejoindre son amant dans les Landes… Mais on en saura davantage plus tard, car le film bifurque, définitivement, d'ailleurs.On se retrouve désormais au sein de ce qui n'est ni un château, ni même un manoir, mais une très grande et belle villa qui règne sur d'immenses prairies et forêts. C'est là, presque en huis-clos familial que va se dérouler l'intrigue. Car la servante, Jacinthe (Pauline Carton) est de celles qui sont là depuis toujours et qui connaissent tous les dessous des cartes.
Le maître de la demeure, c'est Symphorien Desbat (Fernand Charpin) qui est le mari de Mathilde (Germaine Dermoz) et le père de la jeune Catherine (Dina Balder). Mais Symphorien, n'est pas tout à fait le maître des lieux ; car sous son toit vit son neveu, Andrès (André Fouché) qui a perdu tôt sa mère et dont le père, Gabriel Gradère (Henri Rollan) coule à Paris une vie de patachon, empruntant à son beau-frère Symphorien des sommes considérables à valoir sur l'héritage d'Andrès. De fait la grande villa est demeurée dans l'indivision partagée entre Mathilde et Andrès.Si on m'a suivi jusque là – on a eu un certain mérite – on complètera son savoir en apprenant que Mathilde nourrit pour son neveu Andrès une tendresse presque incestueuse et que les relations entre Symphorien et sa fille Catherine sont ambiguës, caractère charnel en moins.
Ce qui guide Symphorien, ce n'est pas l'argent : il en a très suffisamment et n'a pas besoin d'en dépenser beaucoup ; ce qui l'obsède, c'est la réunion des terres qu'il possède avec celles que possède encore son beau-frère, le viveur parisien ; ce goût paysan de la terre sur quoi on règne aux yeux du monde, cette passion fait tout à fait songer au magnifique dyptique de Georges Rouquier, Farrebique et Biquefarre (1946 et 1984). Landes ici, Aveyron là, c'est la même folie amoureuse…Ce qui pourra tout arranger, c'est le mariage, mijoté par Symphorien et approuvé par Mathilde, des deux jeunes gens, Catherine et Andrès : à la mort des vieux, le jeune couple pourra contempler des terres d'un seul tenant.
Le malheur, c'est que Catherine n'a pas du tout la tête à l'amour -elle préfère la chasse et les chevaux – mais qu'Andrès, lui est sous le charme de Tota, que nous retrouvons là ; parallèlement, pour forcer les choses, Symphorien fait venir de Paris Aline (Florelle) , maîtresse de Gradère, qui détient des lettres compromettantes de son amant, n'a pas deux sous de moralité mais beaucoup de besoins d'argent…Je cesse là mon propos, craignant de l'embrouiller encore et surtout désireux de donner à ceux qui lisent ce message l'envie de découvrir Les anges noirs. Pour complexe qu'elle est, l'intrigue n'est jamais embrouillée et les acteurs principaux jouent extrêmement juste.
Il y a encore quelques pépites de L'âge d'or du cinéma à découvrir. Tant mieux !
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