C'est un excellent film, en effet, sans faiblesse, si l'on accepte les excentricités du personnage féminin. Mais il me semble que ce n'est pas la réussite majeure de Billy Wilder, qui serait pour cette période Stalag 17, et globalement pour l'ensemble de sa carrière La vie privée de Sherlock Holmes. Il s'agit d'affaire de goût, certes, mais les scénarios de I.A.L. Diamond me paraissent plus modernes, plus élaborés, plus subtils que ceux de Charles Brackett. A part cela, Nancy Olson est remarquable dans ce film et les scènes tournées avec William Holden sont magnifiques. Rarement un couple (et l'expression de ses sentiments) n'aura été aussi bien filmé à l'écran. La séquence de l'embrassade entre ces deux acteurs est la meilleure de Sunset Boulevard à mon avis.
Un exemple : l'arrivée de Gillis (William Holden) dans l'immense maison décatie où vivent Norma Desmond (Gloria Swanson) et son serviteur, Max (Erich von Stroheim) qui fut davantage que le serviteur de cette gloire déchue : trois plans rapides : Gillis interloqué, Norma, qui le guette protégée par une jalousie et qui lui demande de la rejoindre, Max qui, en parfait majordome, tient ouverte la porte du capharnaüm-cauchemar.
Le scénario de Sunset boulevard est un des plus subtils, les plus habiles qui soient : il entrecroise personnages réels de la machine-Moloch Hollywood (Cecil B. DeMille, Buster Keaton, l'échotière Hedda Hopper) , choisit audacieusement de sceller dans leurs propres rôles, à peine décalés Gloria Swanson et Stroheim, l'un et l'autre véridiques stars rejetés de leur gloire par l'irruption du cinéma parlant et le dialogue (étincelant !) évoque à tous propos des stars réelles, Tyrone Power, Alan Ladd ou Darryl F. Zanuck.Comme l'histoire de Gillis, scénariste talentueux évoque celle de Billy Wilder, qui a connu des débuts difficiles à Hollywood, mais qui était forgé d'un autre caractère que celui, d'une grande veulerie, de son personnage, comme le cinéma, les studios, les caméras sont omniprésents, le film paraît d'un parfait réalisme.
En fait, il est en même temps une réalisation parfaitement baroque et même horrifiante, tellement tout, dans la demeure de Norma Desmond, sent le confiné, le poussiéreux, le moisi et même le morbide, tellement Norma, dans sa beauté figée, représente elle-même une image terrifiante, celle d'un vampire avide de sang jeune. On songe, en regardant la partie de bridge glacée qui réunit, autour de Norma, d'autres acteurs déchus du cinéma muet, à un tableau de Goya, on se dit que l'orchestre impassible réuni pour le Nouvel an, pourrait être celui d'un Bal des vampires moins roublard que celui de Polanski. Et Norma descendant l'escalier monumental de sa demeure pour jouer la dernière scène fait songer, avant l'heure, à Gianna Maria Canale dans Les Vampires de Riccardo Freda … Ce qui est l'intelligence du scénario, c'est aussi que Norma a été la fraîcheur, l'enthousiasme, le talent, la beauté pure alors qu'elle apparaît ab initio, comme une vieille folle nymphomane et que Gillis, à qui, par la force du déroulement de l'histoire, on s'identifie plus ou moins, parce qu'il paraît être le seul individu lucide de cette maison de fous, parce que son histoire d'amour avec la jolie Betty Schaefer (Nancy Olson, excellente) capte l'attention, est tout de même un assez minable gigolo, sans grand talent, et sans vertèbres…Film fort et prenant sur les faux-semblants du monde, sur la distance, sur la folie paradoxale du comédien…
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