"Courte est la vie des fleurs, infinie est leur douleur".

Certains éléments de Nuages flottants (la rue populaire et ses pauvres hères, le rôle central de la femme en société) évoquent l'œuvre de Mizoguchi, d'autres (telles les relations évolutives entre époux) celle de Ozu. Mais le canevas de Nuages flottants montre toute la singularité de l'univers de Naruse, bâti autour de personnages ambigus, nouant entre eux des relations compliquées et âpres, se trompant ou se jouant mutuellement les uns des autres (le paysan abuse la jeune fille, laquelle a un amant, lequel -marié- à une seconde maitresse…). Aucun sentiment de plénitude ne s'échappe de ce film, toujours des situations "borderline" (les personnages évoluent aux portes du suicide).

Si le sujet est austère, le style de l'auteur rend le spectacle formidablement intéressant. Dans des décors épurés, des objets (tel un sac à main, un futon,…) donnent une dimension matérielle et concrète aux personnages. Tout élément visible participe à la construction de l'histoire. Les idées des personnages sont véhiculées par des dialogues percutants (voire "rentre-dedans") et des déplacements physiques constants. Une multitude de combinaison d'éloignements et de rapprochements entre individus est utilisée par Naruse pour définir l'état des relations sociales et humaines nouées entre les uns et les autres. La bande sonore à la fois discrète et redoutablement efficace, donne le juste relief aux émotions de ces personnages. Des plans courts orchestrent un ensemble de péripéties humaines ordinaires ayant pour élément moteur des faiblesses psychologiques récurrentes mais également de fulgurants moments d'inspirations plus positifs. Et puis Naruse réussit par le biais d'un final superbe -quelques sons et images suffisent- à conférer une dimension universelle et intemporelle à un écheveau social chaotique.

Un style qui transforme un simple mélodrame en superbe parabole représentant l'existence humaine sous la forme d'une fleur éphémère, fragile, magnificente.